Extrait de :
Bernanos "La France contre les robots" Robert
Laffont 1947
p. 210
[Considérons] ce type si parfaitement représentatif, en un
sens, de l'ordre et de la civilisation des machines, l'aviateur bombardier [...] Le brave
type qui vient de réduire en cendres une ville endormie se sent parfaitement le droit de
présider le repas de famille, entre sa femme et ses enfants, comme un ouvrier tranquille
sa journée faite. "Quoi de plus naturel !" pense l'imbécile, dans la logique
imbécile, "ce brave type est un soldat, il y a toujours eu des soldats". Je
l'accorde. Mais le signe inquiétant, et peut-être fatal, c'est que précisément rien ne
distingue ce tueur du premier passant venu [...] Un vieux routier espagnol, un lansquenet
allemand, ivrogne, bretteur et paillard, se mettaient, comme d'eux-mêmes, en dehors, ou
en marge de la communauté.[...] Le bombardier d'aujourdhui, qui tue en une nuit
plus de femmes et d'enfants que le lansquenet en dix ans de guerre, ne souffrirait pas
qu'on le prît pour un garçon mal élevé, querelleur. "Je suis bon comme le pain,
dirait-il volontiers, bon comme le pain et même, si vous y tenez, comme la lune. [...] ce
que je fais, ou ne fais pas, lorsque je suis revêtu d'un uniforme, c'est-à-dire au cours
de mon activité comme fonctionnaire de l'Etat, ne regarde personne".
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