Commentaire sur :
Edmond Marc et Dominique Picard "L'école de
Palo Alto" Retz 1984
Ce livre décrit une méthode thérapeutique dont on peut
s'inspirer dans la vie courante ou dans l'entreprise. De façon délibérée, cette
méthode tourne le dos à la recherche des causes et explications pour se concentrer sur
les comportements observables. Procéder ainsi, ce n'est pas nier que les phénomènes
psychologiques aient des causes ; mais c'est dire que pour les modifier il est souvent
préférable de débloquer les habitudes et automatismes incorporés aux comportements :
après quoi la personne "voit les choses" autrement et change pour de bon.
Un de mes amis avait vu quelqu'un sombrer dans la
dépression, et s'était juré de ne jamais se laisser prendre dans un piège aussi
pénible. Quelques années après, il reconnut en lui-même les symptômes précurseurs :
idées de suicide, insomnie, angoisse, crispations musculaires, mal à l'estomac et
troubles digestifs. Ce mélange de phénomènes physiques et psychiques résultait de
contrariétés sur les plans professionnel et personnel qu'il remâchait sans trouver
d'issue. Pour sortir de l'enchaînement dépressif, il pensa inutile de s'attaquer de
front aux phénomènes psychiques car ils ne cèdent pas à la volonté : il est
futile de chercher à remonter le moral d'un dépressif en lui disant : "Allons, mon
vieux, courage, ça ne va pas si mal, regarde la nature autour de toi comme elle est
belle, etc." Par contre, certains symptômes physiques peuvent se commander : lorsque
les traits du visage sont tirés et verticaux, on peut les détendre à l'horizontale en
imitant le Bouddha. Sourire quand on souffre protège d'ailleurs contre l'entourage qui,
par cruauté ou crainte de la contagion, persécute presque toujours la personne fragile.
Il a ainsi remporté de modestes victoires, mais toutes modestes qu'elles fussent elles
indiquaient une issue et progressivement l'enchaînement dépressif s'est dénoué.
On trouve dans l'"école de Palo Alto" des astuces
de ce type. Un adolescent reste, malgré les observations de ses parents, désordonné et
sale ; ils doivent faire son lit, ranger ses affaires, et ne supportent plus d'être ses
domestiques. Le thérapeute leur conseille de changer d'attitude : au lieu de récriminer,
ils s'agit de se mettre en position de faiblesse pour que l'autre soit incité à prendre
l'initiative. Il leur conseille ainsi de laisser tomber des miettes de pain dans le lit de
l'adolescent la prochaine fois qu'ils le feront. Lorsque celui-ci protestera, ils
s'excuseront d'un air confus, et diront qu'ils ont mangé un sandwich en faisant le lit.
Quelques jours après, l'adolescent juge plus expédient de faire son lit lui-même,
modeste victoire qui lui fait découvrir le plaisir de mettre de l'ordre dans ses
affaires.
Une assistante avait des rapports très tendus avec son
patron qui la trouvait trop autoritaire. Le thérapeute conseille : "la prochaine
fois que vous vous disputerez avec lui, demandez un entretien seul à seule, dites d'un
air gêné : "vous me rappelez mon père, c'est fou ce que vous m'attirez
sexuellement", et partez aussitôt". Dans les jours suivants les relations
s'améliorèrent du tout au tout : elle avait tellement peur de devoir dire cette phrase
qu'elle faisait tout pour éviter les disputes.
On est donc ici aux antipodes de la psychanalyse ; on ne
cherche pas à savoir pourquoi l'adolescent est désordonné, pourquoi l'assistante et le
patron ne s'entendent pas, mais on cherche à supprimer le phénomène en jouant sur ses
symptômes. Les techniques utilisées relèvent de la manipulation. Certains disent que
c'est moralement douteux, et que ce n'est pas rationnel : mais qu'importe, si en pratique
il faut faire l'économie de la raison et des habitudes morales pour résoudre le
problème dans lequel les gens se débattent ?
Il arrive souvent, dans une entreprise, que les personnes
soient coincées par une contradiction entre leurs habitudes et les exigences de leur
mission. Ainsi une personne formée dans une structure opérationnelle hiérarchique, qui
a pris l'habitude de transmettre des ordres vers le bas et des comptes rendus vers le
haut, est déconcertée si on lui confie une tâche où elle doit faire preuve
d'imagination créatrice ; un informaticien habitué aux langages de programmation a du
mal à tolérer le langage flou et ambigu dont se contente l'être humain, et s'exprime
avec une précision pédante ; un homme peu sûr de lui, sur la défensive, se donne le
masque de dureté et d'autorité qui facilite la carrière et le fait grimper au dessus de
ses capacités, après quoi il doit se défendre davantage encore etc. Avec ces diverses
personnes, il est inutile de procéder par analyse de la situation, explication des
causes, recherche rationnelle des moyens d'en sortir. Par contre, on peut créer une
situation telle qu'elles seront conduites à se comporter d'une façon différente : alors
elles découvriront des possibilités auparavant cachées ; ce sera pour elles le début
de la libération, de l'exploration de facettes jusqu'alors inconnues de leur personne et
des relations qu'elle entretient avec les autres.
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