Commentaire sur Pietro Redondi,
Galilée hérétique, Gallimard 1985 6 janvier
2008
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Ce livre étonnant décrit l'enquête qui a conduit l’auteur à
proposer une explication de l’« affaire Galilée » différente de celle
jusqu’alors admise.
Galilée (1564-1642), disait-on, a été
condamné en 1633 par l’Église parce qu’il adhérait au système héliocentrique de
Copernic. En fait, dit Redondi, ce procès a été une mascarade dont le but était
de protéger Galilée contre les conséquences d’une autre accusation, beaucoup
plus grave, qui aurait pu le conduire au bûcher comme hérétique.
Redondi a découvert en effet dans les
papiers du Saint-Office une dénonciation anonyme – mais dont l’écriture est
visiblement celle du père Grassi, éminent jésuite – qui accuse Galilée de
soutenir, en physique, une thèse inconciliable avec le dogme de l’eucharistie.
* *
L’affaire avait des ramifications politiques
et géopolitiques. Les jésuites, qui militaient contre le protestantisme, étaient
partisans de l’Autriche et de l’Espagne et adversaires de la France qui, sous
Richelieu, s’est alliée aux princes protestants. Ils avaient fait du dogme de
l’eucharistie la pierre de touche pour distinguer l’hérésie de l’orthodoxie. Ils
estimaient que le savoir devait se fonder sur l’autorité des livres saints et
des pères de l’Église.
A l’opposé de leur enseignement des
académies s’étaient fondées à Rome. Elles estimaient que Dieu s’exprime autant
dans le « livre de la nature » que dans les livres saints dont l’interprétation,
traditionnelle, pouvait donc être utilement complétée et même corrigée en
s’appuyant sur la démarche expérimentale. Elles refusaient absolument l’argument
d’autorité.
Entre les jésuites et les académies la
polémique mobilisait l’observation des faits, leur interprétation théorique et
des arguments théologiques. Galilée était le membre le plus brillant de la plus
brillante des académies, il Linceo (« le Lynx »). Grassi était le plus
éminent des jésuites. Chacun des deux clans poussait son champion à la dispute.
Urbain VIII (Maffeo Barberini, 1568-1644),
pape depuis 1623, était partisan de la France et donc hostile à l’Autriche et à
l’Espagne. Doté d’une solide formation intellectuelle et artistique, il était
favorable aux idées nouvelles, en particulier à celles de Galilée. Il s’était
ainsi attiré l’hostilité de plusieurs cardinaux puissants et aussi celle, discrète
mais active, des jésuites.
* *
D’après le dogme la consécration fait de
l’hostie le corps du Christ (transsubstantiation). Si l’hostie garde la forme,
la consistance, le goût, la couleur etc. d’un morceau de pain, c’est par suite
d’un miracle. Ce dogme a été énoncé lors du concile de Trente (1545), convoqué
pour répondre à la réforme protestante.
Nombreux sont sans doute aujourd’hui parmi
les fidèles ceux qui voient dans l’eucharistie un symbole, fût-il le plus
éloquent et le plus émouvant de la liturgie. Au XVIIe siècle il
fallait voir dans la transsubstantiation un phénomène physique réel, que
l’apparence du pain ne faisait que masquer. La concevoir autrement conduisait au
bûcher.
* *
Le pape avait toujours soutenu Galilée. Si
l’on établissait que la thèse atomiste de celui-ci contredisait le dogme, on
atteignait le pape lui-même et à tout le moins on blessait son autorité. Une
accusation d’hérésie pouvait même conduire à sa révocation.
La théologie avait alors une importance
politique semblable à celle que l’on accorde, de nos jours, au nucléaire et à
l'informatique. La guerre de trente ans battait son plein en Allemagne, les
nations s’affrontaient. Les ordres religieux se disputaient comme le font
aujourd'hui les services secrets. Le pouvoir qu’avaient les jésuites peut se
comparer à celui qu’a eu le KGB en Union soviétique.
L’affaire étant des plus dangereuses pour le pape, il fallait qu’il la désamorce. Par une manœuvre bureaucratique
habile il la fait évoquer devant une commission qu’il préside et qu'il
a peuplée de personnes sur lesquelles il peut compter. Puis, focalisant le
procès sur le seul héliocentrisme, il reproche à Galilée non pas une hérésie
mais de l’indiscipline. Enfin il le condamne à la prison mais il commue
immédiatement la peine en une assignation à résidence.
* *
La thèse de Redondi est solide et bien
étayée. Le récit de son enquête est plus passionnant qu’un bon roman policier.
Sa plume allègre nous fait pénétrer avec un grand luxe de détails les
préoccupations, priorités et conflits d’une époque dont la nôtre est issue, mais
qui en était fort différente.
Cette thèse contrarie évidemment tout le
monde : les partisans de Galilée, qui ne veulent voir dans son procès que la
lutte entre l’obscurantisme et la science naissante ; l’Église, qui ne souhaite
pas réveiller une dispute théologique assoupie ; les jésuites, taxés d’une
fourberie de plus ; les spécialistes de l’histoire des sciences enfin, qui
répugnent à réviser les milliers d’ouvrages érudits publiés jusqu’ici sur le
procès de Galilée. Galileo eretico a été publié en 1983 : ce livre ne date donc pas d'hier,
mais il n'est encore cité qu'avec réticence.
Bref, c’est le pavé dans la mare :
grenouilles sautent de toute part. |