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Cardinal de Retz, Mémoires, Garnier 1998

25 novembre 2001

Savez-vous d'où vient le nom de "Fronde" ? Lors du remue-ménage du parlement puis de la noblesse pendant l'enfance de Louis XIV (aux alentours de 1650), quelqu'un pour se moquer des trublions les compara aux gamins qui jouent à la fronde dans les fossés de Paris et qui s'égaillent dès qu'un agent de police ("lieutenant civil") arrive. Retz fit confectionner des rubans en forme de fronde, la mode fut de mettre ces rubans à son chapeau : le mot était lancé, les troubles prirent le nom de Fronde. La moquerie, la mode : nous sommes bien en France. 

Les comploteurs de la Fronde veulent "la gloire", "faire de grandes choses", prendre le pouvoir pour le plaisir. Ils luttent contre Mazarin et Anne d'Autriche ; des manifestations violentes secouent Paris (ceux qui parlent de "violence" aujourd'hui devraient lire ces pages : les Parisiens étaient alors effrayants). Les frondeurs sont nerveux, instables : ils s'allient, se trahissent, se mentent, s'embrassent, dans un grouillement d'intrigues, de femmes, de magistrats, de princes, de généraux. Les troupes se battent, pillent, se débandent. L'ennemi espagnol est toujours prêt à prendre sa part du pays, les princes s'allient avec lui. La régente amnistie les princes, ils trahissent de nouveau, sont de nouveau pardonnés. La Fronde, c'est une lutte entre privilégiés qui se disputent des privilèges. C'est une poussée de fièvre sans horizon mais elle a eu un lointain et terrible lendemain : la Révolution. Alors le peuple de Paris échappa enfin au contrôle de ceux qui exploitaient ses "émotions" et l'explosion détruisit le régime. 

Revenons à la Fronde et à Retz qui fut l'un de ses meneurs. Pourquoi le texte de ses Mémoires nous est-il familier ? parce que la situation politique d'aujourd'hui ressemble un peu à celle d'alors. Nous aussi, nous avons des politiques qui n'ont d'autre but que conquérir ou conserver le pouvoir. Certes il ne s'agit plus d'acquérir la gloire sur les champs de bataille, à la Cour ou dans la rue, mais de briller dans les médias, d'occuper les fonctions ministérielles : l'ambition est toujours là, toute nue. 

Retz est coadjuteur de Paris (évêque adjoint avec promesse de succession). Lorsque l'archevêque meurt, il est nommé archevêque de Paris. Cependant Louis XIV, rancunier, ne lui permettra jamais d'occuper le siège épiscopal. 

Retz est un drôle de prêtre et un sacré coureur, ce qui à l'époque ne choquait pas grand monde (en dehors d'un chanoine dont les réprimandes l'ennuyaient beaucoup). Il écrit dans un style sec, rapide, qui annonce les "Liaisons dangereuses" : "Je n'ai jamais vu personne qui eût conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu", dit-il de Mme de Montbazon (p. 408). Cette dame lui manifesta un jour quelque tendresse : "["Accordons nous ensemble, allons à Péronne", me dit-elle.] J'étais accoutumé à ses dits, mais je ne l'étais pas à ses douceurs, j'en fus touché, quoiqu'elles me fussent suspectes, vue la conjoncture. Elle était fort belle ; je n'avais pas disposition naturelle à perdre de telles occasions : je radoucis beaucoup ; l'on ne m'arracha pas les yeux ; je proposai d'entrer dans [une pièce isolée], mais l'on me proposa pour préalable de toutes choses d'aller à Péronne : ainsi finirent nos amours" (p. 586). Voir aussi le guet-apens tendu par le duc de la Rochefoucauld, le "moraliste", qui tenta de tuer Retz en lui serrant le cou entre deux battants de porte (p. 854).

Dans ce milieu dangereux, Retz soupèse avec délicatesse chacun de ses interlocuteurs ; à travers ce qu'on lui dit et ce qu'on lui rapporte, il s'efforce de percer jusqu'à l'intention réelle. Son esprit mobile convient à cet exercice et sa souplesse morale le prémunit contre l'indignation. Il est toujours prêt à s'allier à qui l'a trahi la veille. Par la suite, vaincu et déçu, il trouvera dans l'écriture, faute de mieux, un dernier ressort d'ambition.