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Commentaire sur :

François Jullien "Lu Xun, écriture et révolution" Presses de l'École Normale Supérieure 1979

C'est le premier ouvrage publié par François Jullien, et il sent encore l'École : le style est déjà riche, mais la terminologie est abstraite et fait une large place aux notions du cours.

C'est pourtant un livre intéressant pour les amateurs de François Jullien, parce que l'on y voit une pensée en formation à travers son dialogue avec Lu Xun.

Lu Xun a eu le malheur d'être après sa mort béatifié par les communistes chinois, qui l'ont considéré comme un précurseur : sa maison a été transformée en musée, sa biographie est devenue une vie de saint édifiante. S'il n'était pas mort en 1936, il aurait fini en camp de rééducation : qu'auraient-ils pu faire, ces bureaucrates, d'un esprit aussi indépendant, aussi sensible ?

Lu Xun, d'abord fasciné par la psychanalyse, a pris ses distances. "Sans doute Freud a-t-il de l'argent et mange-t-il plus qu'à satiété ; ce qui expliquerait qu'il n'a pas éprouvé les difficultés auxquelles on se heurte pour se nourrir et n'a donc prêté attention qu'au désir sexuel. [...] le désir de se nourrir est plus profondément ancré dans l'homme que le désir sexuel". Et il explique que si les nourrissons tendent les lèvres, ce n'est pas pour faire des baisers, mais pour manger. Cela a l'air d'une plaisanterie, mais à la réflexion ... avez vous d'ailleurs connu la faim ?

Il rencontre l'obstacle de la vérité officielle qui lui est opposée par les notables : " même si je dis que deux et deux font quatre, que trois fois trois font neuf, tout cela est faux. Et, puisque tout cela est faux, quand les notables ouvrent la bouche pour dire que deux et deux font sept ou trois fois trois font mille, etc., alors, évidemment, ils ont raison". Les notables ont raison, et raison évidente, parce qu'ils sont maîtres de l'évidence que le pouvoir impose par son propre poids.

Le style de Lu Xun est orné et coloré. Dans la situation politique de son temps, il ne peut pas se permettre de dire ce qu'il pense ; il utilise donc les techniques du langage indirect que François Jullien analysera dans ses travaux ultérieurs : adhésion simulée aux idées de l'adversaire, dont les conséquences sont poussées jusqu'à l'absurde ; connotations teintant de ridicule ce que l'adversaire respecte ; appels discrets à l'émotion lorsque l'auteur affleure, sans y toucher, des idées auxquelles il tient ; lourdeur, légèreté, insistance, rapidité, dosées pour éveiller tantôt l'adhésion, tantôt le malaise.

Lu Xun se méfie de ce qui est officiel ; au sérieux formel du confucianiste, il oppose un sérieux personnel qui prend la forme de la contestation moqueuse la plus débridée. Les Chinois ne cessent pas de nous surprendre : du sein même d'une tradition millénaire, sortent les démarches les plus contestataires ; du sein de l'Empire du milieu centré sur lui-même, sort la curiosité la plus déliée envers les pensées et littératures étrangères.