Commentaire sur :
Bertrand Gille, Histoire des techniques, Gallimard La Pléiade 1978
Bertrand Gille part d'un postulat : l'histoire de l'humanité
serait scandée par la succession de "systèmes techniques", caractérisés
chacun par la synergie entre quelques technologies fondamentales.
Puis il illustre ce postulat en décrivant les systèmes
techniques de la pierre taillée, de l'industrie antique (utilisant la main d'œuvre
servile), de l'industrie manufacturière (qui utilise d'abord l'énergie éolienne ou
celle des cours d'eau, puis la machine à vapeur), de la mécanique et de la chimie qui
ont dominé le XIXe siècle et la première moitié du XXème, enfin de l'électronique
et de l'informatique qui est le système technique d'aujourd'hui.
Est-ce dire que les systèmes techniques déterminent
l'histoire ? Non, car cela étirerait trop la portée du modèle ; mais par contre ils
déterminent ce qui est possible, dans chaque période, pour la production des biens et
services et donc pour la satisfaction des besoins. Ils déterminent l'histoire par le
biais du possible économique, et dans la mesure où ce possible influence l'histoire -
mesure qui n'est sans doute pas négligeable.
Certains réfutent le postulat de Gille en l'accusant de
"technicisme" (doctrine qui consiste à croire que la technique peut résoudre
tous les problèmes que rencontre l'humanité, et qui a de moins en moins de partisans).
L'accusation est injuste, car jamais Gille n'a défendu cette doctrine. Et on peut renvoyer
les critiques à leurs propres préjugés : s'ils réfutent le rôle historique de la
technique, c'est qu'ils ont en tête d'autres postulats et vont chercher l'explication de
l'histoire du côté de la politique, ou de l'économie, ou de la sociologie, ou des
rapports de force, de sorte que si l'on cédait comme eux à la tentation de la caricature
on pourrait les accuser de "politicisme", "économisme",
"sociologisme", "dynamisme", etc.
La technique joue un rôle important dans notre vie
quotidienne (chaque logement dans les pays riches est comme un petit musée des nouvelles
technologies) comme dans notre vie politique (la majorité de l'effort de recherche des
pays riches est consacrée à l'armement). Ce n'est pas aimer la technique, ni être sa
dupe, que reconnaître cette importance et lui consacrer la réflexion qu'elle mérite.
C'est ce que j'ai essayé de faire notamment en étudiant l'économie des nouvelles technologies. J'ai
une dette importante envers Bertrand Gille.
|