Kater Murr, publié en
1821, dépasse en fantaisie ce que les surréalistes ont produit de plus débridé.
Il appartient à la période bénie qu’a connue la littérature allemande dans la
première moitié du XIXe siècle : il faut le classer à côté des
Affinités électives (1809) de Goethe (1749-1832) ou de La Marquise d’O
(1808) de Heinrich von Kleist (1777-1811).
Deux textes différents
s'entrelacent selon une technique qui a peut-être inspiré Boulgakov pour Le
Maître et Marguerite : les mémoires d’un chat nommé Murr et la biographie du
maître de chapelle Johannes Kreisler. Murr et Kreisler représentent, bien sûr,
deux faces de la personnalité de Hoffmann (1776-1822).
Le chat Murr a, en observant
son maître, appris à lire et à écrire. Ébloui par son propre génie il publie des
livres et des poèmes où il célèbre, sur le ton de la plus haute mystique, l’extase
sensuelle que lui procurent les bons morceaux dont son maître le régale ou
le plaisir de s’étirer sur un coussin. Certains de ses amis chiens lui
apportent, sur les mœurs des hommes, un témoignage éclairant.
Kreisler, artiste épris d’idéal
mais un peu détraqué, est pris dans le tourbillon des intrigues d’une minuscule
cour ducale. Il aime, bien sûr ! une pure jeune fille promise à tous les
malheurs.
La pureté est virginale, les
ruisseaux sont limpides, le soleil ourle d’un reflet doré les perspectives de la
forêt etc. Nous nageons parmi les poncifs, c’est écrit au fil de la plume, on
est tout près de lâcher le livre mais… on comprend soudain que l’auteur se
moque. Il fait passer des allusions subversives sous des portraits à double et
triple sens, des situations absurdes, des envolées lyriques d'une feinte
naïveté. Il passe à l’occasion en contrebande, sans jamais
s’appesantir, ce qui lui tient à cœur.
Et la navette qui passe d’un récit à
l’autre fait rebondir gaiement les ressorts de l’intrigue, tout comme dans Le
Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki.
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