Conseils que la princesse de Parme reçoit de
sa mère
(Marcel Proust, A la recherche du temps perdu,
Le côté de Guermantes II, 1921 ; Robert Laffont, collection "Bouqins",
vol. 2 p. 352)
Ce sont les "préceptes orgueilleusement
humbles d'un snobisme évangélique" :
"Rappelle-toi que si Dieu t'a fait naître
sur les marches d'un trône, tu ne dois pas en profiter pour mépriser ceux à
qui la divine Providence a voulu (qu'elle en soit louée !) que tu fusses
supérieure par la naissance et par les richesses. Au contraire, sois bonne pour
les petits. Tes aïeux étaient princes de Clèves et de Juliers dès 647 ; Dieu
a voulu dans sa bonté que tu possédasses presque toutes les actions du canal
de Suez et trois fois autant de Royal Dutch qu'Edmond de Rothschild ; ta
filiation en ligne directe est établie par les généalogistes depuis l'an 63
de l'ère chrétienne ; tu as pour belles-sœurs deux impératrices. Aussi n'aie
jamais l'air en parlant de te rappeler de si grands privilèges, non qu'ils
soient précaires (car on ne peut rien changer à l'ancienneté de la race et on
aura toujours besoin de pétrole), mais il est inutile d'enseigner que tu es
mieux née que quiconque et que tes placements sont de premier ordre, puisque
tout le monde le sait. Sois secourable aux malheureux. Fournis à tous ceux que
la bonté céleste t'a fait la grâce de placer au-dessous de toi ce que tu peux
leur donner sans déchoir de ton rang, c'est-à-dire des secours en argent,
même des soins d'infirmière, mais bien entendu jamais d'invitation à tes
soirées, ce qui ne leur ferait aucun bien, mais, en diminuant ton prestige,
ôterait de son efficacité à ton action bienfaisante".
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