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La téléinformatique dans l’entreprise

 par Philippe Penny et Michel Volle

Article publié dans " La Recherche " n° 255 de juin 1993, et dans "Problèmes économiques" n° 2.359 du 19 janvier 1994

Vingt ans après la naissance du premier micro-ordinateur, la micro-informatique, et plus particulièrement la bureautique, est en passe de révolutionner l’organisation des entreprises. Telle est du moins la proposition que P. Penny et M. Volle s’exercent à démontrer tout au long de cet article. Grâce aux progrès réalisés dans les télécommunications, et à la faveur de la chute des prix des micro-ordinateurs et de l’augmentation de leur puissance, la bureautique dite " communicante " devrait conduire à des gains de productivité considérables. Les réseaux de micro-ordinateurs offrent en effet la possibilité d’informatiser tout un ensemble de tâches techniques ou administratives, qui nécessitent la coopération et l’intervention simultanées d’agents de l’entreprises éventuellement situés aux quatre coins de la planète.

Un peu plus d'une dizaine d'années après l'apparition du terme de " Bureautique " dans le vocabulaire français, la discipline qu'il sert à désigner a considérablement évolué. A l'origine, son objectif était simplement d'automatiser le travail de bureau individuel, et d'atteindre dans les tâches administratives des gains de productivité comparables à ceux enregistrés dans l'industrie. Grâce à son association aux techniques de communication, la bureautique entre dans une nouvelle phase, celle de la " bureautique communicante ". Loin d'être un simple " gadget " technique, sa mise en œuvre modifiera profondément, à terme, l'organisation du travail dans les entreprises et les administrations. Elle devrait même influencer leur stratégie, tandis qu'elle conduit d'ores et déjà à des gains de productivité significatifs.

La bureautique communicante prend en effet en compte plusieurs aspects fondamentaux du travail dans les grandes organisations, aspects que la bureautique conventionnelle avait en grande partie ignorés. D'une part, elle systématise la circulation et les échanges d'informations en recourant à des messageries et des bases de données dont les fonctions se sont perfectionnées depuis les années 1980. D'autre part, elle permet d'informatiser des travaux qui nécessitent la coopération ou l'intervention simultanées de plusieurs personnes, ou bien des interventions successives. Tel est par exemple le cas pour l'élaboration d'un document technique, d'un modèle de simulation financière, etc.

L'objectif de la bureautique communicante est ainsi d'améliorer la productivité du travail de groupe qui représente une part importante de l'emploi du temps des cadres. Elle s'appuie, pour ce faire, sur des théories relatives au travail à plusieurs et au partage des informations, qui se sont concrétisées par le développement de logiciels (voir l'encadré 1). Mais elle a surtout bénéficié de la diminution rapide du prix des micro-ordinateurs, qui est de 35 % par an depuis 1991 (fig. 1). Elle bénéficie également des performances croissantes des processeurs (leur puissance double chaque année), ce qui se traduit notamment par un haut niveau d'ergonomie des micro-ordinateurs.

Encadré 1 : Les " philosophies " de la bureautique communicante

Depuis une vingtaine d'années, un certain nombre de chercheurs, américains pour la plupart, mènent des études destinées à explorer les possibilités offertes par l'informatique pour l'organisation du travail dans l'entreprise. Trois grandes écoles de pensée sous-tendent en fait ces recherches. La première. inspirée notamment par les travaux de Thomas W. Malone, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), s'appuie sur une approche relativement pragmatique (2). Celle-ci porte sur les outils de production et de partage d'informations ainsi que sur les techniques d'aide à la décision, mais elle ne préjuge pas de règles ou de principes organisationnels particuliers. A l'utilisateur de sélectionner, au vu de ses objectifs, les applications les plus intéressantes pour lui (qu'il s'agisse des logiciels de base et de leurs interfaces de programmation standardisées, des plates-formes de traitement coopératif, etc.). Une seconde école de pensée, celle représentée par Terry Winograd, de l'université Stanford, s'appuie en revanche sur une approche cognitive. Elle se fonde sur l'application de théories relatives aux organisations, et vise à orienter le travail des groupes dans leurs activités de dialogue, de négociation et de prises de décision. D'où, notamment, la prise en compte de recherches développées dans le domaine de la linguistique. Cette approche cognitive a donné naissance à des logiciels de réunion assistée par ordinateur et de communication contrôlée (messageries avec dialogues " dirigés ", logiciels de workflow, etc.). La bureautique communicante se réfère enfin à une troisième école de pensée, qui privilégie une approche " organisationnelle ". Les priorités sont alors l'efficacité du travail en groupe et la prise de décision rapide et pertinente. Selon cette approche, l'organisation même de l'entreprise est conçue autour de la bureautique : l'entreprise est considérée comme un ensemble d'unités géographiques et fonctionnelles, au sein desquelles il s'agit de structurer les échanges d'informations, en tenant compte d'un certain type de hiérarchie. Les outils bureautiques sont alors développés en ce sens (ce que les Américains nomment la Business Design Technology) (3).

Figure 1. Evolution du taux d'évolution annuel du prix des micro-ordinateurs calculé en enchaînant les indices INSEE base 100 1990 et 1995. Pour améliorer la lisibilité du graphique, le taux de variation est calculé en faisant une moyenne mobile sur trois trimestres renouvelée deux fois. Depuis quelques années, l'évolution de l'indice INSEE des prix des micro-ordinateurs est spectaculaire. Jusqu'au milieu de l'année 1990, la diminution annuelle des prix est comprise entre 5 et 10 %, alors qu'elle atteint 35 % depuis deux ans, ce gui ne va pas sans faire de victimes. Les revendeurs de micro-informatique sont laminés par la baisse des marges, tandis que l’on voit se développer la vente par correspondance. Associée à une qualité croissante des micro-ordinateurs, cette baisse des prix incite les entreprises à s'équiper de micro-ordinateurs portables en réseaux plutôt qu'en gros ordinateurs. Ce facteur favorise de manière déterminante le développement de la bureautique communicante.

Cette situation conduit les entreprises à délaisser les gros ordinateurs, et à s'équiper en micro-ordinateurs reliés en réseau, donc capables de communiquer. On prévoit qu'en France, il y aura un micro-ordinateur pour trois personnes actives d'ici la fin de l'année 1993, et qu'un tiers de ces ordinateurs sera connecté à un réseau. Cette évolution confirme les prévisions de diverses équipes de chercheurs, en majorité américaines qui, depuis les années 1970, se sont efforcées d'utiliser les possibilités de l'informatique pour automatiser l'organisation du travail dans l'entreprise. Leurs travaux étaient longtemps restés purement académiques, ne serait ce qu'en raison du coût des solutions qu'ils proposaient. La chute des prix de la micro-informatique a au moins levé cet obstacle.

C'est à Pierre Berger, journaliste de la presse informatique, et à L. Nogès, consultant, que l'on doit l'invention du mot français " bureautique ". Il traduit ce que les Américains nomment alternativement personal computing, office automation ou office information systems selon les groupes d'applications considérés. L'expression personal computing, ou " informatique personnelle ", a été introduite dans les années 1970. Elle fait référence à l'usage individuel du micro-ordinateur, avec la mise en œuvre de traitements de texte, de tableurs, de logiciels graphiques ou de logiciels de pilotage des périphériques (comme les imprimantes, les modems, etc.). Quant à l'expression d'office automation, ou " automatisation du travail de bureau ", elle est utilisée depuis la même époque par les fabricants d'équipements informatiques pour désigner les divers outils électroniques introduits dans les bureaux (photocopieurs, machines de traitement de texte, péritéléphonie, télécopieurs, micro-ordinateurs, scanners, mobilier spécialisé, etc.).

Au début des années 1980, enfin, on commença à regrouper sous le nom d'office information system l'ensemble des systèmes fondés sur l'interconnexion des différents matériels informatiques et bureautiques d'une entreprise ou d'une administration. Ce mariage entre télécommunications et micro-informatique s'est en fait opéré dès l'arrivée des micro-ordinateurs sur le marché. A cette époque, les micro-ordinateurs sont reliés à un site central avec lequel ils peuvent échanger des informations simples (messages ou requêtes à des bases de données). Pour ces échanges, les micro-ordinateurs sont considérés comme de simples terminaux et n'utilisent pas leur propre capacité de calcul. Les réseaux locaux servent alors essentiellement au partage des imprimantes, des grosses applications et de la puissance de traitement. C'est sur cette base qu'un certain nombre d'applications professionnelles de communication de groupe se sont développées telles que la messagerie électronique ou les " infocentres " (des terminaux permettant d'interroger des bases de données qui centralisent des informations utiles à toute l'entreprise). Les réseaux devenaient un nouveau moyen de communication entre individus.

La " bureautique communicante " (network computing) cherche en revanche à utiliser toutes les capacités des micro-ordinateurs de bureau et des stations de travail, les uns et les autres étant capables d'échanger et de traiter des informations. Sa mise en œuvre nécessite donc, outre le développement de logiciels spécifiques, l'établissement de normes et la réalisation d'interfaces, de telle sorte que la communication soit effectivement possible. Il s'agit, en effet, de gérer tous les flux d'information qui transitent dans le réseau informatique (4). Celui-ci comprend des parties internes à chaque établissement de l'entreprise (on parle alors de réseau local d'établissement, soit RLE, ou LAN pour Local Area Network en anglais) (voir l'encadré 2). Par ailleurs, les réseaux locaux de sites éloignés peuvent être reliés entre eux, grâce aux services de l'opérateur public de télécommunications, tandis que ces services permettent également la connexion à distance de postes de travail isolés. On parle alors de " réseau d'entreprise étendu " (WAN pour Wide Area Network en anglais).

Encadré 2 : La hiérarchie des réseaux téléinformatiques

La fonction d'un réseau téléinformatique varie selon qu'à s'agit de réseaux publics ou privés, locaux ou départementaux(4). Le réseau dit " départemental " relie quelques dizaines de micro-ordinateurs d'une entreprise situés dans des bureaux proches les uns des autres, ainsi que des serveurs et périphériques partagés (notamment des imprimantes). Un " réseau dorsal " (backbone), en revanche, réunit entre eux, avec des moyens physiques et des logiciels appropriés, divers réseaux départementaux d'un même établissement. Il assure, seul ou en coopération avec le commutateur téléphonique de l'entreprise (Private Automatic Branch Exchange, ou PABX), la connexion avec des réseaux de télécommunications extérieurs, ainsi que la sécurité de l'accès aux ressources qui lui sont connectées. L'ensemble constitué par les réseaux départementaux et le réseau dorsal constitue le " réseau local d'établissement " (RLE) (Local Area Network ou LAN). L'architecture la plus courante associe des réseaux départementaux à bas ou moyen débit (250 kbit/s à 4 Mbit/s) à un réseau dorsal à moyen ou haut débit (10 à 100 Mbit/s). Quant au réseau -privé (Wide Area Network ou WAN), il relie entre eux plusieurs réseaux d'établissement via des ressources louées à l'exploitant d'un réseau public, qu'il s'agisse de liaisons spécialisées (LS) analogiques ou numériques, ou de l'accès par liaisons spécialisées à un réseau de transmission par paquets (par exemple Transpac en France). Les réseaux publics, comme le réseau téléphonique commuté (RTC) ou Numéris, sont utilisés lorsque les établissements ne sont pas reliés par un réseau privé (ou pour assurer la sécurité des liaisons que le réseau privé comporte).

Au niveau physique, les divers types de matériels informatiques sont reliés par des liaisons téléphoniques publiques ou par des liaisons spécialisées (louées à l'opérateur public mais utilisées à des fins privées), grâce à des modems (modulateurs -démodulateurs) ou des cartes numériques (dans le cas de transmissions sur des réseaux numériques). Lors des échanges au sein du système, un ensemble de logiciels appelé " système d'exploitation du réseau " (Network Operating System ou NOS) assure la reconnaissance du nom et la localisation de chaque élément, matériel, logiciel ou logique. S'appuyant sur le NOS, un autre ensemble de logiciels autorise le routage des messages et le transfert des fichiers. La plupart de ces logiciels sont implantés sur un micro-ordinateur spécialisé, le " serveur de réseau " (dans un réseau étendu, il peut y avoir plusieurs types de serveurs spécialisés dans des fonctions précises comme le serveur de mémoire, le serveur de puissance ou le serveur de communication). Mais ces logiciels peuvent également se trouver sur les ordinateurs qui jouent alors, vis-à-vis du reste du réseau, un rôle de serveur. Par ailleurs, les fonctions de routage seront, à terme, intégrées au système d'exploitation de chaque micro-ordinateur. Enfin, la surveillance du bon fonctionnement de cet ensemble complexe de serveurs, de tronçons de réseaux et de postes de travail est dévolue à des agents d'exploitation utilisant une palette, jusqu'ici fortement hétéroclite, de logiciels spécialisés sur stations de travail (fig. 2).

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Figure 2. La mise en œuvre d'une installation de bureautique communicante s'appuie sur une architecture de réseau que l'on peut décomposer en quatre niveaux. Au bas de l’édifice se trouve le " réseau physique ", formé d'un parc d'appareils informatiques reliés entre eux par des câbles. Le tout est géré par un ensemble de logiciels, le système d'exploitation du réseau, qui constitue le second niveau. Le troisième niveau, qui comprend les outils logiciels de communication, assure le routage des messages et le transfert des fichiers. Ces fonctions fondamentales permettent aux applications de la bureautique communicante, situées au niveau supérieur, de se dérouler correctement. Cette architecture vise à mettre à la disposition de l'utilisateur la puissance, les logiciels et la mémoire des autres machines connectées au réseau. Pour cela, les ressources informatiques doivent être mobilisées, entre autres, selon leur disponibilité, le volume de traitements que nécessite la communication et la probabilité d'encombrement du réseau.

Par ailleurs, une telle architecture doit permettre de traiter les problèmes de priorité: chaque utilisateur doit pouvoir activer les applications disponibles sur une autre machine avec des temps de réponse comparables à ceux qu'il aurait si les applications étaient sur sa propre machine.

Tout cet édifice sert de support aux applications de bureautique communicante, et plus particulièrement au travail de groupe assisté par ordinateur, ou Computer Supported Cooperative Work (CSCW), plus communément appelé groupware. Les logiciels de groupware, ou " collecticiels ", se répartissent en trois grandes catégories. La première est constituée de bases de données et de documents partagés, qui mettent l'information à la disposition de plusieurs personnes simultanément, et des applications qui en découlent. La seconde regroupe les messageries, qui sont utilisées pour diriger l'information vers des destinataires bien précis, ainsi que leurs applications dérivées. Chacune de ces deux premières catégories correspond à un contexte relationnel spécifique. Ainsi, en simplifiant à l'extrême et en guise de métaphore, l'utilisation d'une base de documents partagée ressemble à une discussion où les participants peuvent entendre tout ce qui se dit, alors que la messagerie est analogue à un dialogue à voix basse. La troisième catégorie englobe un catalogue d'applications spécialisées qui facilitent certains aspects du travail d'un groupe (visioconférence, élaboration d'un document à plusieurs et en même temps, etc.). Nous y reviendrons.

Une base de documents partagée donne en fait une réponse informatique à la nécessité de travailler en groupe, ce qui suppose de pouvoir consulter et traiter divers documents simultanément et librement. Une telle base peut, par exemple, répondre au besoin d'une équipe d'ingénieurs travaillant sur un même projet. Ces ingénieurs doivent en effet se référer à la même documentation technique, la mettre à jour, y intégrer des comptes rendus, normes et résultats, afin de cumuler leurs compétences, y compris lorsqu'ils ne travaillent pas dans le même bâtiment. Grâce à cette mémorisation de toute l'activité d'un groupe, l'activité des entreprises est moins soumise aux aléas des organisations (changement des personnels, absences, etc.).

Il est possible de créer de telles bases de documents partagées sur un réseau local grâce à des logiciels de groupware récents dont l'un des premiers, le collecticiel Notes, a été développé par trois Américains, R. Ozzie, T. Halverson et L. Kawell. Ce collecticiel était industrialisé dès 1986 par l'éditeur de logiciels américain Lotus Development Corporation (fig. 3). Au sein de la base, les documents élaborés sont indexés et classés de sorte qu'il soit aisé de les retrouver. La base peut, en outre, être " répliquée " sur d'autres serveurs en empruntant les réseaux publics, le réseau téléphonique étant le plus couramment utilisé. L'information est ainsi disponible pour toutes les personnes autorisées, quelle que soit leur situation géographique. La " réplication " est rendue automatique selon une cadence prédéterminée. Une telle base d'informations structurées peut servir à la rédaction coopérative de documents, par exemple pour la mise au point de réponses à des appels d'offres ou la validation de rapports d'étude nécessitant la coopération de plusieurs ingénieurs.

L'introduction d'un collecticiel dans une entreprise impose une méthode rigoureuse. Pour la réunion assistée par ordinateur, l'objectif est de mener les utilisateurs à définir la méthode puis à s'y tenir. Même pour les plus délicates négociations, l'assistance d'un de ces logiciels, tels que Team Focus d'IBM ou GroupSystem V de l'entreprise américaine Ventana Corporation, peut rendre plus efficaces nombre de réunions. Citons la conception d'une campagne de publicité, la réponse à un appel d'offres, la mise en place d'une acquisition - fusion ou la détermination des spécifications techniques d'une interface entre un ensemblier avionneur et des sous-traitants. Par le biais de logiciels de conduite de réunions, les participants apportent leurs contributions au sein d'un canevas défini en objectifs et en temps et contrôlé par un animateur indépendant. Au cours de la réunion, le logiciel enregistre toutes les contributions, permet des procédures de vote et édite, en conclusion, un compte rendu exhaustif des interventions et des décisions.

Pour l'instant, de telles réunions se déroulent dans une salle unique, où chaque participant dispose d'un ordinateur connecté aux autres. Mais la société Ventana est en train de tester un système de réunion multi - sites, en utilisant des réseaux pour relier des participants situés dans divers lieux géographiques. Il faut à cette fin résoudre les problèmes qui se posent pour distribuer le droit à la parole et pour contrôler les écarts de synchronisation dus à des débits de communication différents, en résumé pour que les participants puissent travailler comme s'ils étaient dans la même pièce. Dans ce cas, la bureautique est couplée à des techniques de réunion à distance (réunion téléphonique, audioconférence, visioconférence).

Les bases de documents partagées permettent de traiter avec succès des applications que les techniques de gestion électronique de documents (GED) n'étaient pas parvenues à prendre en compte. La GED, apparue au début des années 1980 (1982 au Japon, 1985 aux Etats-Unis), recouvre toutes les étapes de la transformation des documents papier (et en particulier des documents externes à l'entreprise) en documents électroniques classés. Les documents papier sont numérisés par scanner, puis vérifiés et éventuellement repaginés. Dès lors, ils sont devenus des documents - image, susceptibles d'être traduits en mode caractère par reconnaissance optique de caractères (OCR en anglais), puis lus, voire modifiés, par un traitement de texte.

Ces documents sont ensuite indexés dans une base de données partagée qui contient déjà des documents internes à l'entreprise, et où ils peuvent également être classés. Les documents eux-mêmes sont stockés sur des mémoires ayant un rapport capacité/coût plus intéressant que les disques magnétiques qui équipent les ordinateurs (il s'agit en général de disques optiques numériques, qui occasionnent, il est vrai, des délais d'accès plus longs). Les applications typiques de la GED concernent le stockage du courrier arrivé, la documentation technique, les plans, etc. Elles constituent ainsi la mémoire de certains processus administratifs de l'entreprise.

En dépit des espoirs qu'elle a suscités, le développement de la GED n'a pas connu le succès prévu, car elle reste encore affaire de spécialistes dans le cadre d'applications spécifiques, et dispose de capacités de mise en réseau a relativement faibles. Ce retour en arrière, sensible au Japon vers 1986 et quelques années plus tard en France, témoigne du difficile compromis que la bureautique communicante cherche à établir. L'objectif est en effet de donner aux utilisateurs le sentiment qu'ils ont la liberté d'améliorer leurs conditions de travail pour certains, de développer leur ambition en " embrassant plus et mieux " pour d'autres ; cet objectif doit en outre être atteint tout en contrôlant les applications visées, dans le contexte d'un niveau de service de l'infrastructure comparable à celui que procurerait un gros ordinateur.

Combinée au partage des bases de données et systèmes documentaires, et à des modèles de représentation des connaissances issus de l'intelligence artificielle, l'informatique documentaire apporte par ailleurs des outils d'indexation et de recherche. Ces outils ont souvent été spécialisés pour certains métiers, les professions juridiques par exemple (voir " Les nouveaux outils. informatiques des juristes " dans La Recherche d'avril 1993). La tendance lourde est à leur intégration en standard dans l'offre des grands éditeurs de logiciels bureautiques, comme Microsoft et Lotus. Ils permettent de déterminer les documents " proches. " d'un contexte sémantique donné, ce qui facilite tant la classification d'un document nouveau que la recherche de documents anciens.

Si une partie de l'information qui circule dans une entreprise doit être partagée, elle doit également parfois être dirigée vers des personnes précises, et c'est le rôle de la messagerie. Celle-ci est soit directement accessible aux utilisateurs, soit utilisée par d'autres logiciels bureautiques comme c'est la tendance actuellement aux Etats-Unis. Cela évite en effet des manipulations aux utilisateurs (bases de documents partagées, échanges de textes ou de feuilles de calcul, etc.). Lorsqu'un message est émis, la messagerie le classe dans la " boîte aux lettres " électronique (BAL) de son destinataire. Cette " boîte aux lettres " est en fait une zone de mémoire, réservée à cette personne, dans un serveur de messagerie au sein duquel est " reconnue " l'adresse, associée au message (l’adresse peut être simplement le nom de la personne). Dès que le message arrive, soit il est transféré directement dans le micro-ordinateur de son destinataire (dès que celui-ci est connecté, c'est le mode " store and forward ") ; soit le destinataire est prévenu de l'arrivée du message par un signal du serveur sur son ordinateur, et il doit alors se connecter au serveur pour en prendre connaissance (mode " store and retrieve "). Ce dernier mode est particulièrement adapté pour les " nomades ", qui constituent une fraction parfois importante des forces de production d'une entreprise (équipes de vente, télétravailleurs, cadres en déplacement... ou en vacances).

Dans une entreprise comprenant plusieurs établissements implantés en des lieux différents, un utilisateur peut n'avoir qu'une seule boîte aux lettres, dans l'unique serveur de messagerie de l'entreprise situé dans l'un des établissements ; il devra donc sortir de son réseau local et se connecter à ce serveur pour la consulter. Il peut aussi avoir une boîte aux lettres dans son propre établissement, ou en avoir une dans différents établissements ou encore chez des opérateurs de télécommunications publics (cela est très répandu aux Etats-Unis, tandis qu'en France il existe de nombreux services accessibles par Minitel, et la messagerie publique Atlas 400 offerte par Transpac). Chaque messagerie doit donc gérer un annuaire de ses utilisateurs, une fonction dont la difficulté est encore accrue du fait des fréquentes mises à jour et des connexions éventuelles avec des messageries extérieures, privées ou publiques. Certains annuaires d'entreprise comptent ainsi plus de cent mille noms. Les premières messageries, Comme DISOSS d'IBM par exemple, mises au point dans les années 1970 sur gros ordinateurs, convenaient à l'échange d'informations brèves, qui transitaient par l'ordinateur central avant d'être distribuées à leurs destinataires. C'est le fameux courrier électronique (Electronic Mail ou e-mail). On peut ainsi communiquer en différé avec un interlocuteur absent au moment de l'appel en s'affranchissant, par le biais du réseau, de toute distance géographique. On peut également diffuser des messages à une liste de destinataires.

Dès le début des années 1980, il devint possible " d'attacher " des fichiers aux messages, la messagerie servant alors de " poisson pilote " au transfert de ces fichiers. Elle peut maintenant transmettre aussi bien des textes que des messages vocaux, des images ou des télécopies. Certaines associent ces divers moyens et offrent une large possibilité d'accès par téléphone, Minitel, poste de travail bureautique, télécopieur, etc. Les logiciels développés ont apporté à la messagerie une ergonomie de qualité, une simplicité d'usage et une rapidité qui en font un outil essentiel du travail en collaboration. Les messageries les plus couramment utilisées, telles que MS-Mail de Microsoft, cc:Mail de Lotus ou Quick-Mail de CE Software, datent de la fin des années 1980. La gestion d'agendas collectifs et la réservation de salles de réunion a par ailleurs été associée à certaines d'entre elles.

Encadré 3 : Lotus Notes

Le collecticiel Notes, de Lotus Development Corp. a été l'un des premiers logiciels de groupware mis sur le marché. L'espace de travail qui apparaît sur l'écran de l'utilisateur est divisé en sous-espaces, ou "volets". Sur chaque volet se trouvent des " objets " représentant chacun une base de documents partagée d'accès strictement contrôlé. En cliquant sur l'un d'entre eux, l'utilisateur ouvre la base correspondante et accède aux informations qu'elle confient (rapports, images, etc.). Cette information est mise à jour automatiquement par un mécanisme de " réplication ", ce qui permet à tous les utilisateurs, quelle que soit leur localisation géographique, de partager la même information. Par exemple, la base de données "Discussion ", partagée par les salarié d’un même groupe, autorise l'échange d’informations entre plusieurs sociétés implantées dans des pays divers. Le collecticiel Notes constitue en outre une plate-forme de développement pour la construction de nouvelles applications (conférences, suivi commercial, etc.). Sa version 3 est disponible sur PC, Macintosh et station Unix.

Au début des années 1990, des processus dits de " conversation ", élaborés à partir d'études linguistiques, ont été intégrés à des messageries, telles que The Coordinator (fig. 4). Cette messagerie a été conçue par l'équipe d'Action Technologies Inc., dans la mouvance de T. Winograd et F. Florès (voir l'encadré 1), et s'appuie sur une philosophie du management stratégique comme celle de S. Keen, de l'université Harvard. De tels processus transposent à l'informatique des schémas inspirés par la conduite de conversations entre deux personnes. Ils contribuent à accroître l'efficacité des échanges par l'intermédiaire de la messagerie : l'historique des échanges est conservé et vérification est faite qu'ils ont bien abouti.

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Figure 4. Les processus de conversation, mis au point par des linguistes, transposent à l'informatique des schémas inspirés par le déroulement de conversations entre des personnes. Ils permettent de traiter une succession de plusieurs actions, correspondant chacune à l'émission d'un message, comme une transaction unique. Un tel processus de conversation s'articule typiquement en quatre phases. La première - faire une offre ou recevoir la demande d'un client - est la phase dite de " demande ". La deuxième consiste à accepter de réaliser l'offre ou de répondre à la demande : c'est " l'accord ". En troisième lieu, le fournisseur accomplit le travail nécessaire pour réaliser ce qui a été convenu et le livre au client en rendant compte de la réalisation, ce qui aboutit au " rapport d'exécution ". Enfin, le client émet un message de " compte rendu " indiquant s'il est satisfait ou non. Au cours de ce processus, l'utilisateur caractérise chaque message par un " paramètre d'état " (demande initiale, demande de renseignements complémentaires, etc.). La succession des messages relatifs à une affaire est disponible à tout moment et elle aboutit nécessairement à une conclusion (positive ou négative).

À la même époque est mise au point ce qui est sans doute l'une des innovations les plus importantes de la bureautique communicante s'appuyant sur la messagerie, le workflow. Si les processus de conversation s'appliquent à des procédures dont le déroulement n’est pas prévu à l'avance, le workflow définit en revanche un circuit pour la transmission de l'information. Les logiciels comme Workflo, conçu en 1989 par le constructeur FileNet, ou Image Works de Bull, X-flow de Xerox, et Workflow Manager d'ATI, qui datent d'à peine un an, automatisent ainsi la circulation des documents dans l'entreprise. Toute procédure qui nécessitait traditionnellement de mettre des documents dans une chemise, puis de faire passer cette chemise par divers bureaux (au risque de la perdre) pour recueillir signatures, expertises ou avis, peut de cette façon être gérée à travers le réseau informatique.

(Pour voir un exemple de mise en oeuvre du workflow, voir l'étude de cas Infotel).

A l'aide d'un logiciel de workflow, en effet, un circuit est programmé pour établir la succession des destinataires, les délais de traitement à chaque étape, et les décisions à prendre par le système en cas d'anomalie dans le processus. Ainsi, si l'un des destinataires est absent ou tarde à effectuer le travail demandé, le logiciel envoie le dossier, par exemple, à l'un de ses collaborateurs. Le système contrôle l'évolution du travail effectué. La décision de mettre en place un workflow est souvent due à l'impossibilité de traiter, par des méthodes traditionnelles et dans les délais voulus, les documents entrant dans l'entreprise. Ce dernier souci conduit actuellement à la prolifération d'outils venant s'adjoindre à la messagerie d'entreprise. Ces logiciels complémentaires permettent à chaque utilisateur de classer les messages à partir de règles pré - programmées, d'organiser leur routage vers d'autres utilisateurs, et de créer des formulaires personnalisés.

Ainsi, la société américaine Imaging Technology, spécialisée dans le traitement d'images scientifiques et industrielles, a mis en œuvre un tel logiciel, BeyondMail, de l'éditeur de logiciels américain Beyond, pour réduire l'encombrement des boîtes aux lettres des ingénieurs (il est courant aux Etats-Unis que des cadres intermédiaires reçoivent une centaine de messages par jour!). Par exemple ce logiciel exécute des ordres comme : " transmettre tous les messages à tel confrère, sauf ceux concernant telle compagnie, qui doivent être traités par tel supérieur hiérarchique ; archiver les messages urgents dans tel serveur que je consulterai ". L'utilisateur est alors responsable du traitement des messages qui lui sont adressés, y compris lorsqu'il n'est pas là. En l'absence d'une approche structurée pour analyser et automatiser les processus concernés par cette explosion d'échanges, ces logiciels additionnels constituent un palliatif que peuvent aisément mettre en œuvre les utilisateurs eux-mêmes.

Toutefois, ces mêmes outils peuvent conduire à des effets pervers : il n'existe pas de contrôle sur la manière dont ils sont paramétrés par chaque employé. S'ils présentent un intérêt dans les phases d'éducation après l'installation d'une messagerie, ces outils ne rendent pas le même service à l'organisation que des bases de documents partagées. Celles-ci peuvent traiter correctement les applications apparentées au workflow, et elles obligent en outre les responsables à se poser des questions importantes : quel rôle va jouer telle personne par rapport à notre projet ? quelle information lui communiquer et lui demander de produire ? etc.

Les outils qui viennent d'être évoqués, et qui servent à filtrer des messages ou à déclencher des actions, offrent des mécanismes simples de " dissémination sélective " (ou diffusion sélective) de l'information. Il existe en outre un autre type de logiciels, tel que First! de la firme Individual, qui permettent de comparer le contenu des messages aux centres d'intérêt de leur destinataire. La firme Individual exploite elle-même ce logiciel sous la forme d'un service à valeur ajoutée. Fondé sur des études statistiques et sémantiques réalisées par l'universitaire G. Salton, aux Etats-Unis, ce logiciel est utilisé pour diffuser une revue de presse électronique destinée à des abonnés. Individual reçoit les communiqués de presse envoyés par différentes agences. Ces communiqués sont saisis dans le système informatique, où ils sont " triés " en fonction du profil d'intérêt des abonnés, puis ils leur sont expédiés directement dans la boîte aux lettres de leur messagerie d'entreprise. Ou bien ils sont expédiés dans la base de documents qui correspond à une activité précise, par exemple celle de tous les employés exerçant le même métier dans une entreprise disséminée dans le monde. Notons, à titre indicatif, que l'adaptation en français de ce service de diffusion sélective coûterait environ un million de dollars.

Il existe d'autres exemples de collecticiels, parmi lesquels figurent les logiciels de rédaction en commun. Avec ceux-ci, plusieurs utilisateurs (jusqu'à une trentaine) peuvent élaborer un document ensemble, même s'ils ne sont pas dans la même pièce. Le document est édité selon un scénario déterminé en début de session par l'éditeur responsable du produit final, et qui dépend du métier concerné (publiciste, ingénieur, financier, etc.). Les utilisateurs peuvent en parallèle commenter les contributions, soit par téléphone, soit par conférence électronique dans une autre fenêtre de l'écran de leur station de travail. Ces logiciels doivent alors savoir traiter les problèmes de " concurrence " entre les utilisateurs qui modifient en même temps le même document (lors de la sauvegarde, la version de l'un pourrait en effet écraser celle d'un autre, dont le travail serait ainsi perdu). L'une des solutions est de considérer chaque document comme un ensemble de paragraphes et de n'enregistrer que les paragraphes corrigés, quitte à émettre un signal d'alarme si deux personnes travaillent sur le même paragraphe. Par ailleurs, les logiciels de rédaction en commun codifient les règles de présentation et de structure qui permettent d'établir un document collectif cohérent. Ces logiciels sont assez récents puisque les deux principaux, Access de Group Technologies et Update de On Technology, datent de 1990.

Le succès de la bureautique communicante dépend d'un ensemble de facteurs économiques, organisationnels, culturels aussi ; mais il est une technologie fédératrice qui joue un rôle clef, quoique discret, dans ce domaine, à savoir l'" approche objet ". Elle a donné naissance à une nouvelle génération des principales composantes de la bureautique communicante : la manière d'organiser un bureau électronique sur l'écran du poste de travail et de prendre en compte les interactions de l'utilisateur, la conception des bases de documents structurés mélangeant données et informations multimédia (photographies, sons, enregistrements de visioconférences, etc.), les applications bureautiques elles-mêmes, la technique de programmation utilisée pour les produire, les fonctionnalités offertes à l'utilisateur pour déclencher une application automatiquement à partir d'une autre, etc., et maintenant l'exécution des protocoles insérés dans les systèmes d'exploitation qui s'étendent sur plusieurs machines dans leur prochaine version dite répartie.

A ce point de l'exposé, en tout cas, il est opportun de s'interroger sur l'apport de ces nouveaux outils en termes d'efficacité et de productivité. Les premières applications des micro-ordinateurs avaient permis à chaque utilisateur de produire abondamment textes, graphiques et calculs, selon une présentation correcte. Cependant la rentabilité des investissements consentis, tant en matériel qu'en logiciels (de 1975 à 1991, près de trois cents milliards de dollars aux Etats-Unis), n'avait pas emporté la conviction : la plus grande part de cette somme a été investie par les secteurs de la finance, de la santé, du commerce et de l'administration, où les hausses de productivité comptent parmi les plus faibles. La bureautique elle-même a provoqué des pertes de temps, compte tenu des contraintes d'apprentissage des logiciels, mais aussi de leurs imperfections.

Pour la bureautique communicante, les choses se présentent très différemment, puisque c'est la gestion même des grandes organisations qui est en jeu. La productivité des réunions, notamment, serait considérablement accrue par l'utilisation de logiciels de réunion assistée par ordinateur, qui datent d'à peine deux ans. La rentabilité d'une plate-forme de groupware comme " Notes ", estimée sur un échantillon de cas, varie de 30 à 300 %, soit un délai de retour sur investissement allant de trois mois à trois ans. De tels outils modifient en outre des comportements enracinés, en particulier ceux de certains cadres auparavant quelque peu rebutés par l'informatique.

Citons par exemple la société américaine GFC Financial Corp., spécialisée dans le financement d'activités commerciales, et qui s'est équipée de la série de logiciels GroupSystem V, de Ventana Corp. et initialement développée par l'université de l'Arizona, pour améliorer ses réunions de planification stratégique. Ces outils sont destinés au " brainstorming ", à la rédaction de matériel promotionnel, à l'identification et à l'analyse des conséquences de décisions techniques ou stratégiques, à la mise au point d'études de marché, à la préparation de documents et de terminologies, etc. La durée des réunions, notamment, a considérablement diminué (de l'ordre de 60 %) et elles sont devenues beaucoup plus productives, parce que le système favorise la créativité et la spontanéité.

Un autre exemple est fourni par l'utilisation du logiciel Notes de Lotus. Avec cent licences du logiciel Notes installées sur autant de micro-ordinateurs en réseau, et une formation adéquate pour le personnel (soit un investissement d'environ 46 000 dollars), une petite entreprise de génie civil de l'Illinois, aux Etats-Unis, est aujourd'hui en mesure d'offrir à chaque client le moyen de suivre l'avancement d'un projet de construction dont elle assure la maîtrise d’œuvre, et de consulter des documents. Cette disposition, étendue à ses sous-traitants, joue un rôle clé dans la compétitivité de l'entreprise et lui a permis de gagner des appels d'offre. La durée du retour d'investissement est évaluée à moins de quatre mois. Dans le même secteur et avec une solution identique, on peut citer, en France, le cabinet d'architecte Ricardo Boffil.

Encadré 4 : le Workflow

Lorsque, dans une entreprise, un consultant constate que de nombreux dossiers circulent entre des bureaux divers, attendant des signatures, commentaires et pièces additionnelles diverses, il peut conseiller l'élaboration d'un workflow.

Le workflow organise en effet un chemin bouclé de circulation des documents. Ainsi, dans une procédure d'achat classique, l'acheteur doit, après avoir consulté le catalogue, en référer au service achat de son entreprise, qui doit pour sa part recevoir l'aval des services financiers et techniques. Une fois le produit commandé puis livré, il fait l'objet d'un compte rendu de livraison. Chacune de ces étapes peut être programmée sur un circuit de workflow. Le dossier informatique correspondant à la commande du produit est créé au moment de la consultation de la base de données puis suit, au sein du réseau, chacune des étapes de la procédure. L’instigateur de la commande peut au fur et à mesure vérifier que chacun des intervenants a effectué sa tâche, et le dossier lui revient avec le compte rendu de livraison.

De même, plusieurs grandes entreprises dans le secteur de l'électronique et de l'informatique, comme Intel, Compaq ou EDS. Avec mille licences Notes, vingt serveurs et trois cents cinquante bases de données, un constructeur en électronique a pu réussir, par une application destinée au contrôle de qualité, à réduire d'un facteur vingt-cinq le nombre des lots rejetés. Par ailleurs, Notes a permis d'améliorer les relations de l'entreprise avec ses vendeurs. Dans ce secteur, les applications typiques couvrent la planification de la production et du développement, la validation des systèmes, les réparations, es ventes de licences de logiciels et le service support aux clients. Dans le cas cité de contrôle de qualité, la durée du retour sur investissement n'a pas excédé un mois et demi.

Les résultats obtenus par des sociétés de service telles que Price Waterhouse vont dans le même sens, de tels logiciels favorisant une meilleure utilisation de l'expertise accumulée par ses quarante six mille consultants répartis dans le monde entier. Dans des activités de production, comme le développement d'un logiciel très complexe (le système de réservation aérienne Amadeus) auquel accèdent quelque 64 000 terminaux dans le monde, des bases de documents partagées mises en place en quelques semaines ont permis de ramener le temps moyen de correction des erreurs dans le logiciel de dix jours à une journée en moyenne.

A terme, la bureautique communicante aura des incidences de plus en plus profondes sur l'organisation et l'efficacité des entreprises, ainsi que sur le marché des services à valeur ajoutée. Son extension s'accompagne de modifications rapides du paysage informatique. Tant les grands constructeurs que les SSII, mais aussi les distributeurs, rencontrent des difficultés face à la vente par correspondance et à la diffusion de plates-formes de développement. Par ailleurs, des sociétés de services et opérateurs de télécommunications s'apprêtent à soulager les entreprises de l'exploitation des ressources de la bureautique communicante (gestion du parc de micro-ordinateurs et de serveurs, administration du réseau étendu), comme ils le font pour les grands systèmes informatiques.

De nombreux problèmes restent toutefois à résoudre. Les utilisateurs impliqués par ce changement (cadres intermédiaires et supérieurs) doivent comprendre qu'à leur activité de gestionnaires d'hommes et de budgets s'ajoutera désormais une activité de négociation, nécessaire pour faire accepter leurs idées dans des environnements où l'information sera visible par les personnes autorisées. Les informaticiens aussi vont évoluer. Ils ont longtemps cru devoir mépriser la micro-informatique, qu'ils considéraient comme un " gadget ". D'où le caractère disparate des matériels et des logiciels dans nombre d'installations bureautiques, tandis que l'analyse de diverses activités administratives ou d'autres activités méritant une informatisation reste à faire. Aujourd'hui, les informaticiens abordent la micro-informatique avec la rigueur méthodologique qu'ils avaient auparavant utilisée pour les grands systèmes.

La profondeur des apports de la bureautique communicante aux entreprises peut expliquer la relative lenteur de sa mise en place : il n'est ni aisé, ni exempt de risques de modifier une organisation difficilement et longuement rodée. Au-delà des gains de productivité qu'elle apporte aux organisations actuelles, la bureautique communicante permet d'envisager des missions nouvelles pour l'entreprise, qui s'appuieraient sur le partage des mêmes informations entre des partenaires disséminés dans le monde. Il se pourrait que la bureautique communicante connaisse l'évolution qui a caractérisé le téléphone et la télécopie, et qui est typique dans les télécommunications : la pénétration est lente au début, mais passé un certain seuil la demande croît vite. Puis elle devient si unanime que toute entreprise non équipée s'exclut du marché, et que l'outil autrefois nouveau devient banal.

Sources 

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T. Malone et K. Crowston " What is coordination theory and how can it help to design cooperative work systems ", ACM New York 1990

R. Dunham " Business design technology software development for customer satisfaction " Proceedings of the fourth annual Hawaii international conference on system science, vol. 3, Hawaii, 1991

A. Tanenbaum " Réseaux : architecture, protocoles, applications " InterEditions 1990

C.A. Ellis et al., " Groupware ", Communications of ACM, 1991

" Groupware Today ! ", Network World, n° spécial, juin 1992.

" Industry marketing statistics " Computer and Business Manufacturers Association, 1991

J. S. Henry " The impact of Lotus Notes on productivity ", Lotus Progress Report, 1992

POUR EN SAVOIR PLUS

P.G. W. Keen, Shaping the future. Business design through information technology, Harvard Business School Press, 1991.

T. Winograd et F. Flores, Understanding computers and cognition, Addison-Wesley, 1989.