Commentaire sur :
Donald E. Knuth, Digital Typography,
Stanford University, CSLI, 1999
3 juillet 2002
Knuth raconte pourquoi et comment il a
développé TeX et Metafont. Notons que TeX doit se prononcer "tek",
car la dernière lettre est un χ
grec et non un x latin ; Knuth, pour sa part, prononce le χ
comme le ch du "Ach" allemand (The TeXbook, Addison Wesley
1996).
Knuth était mécontent de la typographie de ses livres et désolé par l'évolution
des techniques de composition qui, moins coûteuses certes que la composition manuelle, avaient
perdu en finesse notamment pour les formules mathématiques. Il croyait impossible de dessiner de beaux caractères avec
l'ordinateur à cause de l'aspect crénelé que donnent les pixels.
Un jour il découvre que l'encre d'imprimerie lisse les
pixels si la
définition est assez fine. Mais si l'on peut
dessiner des caractères avec des 0 et des 1, c'est de l'informatique, et Knuth
connaît cela ! Alors il laisse ses autres travaux en plan et consacre une
dizaine d'années à la mise au point d'un
traitement de texte conforme à ses goûts. Il
renoue ainsi avec la tradition des artistes de la Renaissance. Certaines lettres lui donnent du souci : comment dessiner un S agréable à l'œil ? un
δ
convenable ? (le δ de TeX est beaucoup plus beau que celui-ci, fourni par la police Arial). Une fois ses outils au point, il
a
repris le cours de ses autres recherches et publications. Ses
textes sont maintenant composés avec TeX et Metafont.
J'ai
compris en lisant Digital Typography
la générosité de Knuth, son respect envers le
lecteur, être anonyme et abstrait mais qui, pour un auteur, représente
l'humanité entière. L'auteur qui respecte son lecteur est un humaniste. J'ai compris
aussi le style de Knuth : il s'explique sans un mot de trop mais à
loisir car il entend communiquer au lecteur à la fois ses intentions, sa
méthode et ses résultats. D'où une rare association d'humour et de
rationalité, d'allusions à la vie courante (cuisine, films, famille) et de
démonstrations rigoureuses. C'est ainsi, en effet, que nous vivons
et raisonnons ; mais comme les auteurs qui écrivent de la sorte sont
rares, nous sommes déconcertés quand nous en rencontrons un.
Un
tel style exige une lecture à plusieurs vitesses. Les passages en langage naturel
se lisent à la vitesse de la conversation. Puis arrive un paragraphe en langage
mathématique : on doit ralentir comme le fait un skieur lorsque la qualité
de la neige change. Il faut se munir d'un papier et d'un crayon pour recopier
ligne à ligne les équations et procéder aux vérifications mécaniques sans lesquelles on
n'est jamais certain d'avoir compris. On ne peut accepter un tel effort que si l'on est en
confiance, si l'on sait que l'auteur est assez économe du formalisme pour ne
s'en servir que lorsqu'il ne peut pas s'expliquer autrement.
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