Commentaire sur :
Fritz Zorn "Mars"
"Mars" est un livre autobiographique. Fritz Zorn
est le pseudonyme de son auteur (en allemand, "Zorn" veut dire
"colère"). Zorn est un enfant de la bonne bourgeoisie suisse de Zurich. Il a
été élevé selon une morale rigide, étouffante, dans le souci d'un "qu'en
dira-t-on" d'autant plus oppressant qu'il est intériorisé. Il grandit,
étudie, devient adulte et professeur, mais sa relation avec autrui et sa vie affective
sont atrophiées. Par volonté, il se comporte en joyeux drille et passe pour un bon
compagnon, mais il est incurablement triste.
Puis il a un cancer. Il a tôt fait de relier sa maladie
physique aux travers de sa personnalité et entreprend une rééducation afin de vaincre
simultanément ce qu'il croit une conséquence (le cancer) et une cause (le caractère
formé par son éducation).
On peut douter de cette relation de cause à effet. Peu
importe, car si elle constitue le point de départ de sa démarche elle n'en est pas le
point essentiel. Il reconstruit sa personnalité par une critique détaillée de son
milieu social, de l'idéal que ce milieu propose à un jeune homme, du type de vie que
l'on y mène, de l'hypocrisie raffinée qui s'y pratique. A la fin du livre, le cancer
gagne la partie et Zorn meurt - et donc il a raté la cure qu'il avait entreprise - mais
il meurt en homme vivant, alors qu'il vivait auparavant comme un cadavre - et en ce sens
il a gagné la partie.
Certains de mes amis suisses aiment beaucoup ce livre.
D'autres le détestent. C'est naturel. Je me le remémore toujours lorsque je lis des
récits sur le comportements des banques suisses. Ce livre
est comme une psychanalyse du milieu le plus favorisé du pays le plus riche.
Zorn enseignait la réthorique. Il sait écrire, expliquer
simplement, finement, des situations d'une grande complexité. C'est un livre énergique
et loyal, et je le mets à cet égard au même niveau que "La
matrice" de Lawrence.
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