Beaucoup de personnes détestent les chercheurs, les méprisent, aiment à se moquer d'eux. Ce sont des "professeurs Nimbus", entend-on dire. "Je
préfère les trouveurs", disait Pompidou. Dans son discours du 22
janvier 2009 sur la recherche et l'innovation,
Nicolas Sarkozy leur a dit : "je vous
remercie d'être venus, il y a de la lumière, c'est chauffé..."
L'esprit de la recherche est
étranger à ces personnes : elles ne conçoivent pas que l'on puisse trouver du
plaisir dans l'exercice de la pensée (en mathématiques), dans la compréhension
des phénomènes naturels (en physique, chimie, astronomie, biologie etc.) ou
sociaux (en économie, sociologie etc.). Elles ne partagent aucunement la
passion qui anime le chercheur.
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Cette passion, attisée par le rêve, trouve son aliment dans
les nombres : le titre de l'ouvrage de Jacques Blamont, Le chiffre et le
songe, est donc parfaitement
judicieux. Les chercheurs qu'il présente - Tycho Brahe, Kepler, Copernic, Galilée,
Descartes, Newton etc. - sont tous habités par un rêve et guidés par des
associations d'idées. Leurs textes sont remplis d'"erreurs", d'idées que
l'expérimentation a, depuis, conduit à rejeter : mais elles ont été pour eux autant
d'étapes nécessaires.
Car ces idées ont été soumises à la mesure, au nombre. La
précision des mesures lentement accumulées par Tycho Brahe permet à Kepler de reconnaître que la
trajectoire d'une planète forme non pas un cercle, mais une ellipse, et cela ouvre la voie à la dynamique de Newton.
Enfin le rêve, instruit et gouverné par le nombre, prend forme
et se structure en théorie ; celle-ci, alors, court le monde,
s'institutionnalise et se refroidit en s'éloignant du volcan de la réflexion
individuelle, lieu de naissance naturel de toute idée nouvelle - y compris de
celles dont la mise au point réclame un travail collectif. C'est alors, et alors
seulement, qu'elle peut avoir une "utilité sociale", donner lieu à des
innovations, faire naître des produits.
* *
Ceux qui, tirant sur la plante pour la faire pousser, veulent
aller trop vite vers l'utilité, ne comprennent pas que celle-ci puisse prendre
sa source dans la dialectique intime, passionnée, du songe et du chiffre. Ils
voient la réalité solide de la roche, non la souple dynamique de la lave en
fusion ; ils voient le résultat, non la démarche.
Sous prétexte d'efficacité, de pragmatisme, de productivité,
que sais-je ! ils tuent la poule aux oeufs d'or en ridiculisant la recherche et
en décourageant les vocations de chercheurs. Au sein des organismes de recherche
ils encouragent, en feignant de les combattre, la bureaucratie et les
corporatismes, le publish or perish et la course à la notoriété, qui ont
avec l'esprit de la recherche le même rapport que celui de la prostitution avec
l'amour : si l'apparence est semblable, un gouffre les sépare. |