Commentaire sur :
Margrave de Bayreuth
"Mémoires" Mercure de France 2001
8 juillet 2001
On la compare à Saint-Simon ; il vaudrait mieux la
comparer à la princesse Palatine, dont elle est parente et à qui elle
ressemble.
Elle était la sœur de Frédéric II de Prusse,
Frédéric le grand, donc la fille de Frédéric-Guillaume Ier. Frédéric-Guillaume
avait gardé de sa jeunesse, passée dans une cour raffinée et très dépensière,
l'horreur de la culture et des arts dans lesquels il voyait la ruine de l'État.
Il construisit la puissance de la Prusse sur l'armée et sur l'argent qu'il
accumulait en avare. Il voit avec horreur
son fils Frédéric s'intéresser à la lecture, à la musique, à la
poésie. Chaque fois qu'il le rencontre, il l'insulte et
il le bat dès avec une telle violence
qu'il manque plusieurs fois de le tuer. Le jour ou Frédéric se révolte et
tente de s'enfuir, il le fait emprisonner, juger, et peu s'en faut qu'il ne le
fasse condamner à mort pour désertion. Il fait décapiter
sous les yeux de son fils
un jeune officier qui était peut-être son amant. Cela
faillit rendre Frédéric fou.
La future margrave de Bayreuth compatit avec ce
frère qu'elle aime beaucoup et souffre comme lui des colères paternelles. Elle
souffre aussi des ambitions de sa mère, qui veut à tout prix
que sa fille
soit reine d'Angleterre : d'où projet de mariage, ambassades, négociations, etc.
Tout cela rate ; la princesse se mariera avec le margrave de Bayreuth, sa
mère en éprouvera un dépit dont elle lui tiendra rigueur.
Cependant le jeune Frédéric finit
par trouver
son équilibre. Il est colonel d'un régiment, ce qui l'éloigne de Berlin et de
son père ; il s'occupe le jour du service, le soir de lecture, de musique
et de plaisir. Son régiment impeccablement tenu manœuvre à merveille, ce qui
lui réconcilie son père. C'est ainsi que s'est formée la personnalité complexe
de Frédéric. Il n'y a pas, dit-on, de stratège plus
redoutable que l'intellectuel, pour peu qu'il ait l'occasion d'acquérir les
connaissances techniques nécessaires, car il est alors capable à la fois de
pratiquer
et de dominer l'art de la guerre. Frédéric-Guillaume avait construit une armée puissante
qu'il s'était bien gardé d'utiliser, car il aurait eu trop peur de l'abîmer.
Frédéric, dès qu'il est roi, s'empare de la Silésie et entame sa carrière
de conquérant.
Il a alors changé de caractère,
il est devenu "sournois et dissimulateur", et sa sœur, désolée,
ne le reconnaît plus. Sa
vie de princesse est contrainte et dure : cérémonies ennuyeuses
et interminables sous des chaleurs ou des froids excessifs ; ennuis de famille,
calomnies, malentendus incessants qu'il faut toujours redresser ; voyages sur
des routes défoncées qui provoquent de dangereux accidents ; châteaux
inconfortables entourés de fossés puants ; nourriture irrégulière, souvent très insuffisante ; maladies fréquentes et mal soignées par des
médecins ignorants ; intrigues de cour, ambitions, jolies femmes qui tournent
autour du margrave. Elle décrit tout cela avec une franchise, une
pétulance dans la
moquerie telles que l'on croit en la lisant l'entendre rire, d'un rire que l'on
imagine cristallin, follement gai et ironique. Elle ne se portait pas bien, elle
est morte relativement jeune - sans doute de la tuberculose - , elle a subi bien
des tracas, mais à coup sûr elle a vécu pleinement sa tranche de vie.
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