Commentaire sur :
Robert M. Solow "Monopolistic Competition and
Macroeconomic Theory" Cambridge University Press 1998
Ce petit livre (75 pages) fera peut-être date en économie.
Solow considère les fondements théoriques de la macroéconomie (les économistes disent
"les fondements microéconomiques de la macroéconomie", parce que la seule
théorie achevée en économie est la "microéconomie" qui part du
comportement des agents individuels, entreprises ou consommateurs).
Il est notoire, dit-il, que si la microéconomie est
théoriquement satisfaisante (cohérente, puissante etc.), elle ne rend pas bien compte
des faits observés ; la macroéconomie, plus "réaliste", a par contre le
défaut d'être faible sur le plan théorique.
Tout cela vient du fait que la microéconomie privilégie le
modèle de concurrence parfaite, qui est puissant, élégant mais irréaliste. Si l'on
part du modèle de concurrence monopoliste (plus compliqué, plus difficile, donc moins
élégant, mais plus réaliste), alors on peut reconstruire une macroéconomie solide sur
le plan théorique tout en conservant ses qualités de réalisme.
J'avais utilisé le modèle de concurrence monopoliste (on
dit aussi "monopolistique", traduction phonétique de l'anglais
"monopolistic competition") dans "Economie
des nouvelles technologies". Les conclusions de Solow confirment et consolident
certaines de mes intuitions, qui étaient loin d'être aussi bien construites que les
siennes.
La concurrence monopoliste permet d'endogénéiser divers
éléments de la théorie keynésienne :
- multiplicateur : un accroissement de la
demande entraîne une croissance du profit qui suscite un nouvel accroissement de demande
etc.
- prix rigides : l'incitation à corriger
une erreur de prix est plus faible en concurrence monopoliste qu'en concurrence parfaite,
et comme les révisions de prix comportent des inconvénients pratiques (pensez à un
restaurateur qui modifie son menu) les prix sont plus rigides que la concurrence parfaite
ne le suppose.
- quantités anticipées : en concurrence
parfaite, les prix constituent le seul signal dont les agents économiques ont besoin ; en
concurrence monopoliste, l'information utile concerne plutôt les quantités, puisque
l'entreprise fixe son propre prix.
- chômage involontaire : si la fonction de
production était à rendement décroissants, il n'y aurait pas de chômeurs parce que de
petites unités employant une seule personne seraient hautement compétitives : chaque
chômeur s'en sortirait en créant une entreprise. Le chômage involontaire implique qu'il
existe dans la fonction de production une zone initiale de rendement croissant qui suscite
une barrière à l'entrée pour les très petites entreprises.
- anticipations de long terme :
sur un
marché où les entreprises offrent un produit diversifié, la "libre entrée"
des concurrents est risquée et difficile. A supposer que les entreprises existantes
fassent du profit, elles ne seront concurrencées par de nouveaux entrants que si ceux-ci
sont optimistes sur leurs chances de succès à long terme.
- équilibres inefficaces : Solow a
construit un modèle qui montre la possibilité de plusieurs équilibres dont certains
sont plus efficaces que d'autres. Il se peut alors qu'une économie soit
"collée" sur un équilibre inefficace car le pessimisme des acteurs est
auto-réalisateur.
Le modèle de concurrence monopoliste fournit une théorie
plus pertinente que le modèle de concurrence parfaite. Il donne à la macroéconomie des
fondations plus solides - mais il reste beaucoup à faire pour compléter l'esquisse de
Solow.
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