Transmission analogique et transmission numérique
(Cours à l'ENSPTT)
Version imprimable
Introduction
Au fondement même des télécommunications se trouve l'idée de
transformer un signal pour pouvoir en assurer la transmission. Ainsi le signal sonore, qui
occupe une bande de fréquences de 15 Hz à 16 kHz et qui est transmis via des variations
de pression grâce à l'élasticité de l'air, a une portée réduite à quelques mètres.
Le principe de la téléphonie (comme de la radiophonie) est de transformer ce signal
sonore en un signal électromagnétique porté par une onde qui peut aller loin sur un
support approprié (espace hertzien dans le cas de la radiodiffusion, câble en cuivre,
fibre optique ou faisceau hertzien dans le cas des télécommunications), puis de
reconstituer le signal sonore à l'arrivée par décodage du signal électromagnétique.
Le codage du signal sonore sur les réseaux télécoms, comme
celui du son sur le réseau radiophonique ou de l'image sur le réseau de télévision,
s'est d'abord fait en utilisant un procédé qui, tout en le transformant pour pouvoir le
transporter, reproduit la forme même du signal que l'on veut communiquer. On parle alors
de transmission (ou de codage) analogique. Les procédés qui permettent de passer d'un
signal sonore à un signal électromagnétique, et vice versa, sont des procédés de
modulation et démodulation connus depuis longtemps.
Cependant le développement des outils informatiques a banalisé
les équipements numériques (qui traitent des bits ou des octets, comme les composants
des ordinateurs) dont le coût a baissé rapidement. Il est possible, nous le verrons, de
coder un signal sonore sous la forme d'une suite de bits, la technique la plus courante
associant au circuit téléphonique un débit numérique de 64 000 bit/s. Les calculs de
coûts ont montré qu'il était rentable d'utiliser la technique numérique sur le réseau
de transport, entre les commutateurs.
Dès lors le signal émis lors d'une conversation téléphonique
subit deux codages : un signal analogique est émis par le téléphone et transmis au
commutateur de rattachement, où il est codé à 64 kbit/s ; il sera ainsi véhiculé
jusqu'au commutateur de rattachement du correspondant, où il subira un décodage
numérique/ analogique avant d'être acheminé sur le réseau de distribution jusqu'au
terminal téléphonique, qui assurera enfin le décodage analogique/son.
La coexistence de deux techniques de codage différentes dans le
réseau comporte évidemment un coût : on a donc cherché à définir un réseau purement
numérique, le codage numérique du signal se faisant dans l'installation même de
l'utilisateur. Ce réseau est le RNIS (réseau numérique à intégration de services),
dont nous aurons l'occasion de reparler.
Transmission analogique
Codage analogique
La sensibilité de l'oreille humaine va de 15 Hz à 16 kHz ; cet
intervalle comprend les fréquences de la voix humaines, ainsi que celles utilisées en
musique (en prenant en compte les harmoniques les plus aiguës).
Le téléphone utilise une bande de fréquences de 300 à 3400
Hz, jugée suffisante pour garantir l'intelligibilité de la parole. Il en résulte que la
voix est déformée par le téléphone, ce qui rend parfois difficile la distinction entre
certaines consonnes (les s et les f par exemple), et rend fatiguante une longue
conversation. La largeur de bande du téléphone est notoirement insuffisante pour assurer
une transmission musicale de qualité.
Pour transmettre le signal sonore, le réseau téléphonique
utilise un codage analogique : le signal sonore est utilisé pour moduler une onde
porteuse.
Onde porteuse avant modulation
Signal sonore à transporter
Onde porteuse modulée
Cette technique de codage est utilisée pour d'autres types de
signaux : ainsi, on peut transporter sur un câble coaxial un signal de télévision qui
occupe une largeur de bande de 5 MHz.
Le signal analogique peut subir trois sortes de modulation : en
amplitude (c'est le dessin ci-dessus), en fréquence et en phase, en jouant sur les trois
paramètres qui définissent une onde sinusoïdale S, lamplitude A, la fréquence f
= w /2 p,
la phase j :
S(t) = A sin(w t + j )
Exemple de modulation de fréquence
Multiplexage fréquentiel
On peut réaliser la transmission de plusieurs signaux
téléphoniques de 4 kHz sur un canal de transmission large bande en utilisant le
multiplexage fréquentiel : chaque circuit à 4 kHz fait l'objet d'une transposition en
fréquence, puis subit à l'arrivée la transposition inverse. Dans le cas du schéma
ci-dessous, cinq circuits à 4 kHz sont multiplexés sur un circuit à 20 kHz, puis
démultiplexés à l'arrivée :
Schéma du multiplexage fréquentiel
Cette technique de multiplexage était utilisée à grande
échelle sur le réseau de transport avant d'être supplantée par la technique de
multiplexage temporel qui sera décrite plus loin.
Affaiblissement du signal et largeur de bande
Un signal de fréquence f s'écrit, en notant A son amplitude et
j sa phase :
S(t) = A sin(2 pft + j )
La transmission a pour effet de diminuer l'amplitude
du signal dans une proportion qui dépend souvent de la fréquence du signal :
celle-ci sera donc multiplié par un facteur K(f) < 1 :
S(t) = K(f).A sin(2 pft + j )
On appelle "affaiblissement" et on mesure en décibels
(dB) la quantité
A(f) = - 20 log10K(f)
NB : La puissance du signal est égale au carré de son
amplitude. L'affaiblissement peut donc aussi s'écrire, en notant P(f) le rapport des puissances :
A(f) = - 10 log10 P(f)
La correspondance entre nombre de décibels et valeur de
l'affaiblissement est donnée par le tableau ci-dessous :
La correspondance entre nombre de décibels et valeur de
l'affaiblissement est donnée par le tableau ci-dessous :
dB |
K(f) |
0,000 |
100% |
0,915 |
90% |
1,938 |
80% |
3,098 |
70% |
4,437 |
60% |
6,021 |
50% |
7,959 |
40% |
10,458 |
30% |
13,979 |
20% |
20,000 |
10% |
La transmission a également pour effet de modifier la phase du
signal, ce qui perturbe la transmission lorsque le codage utilise la phase (cest le
cas de certains codages en transmission de données).
Comme laffaiblissement varie selon la fréquence, le
signal se déforme avec la distance. On appelle "largeur de bande" du canal de
transmission l'intervalle de la bande de fréquence à l'intérieur duquel
l'affaiblissement varie de moins de 3 dB. A l'intérieur de cet intervalle, les rapports
d'amplitude correspondant aux diverses fréquences sont donc respectés dans la proportion
d'au moins 71 %.
Amplification du signal
Pour lutter contre l'affaiblissement du signal, on introduit à
distance régulière des amplificateurs qui ont pour but de régénérer le signal
en lui restituant la puissance perdue. Ces amplificateurs doivent aussi redresser le
signal en corrigeant à l'aide de filtres les distorsions d'amplitude et de phase.
Signal et bruit
Outre les distorsions provoquées par laffaiblissement, le
signal transporté par un réseau est soumis à dautres modifications : d'une part
le réseau peut recevoir des perturbations provenant de l'environnement
électromagnétique (cas typique : passage d'un train électrique au voisinage d'une ligne
téléphonique), et surtout le signal est perturbé par le bruit de fond provoqué par le
mouvement brownien des électrons. Ce bruit de fond est un " bruit
blanc " quil est impossible dextraire du signal en raison de son
caractère aléatoire.
Ainsi le signal transporté par le réseau est après une
certaine distance la somme du signal émis, des phénomènes d'affaiblissement et de
distorsion qu'il a subis, et du bruit provoqué par les diverses perturbations.
Laffaiblissement et la distorsion peuvent être compensés dans une certaine mesure,
mais le bruit de fond est inévitablement amplifié avec le signal utile par les
amplificateurs, d'où le caractère inéluctable de la dégradation du rapport
signal /bruit.
La transmission des données sur réseau analogique
Le réseau analogique et très utilisé pour transporter des
données, que ce soit pour assurer la communication entre ordinateurs ou dans des
applications comme la télécopie.
A lintérieur dun ordinateur, un bit (unité
dinformation) est transmis à laide de variations de la tension électrique
(un peu comme si lon ouvrait et fermait un circuit pour couper ou faire passer le
courant). Sur le réseau analogique, le dessin carré du bit est utilisé pour moduler une
onde porteuse qui le transmettra à destination. Ce sont les modems (modulateurs
démodulateurs) qui assurent la traduction entre le signal électrique interne de
lordinateur et le signal électromagnétique transmis par le réseau. Les
distorsions du signal dues notamment aux bruit altèrent le dessin des bits, qui peuvent
devenir difficile à discerner pour l'équipement de réception :
Signal d'origine
Signal déformé
Les techniques utilisées dans le réseau téléphonique sont
choisies de sorte que la parole de l'interlocuteur reste compréhensible, même à très
grande distance ; par contre, les défauts de transmission peuvent être gênants
lorsqu'on utilise le réseau pour transmettre des données, car ils provoquent des erreurs
de transmission. Les protocoles de transmission ont pour objet de repérer et corriger ces
erreurs, mais elles entraînent alors des répétitions de messages et donc une baisse du
débit utile du canal de transmission.
La transmission numérique
Avec les techniques de transmission numérique, on ne cherche
plus à transmettre un signal analogue à celui que l'on veut reproduire ; on
traduit tout signal en une suite de bits. Choisie pour des raisons économiques, cette
évolution technique a provoqué de profondes modifications dans les télécommunications
: elle a conduit a les rapprocher des techniques utilisées en informatique, et a permis
aux télécoms de bénéficier des économies d'échelle accumulées par le développement
des composants destinés à l'industrie informatique.
Le codage MIC
Le premier problème à résoudre est de transformer le signal
de base du réseau téléphonique (le signal sonore dans la bande 300 - 3400 Hz, disons 0
- 4000 Hz pour simplifier) en un signal numérique. C'est le but du codage MIC (Modulation
par Impulsion et Codage).
Le signal est soumis pour cela à une mesure toutes les 125
ms (donc 8000 fois par seconde). Le résultat de
cette mesure est codé sur huit bits (on peut donc coder 28 = 256 niveaux
d'amplitude). Comme la sensibilité de l'oreille varie non selon l'amplitude d'un signal,
mais selon le logarithme de cette amplitude, les niveaux d'amplitude sont découpés en
plages logarithmiques.
Le signal qui en résulte a un débit de 8 * 8000 = 64 kbit/s.
Ce débit est devenu un standard sur les réseaux de
télécommunications : les composants électroniques qui le traitent ont été produits en
grand nombre et ne coûtent pas cher ; il est utilisé dans le réseau de transport
(multiplexage temporel) ainsi que dans les réseaux RNIS (c'est le débit du canal B de
Numéris).
Cependant des techniques de codage plus perfectionnées ont
été proposées pour le signal vocal, tirant parti de sa redondance mieux que ne le fait
le codage MIC :
- les techniques " différentielles " codent non l'amplitude du
signal, mais la variation de cette amplitude ;
- les techniques " prédictives " codent l'écart entre le
signal constaté et sa valeur prévue par extrapolation.
Un signal de même qualité peut être obtenu grâce à ces
codages avec des débits de 32, 16, 8 ou même 4 kbit/s. Les codecs (codeurs - décodeurs)
nécessaires sont d'autant plus chers que la technique est plus sophistiquée, et en outre
le circuit à 64 kbit/s reste le circuit standard sur le réseau téléphonique public.
Les codages sophistiqués sont utilisés principalement dans certaines applications sur
Numéris, ou encore afin de comprimer le signal pour économiser les LL sur les réseaux
privés.
On peut ainsi utiliser 64 kbit/s et un codage performant pour
transmettre un son de bonne qualité : certains terminaux utilisés en audioconférence
utilisent un son à 7 kHz qui rend la reconnaissance du locuteur et linterprétation
des phonèmes en réunion téléphonique plus aisée et donc la communication moins
fatiguante.
A l'arrivée du signal à 64 kbit/s, le signal est recomposé ;
il n'est pas parfait, puisque le codage comporte une imprécision (les amplitudes sont
codées par plages, on relève l'amplitude sur un échantillon et non continûment). Le
signal reconstitué comporte donc un "bruit de numérisation".
Reconstitution du signal
Ce "bruit" reste cependant acceptable : il est
inférieur aux bruits usuels en transmission analogique, et en outre nous allons voir que
la transmission numérique possède sur la transmission analogique des avantages
décisifs.
Les répéteurs
Les amplificateurs du réseau analogique ont pour inconvénient
d'amplifier le bruit avec le signal ; dans le réseau numérique, des répéteurs
reçoivent le signal éventuellement déformé par les défauts de la transmission, et
reconstituent le dessin exact des bits :
Signal d'origine
Signal déformé par la transmission
Signal reconstitué par le répéteur
Ainsi le signal numérique est régénéré "à neuf"
par le répéteur, dans la mesure du moins où les distorsions dues à la transmission
n'ont pas été telles qu'elles auraient provoqué une erreur de reconnaissance de la part
du répéteur. Les techniques de codage utilisées, ainsi que les règles d'ingénierie
qui précisent les distances entre répéteurs successifs, ont pour objet de limiter ce
risque.
Le signal numérique ne subit donc aucune addition de bruit du
fait de la transmission ; il est reçu tel qu'il a été émis. Ajoutons que la distance
admissible entre répéteurs sur une ligne est plus grande que la distance entre
amplificateurs, et que le coût de la transmission numérique en est diminué. Ce sont ces
avantages qui ont poussé à lintroduction de la transmission numérique sur le
réseau de transit.
Le multiplexage temporel
A chaque communication téléphonique est associé un circuit à
64 kbit/s. Il est possible de multiplexer plusieurs circuits à 64 kbit/s sur une artère
à haut débit (384 kbit/s, 2 Mbit/s, davantage encore sur les faisceaux du réseau de
transport). Le multiplexage temporel procède en entrelaçant les bits relatifs à des
communications différentes : si l'on multiplexe 6 circuits (384 kbit/s), on fera passer
sur le support utilisé le premier bit de chaque circuit, puis le premier bit du second
circuit et ainsi de suite :
Multiplexage temporel de six circuits
Une hiérarchie de transmission relie les divers niveaux de
multiplexage correspondant aux faisceaux de plus en plus larges en débit du réseau de
transport.
De la commutation spatiale à la commutation temporelle
La commutation téléphonique établit une continuité de bout
en bout entre les interlocuteurs. La nature de cette continuité change cependant avec le
multiplexage temporel : le lien n'est plus purement physique ("le cuivre"), il
est constitué par une succession des intervalles temporels du multiplexage sur les
faisceaux de transmission.
La commutation spatiale établissait une connexion physique
entre circuit arrivée et circuit départ d'un commutateur et nécessitait donc que l'on
démultiplexe avant tout traitement ; la commutation temporelle réoriente les bits en
fonction de la destination du circuit auquel ils appartiennent, et traite donc le
multiplex lui-même. Elle sassocie donc naturellement au codage numérique du
signal, et elle a permis de rapprocher encore davantage les techniques des
télécommunications de celles de l'informatique.
|