Commentaire sur :
Gérard Jean "Urbanisation du business et des
SI" Hermès 2000
Pour une fois que l'on trouve un livre intéressant
sur les systèmes d'information, écrit en bon français, nous n'allons pas
bouder notre plaisir ! On y trouve une
analyse pertinente de la situation actuelle de l’informatique et des systèmes
d’information (pp. 9 et 10, 29 à 32), ainsi que des recommandations
judicieuses.
Gérard Jean, président d'Altime, est l'un des pionniers de
la professionnalisation des maîtrises d'ouvrage en France. Il présente depuis plusieurs
années un diagnostic : l'état du possible technique conduit les entreprises à définir
leur stratégie en termes de système d'information en la faisant coller au plus près des
processus de production de valeur dans ses divers métiers.
Il en résulte une réévaluation de la responsabilité des
"maîtrises d'ouvrage", des métiers clients eux-mêmes,
vis-à-vis de l'informatique. Ils avaient délégué à celle-ci non seulement la responsabilité
des plates-formes
et solutions, mais aussi celle des fonctionnalités du système d'information. Ils doivent
désormais, pour assimiler les nouveaux
savoir-faire associés au commerce électronique, à la coopération entre partenaires,
à la relation clientèle etc., assumer eux-mêmes la définition fonctionnelle ainsi que la
conduite du changement et la formation des utilisateurs
Gérard Jean présente un constat et décrit les méthodes
permettant à une entreprise d' "urbaniser" son système d'information.
Il insiste sur l’importance des identifiants (l’exemple du RIB p. 29 est intéressant
: en rattachant l’identifiant d’un compte bancaire à l’agence et non au
client, on s’interdit de voir l’ensemble des comptes d’un client et donc
d’analyser les risques le concernant), le rôle de la maîtrise d’ouvrage
(p. 73 ; l’organigramme de la MOA p. 107 laisse rêveur, si on le compare à
ce que l'on rencontre souvent dans nos entreprises), la distinction entre maîtrise
d’ouvrage stratégique et maîtrise d’ouvrage opérationnelle, la hiérarchie
des métiers, domaines, processus et activités, le besoin de cohérence entre
le SI et l’Internet etc. Le survol historique de l’utilisation de
l’informatique par les entreprises apporte une mise en perspective opportune. La description tire parti d'une riche
expérience.
On peut toutefois regretter que l'urbanisation du "système
informatique" (la partie informatique d'un système d'information) soit seulement
esquissée. L’architecture suggérée
autour du bus EAI ("Enterprise Application Integration") est séduisante, mais trop imprécise pour
convaincre un spécialiste. La
distinction entre " système d’information " et " système
informatique " reste elle aussi imprécise parce qu'elle ne s’appuie pas sur
l'articulation entre informations et données, entre modélisation
et implémentation.
L'ouvrage n’évoque ni l’impératif
du bouclage des processus, ni l’opportunité d’une modélisation des métiers ;
il ne parle pas des langages : rien sur UML ni sur l’orienté-objet. Il détaille
les compétences nécessaires à la maîtrise d’ouvrage, non celles que doit
posséder l’informatique. Il ne parle pas des systèmes d’aide à la décision
ni des tableaux de bord qui constituent pourtant la fine pointe d’un SI.
On regrettera surtout que les résistances, leurs raisons,
la façon de les contourner ne soient pas évoquées. A aucun moment il n'est
question d’animation, d’écoute, d’infléchissement des procédures
existantes. Il s'agit de concevoir d’abord le plan d’urbanisme, puis la
transition pour l’appliquer : mais comment assurera-t-on l’adhésion de
l’entreprise à une démarche aussi volontariste ? Cette démarche convaincra
les
dirigeants épris d'idées claires, mais sera souvent bloquée
lors de la mise en oeuvre.
Le concept d’urbanisation lui-même,
qui semble clair et évident, présente des inconvénients. Bien sûr l’évolution
d’un SI, comme celle d’une ville, nécessite des arbitrages entre l’intérêt
commun et les intérêts particuliers. Mais la logique de l’information, qui
vise au partage des représentations et connaissances à travers les
processeurs, mémoires, réseaux et interfaces, est différente de celle d’une
ville (logements, lieux de travail et de distraction, voies de circulation, réseaux
d’eau, d’énergie et de télécommunications etc.) au moins autant qu'un immeuble
est différent d'une information. L'évidence de l'analogie risque de
faire oublier des distinctions nécessaires.
Au total, c'est un livre utile même s'il
nécessite des compléments. Il fournit une grille de diagnostic qu'il est intéressant
d'appliquer à sa propre entreprise : je vous invite à faire l'exercice.
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