Commentaire sur :
Jean-Luc Gréau, L'avenir du capitalisme, Gallimard
2005
10 octobre 2007
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Les auteurs des textes qui
critiquent la financiarisation, la mondialisation,
les stock-options etc. manquent souvent de
compétence et de discernement ; ils mettront par
exemple "tous les patrons dans le même panier",
alors que nous avons tant besoin d'entrepreneurs
véritables. Ils émettent un cri de souffrance
alors que nous avons besoin non pas de cris, mais
de raisonnements bien articulés.
Jean-Luc Gréau nous
offre une perle rare : un livre d'économiste
fondé sur une expérience et une réflexion solides,
affranchi des oeillères qui bornent trop souvent les
vues de la corporation, classique dans
sa rigueur et original au meilleur sens du mot.
C'est un livre à lire et relire,
exceptionnellement dense et instructif. Le résumé
ci-dessous n'en donne qu'un aperçu très partiel.
Gréau a été économiste au MEDEF :
il n'est pas de ceux qui vitupèrent l'entreprise
ni le capitalisme, il connaît l'utilité des
entrepreneurs et respecte leur action. Mais il
n'est pas dupe des prédateurs qui se faufilent
parmi les dirigeants. Sa réflexion porte
sur la bourse et le rôle de l'actionnariat ainsi
que sur
l'équilibre offre-demande au niveau mondial. Il
plaide pour l'équité de la rémunération du travail
et la revalorisation de l'espace économique
national.
Bourse et actionnariat
La bourse, dit Gréau,
a
cessé de financer les entreprises : en fait
celles-ci subventionnent les détenteurs d'actions car les
gestionnaires des fonds de placement leur imposent
le rachat de leurs actions ou exigent des
dividendes énormes. À preuve : les entreprises
cotées ont accumulé les dettes alors que l’argent
affluait à la bourse.
La
bourse a donc perdu sa raison d'être. Elle permet aux fonds
de placement d’exercer une action prédatrice sur les sociétés cotées ; déforme la
valeur que l’on peut attribuer aux entreprises à
partir de critères économiques ; complique la mission de régulation des
banques centrales ; entraîne des frais
généraux considérables ; offre de nombreuses
occasions de délits d’initiés
contre lesquels le système judiciaire est
désarmé ; facilite les raids hostiles contre
des sociétés viables et les actions de
désinformation au détriment d’entreprises stratégiques
dans la compétition internationale.
Il ne saurait y avoir de pouvoir de l’actionnaire, dit Gréau,
sans un lien contractuel avec l’entreprise. Celle-ci a pour objet de "réaliser
des combinaisons productives originales". La rémunération des apporteurs de
capitaux doit résulter de leur contribution effective à cet objet et non d’un
droit de propriété qui n’est qu’une fiction. Il faut donc que le droit des
actionnaires se fonde sur leur présence durable au capital de l’entreprise : on ne peut pas se prétendre actionnaire d’une entreprise que l’on peut déserter
d’un instant à l’autre.
L'équilibre offre demande au niveau mondial
La pression des fonds de placement
incite les entreprises à comprimer les salaires
outre mesure, ce qui prive les salariés du fruit
du gain de productivité. La délocalisation déplace
par ailleurs le travail vers les zones à bas
salaire. De ces deux phénomènes résulte, au niveau
mondial, un déséquilibre entre l'offre et la
demande. Il est résorbé grâce à l'endettement
extravagant des ménages américains.
Dans les pays anglo-saxons, la dette des ménages
dépasse largement le montant de leur revenu
annuel. L'endettement
ne saurait cependant s'accroître au-delà d'un
seuil, difficile à anticiper mais cependant réel.
Le déséquilibre offre-demande est gros d'une crise
latente. Les Etats-Unis, source d'innovation et
d'organisation, sont un cancer financier.
Il est malsain de traiter les
salariés en hilotes alors que les dirigeants
s'accordent des rémunérations somptuaires. Les
profits d’aubaine que permet la compression des
salaires encouragent la valorisation excessive des
actions, tandis que les stock-options incitent
les managers à aligner leurs conceptions et leurs
objectifs sur ceux des gérants de fonds.
Revaloriser l'espace économique
national
Les libéraux d'aujourd'hui
ignorent que le développement économique de ces trois derniers siècles a
nécessité une rénovation de la forme politique, qui a dû cesser de s’appuyer sur
la logique de la prédation pour épouser celle de l’innovation et de l’échange.
Il n’existe pas d’exemple de développement
réussi qui n’ait été fondé sur une volonté et une vision nationales. A l’origine
du capitalisme on trouve toujours un capital national, un travail national,
orientés tous deux vers un marché national : seule cette configuration permet la
réussite d'un phénomène aussi complexe que la naissance d'une nouvelle
organisation de la production, de la demande et du marché. L'application
dogmatique du libre-échange, sans exception ni précaution, est catastrophique.
La prédation
La
légalisation des OPA hostiles a laissé le champ libre aux prédateurs
d’entreprises. Elle permet des regroupements d’entreprises sans forte
justification économique, sans la préparation préalable qui pourrait en
faciliter la réussite.
La moralisation des affaires, engagée aux
Etats-Unis après les scandales Enron et WorldCom, n'a pas abouti : dans les
années 2003-2004, on a encore été scandalisé par la rémunération que s'est
attribuée le président de la bourse de New York, ainsi que par les
manipulations de cours
auxquelles se sont livrés les gérants des fonds mutuels dans leur intérêt
personnel et dans celui des entreprises qui les soudoyaient.
Le
choix de la productivité implique, pour les agents économiques qui s’y
efforcent, l’espérance de voir leur efficacité librement reconnue par leurs
acheteurs ; il est à l'opposé du choix de la prédation, qui consiste à imposer
un avantage indu découlant d’une position de force dans les relations
économiques.
C'est aux États qu'il revient de prendre les
dispositions qui feront jouer les calculs des entrepreneurs dans le sens de
l’intérêt général. |