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Deux livres, une émission

24 mai 2001

Ces derniers jours, les deux livres les plus vendus sur www.amazon.fr étaient "La vie sexuelle de Catherine M.", de Catherine Millet et "Services spéciaux Algérie 1955-1957" du général Aussaresses. J'ai lu les extraits publiés par la presse et les déclarations des auteurs ; l'opinion que je m'en suis faite m'a ôté l'envie de les lire. Ainsi, et par exception, ce n'est pas des livres eux-mêmes que je parle ici, mais de ces extraits et déclarations. 

Mme Millet dit "je baise comme je respire". Si c'était vrai, ce serait dommage pour elle car son expérience serait bien lacunaire. Ayant pris le parti de la banalisation, elle écrit des comptes rendus d'un réalisme clinique. Mais en matière d'érotisme seule joue la suggestion. Ce qui est dit ou montré perd forme et substance, comme ces poissons des profondeurs qui éclatent quand on les monte à la surface. Le film le plus érotique que j'aie vu est "Le bel âge", de Pierre Kast, où la sensualité est purement allusive. Les exhibitions génitales fatiguent la sensation et laissent froid.

Le général Aussaresses dit n'avoir ressenti aucune émotion lorsqu'il martyrisait des prisonniers. Je reconstitue ici son raisonnement : "Comme je suis quelqu'un de bien, je sentirais une émotion si je faisais quelque chose de mal. Or je n'ai rien ressenti lorsque je torturais. Donc la torture n'est pas un mal. D'ailleurs elle est efficace et ceux qui la critiquent sont de belles âmes hypocrites. Les meurtres, ne m'ayant rien fait non plus, relèvent de la même analyse". Cet officier érige donc, comme un enfant gâté, sa réaction émotive en critère moral. Son jugement aurait été plus sûr s'il avait été formé au respect de l'autre, notamment quand l'autre est en position de faiblesse, ce qui est éminemment le cas du prisonnier que l'on tient désarmé entre ses mains. Il existe deux formes de lâcheté : l'une est de manquer de courage devant le danger, elle se corrige par l'entraînement ; l'autre est de maltraiter des personnes sans défense, elle se corrige par la formation morale.

Ces deux auteurs se rejoignent dans l'absence d'émotion conjuguée au besoin irrésistible de dire leur vérité. Or que nous apportent ces "vérités" ? Une question.

Nous sommes formés à croire que la vérité réside dans le compte rendu des faits, compte rendu qui devrait être "objectif", "froid", "clinique". Certes telle chose a eu lieu, telle autre non, c'est la part de vérité que contient un compte rendu. Mais le sens de cette chose, c'est l'ébranlement qu'elle provoque dans l'esprit d'un être humain, la trace qu'elle grave dans sa mémoire. Raconter ou décrire un fait en disant : "il s'est passé ceci et cela, ça ne m'a fait ni chaud ni froid", c'est ne rien dire qui vaille. Se faire gloire de cette impassibilité, et sur des sujets aussi sensibles que la sexualité ou l'attitude envers les personnes sans défense, c'est faire implicitement l'apologie de rapports humains où le respect envers la personne ferait place à l'activité machinale d'une individualité capricieuse. 

L'émission "Loft Story" prétend elle aussi présenter une "vérité". Comme elle m'ennuie infiniment, je ne l'ai pas assez regardée pour avoir un avis. J'ignore si les éruptions morales qu'elle occasionne sont signe avant-coureur d'une évolution vers l'esprit de responsabilité ou si elles constituent un règlement de comptes entre générations, déguisé en appel à des principes que l'on ressuscite pour l'occasion.