Sociologie des centres d'appel
20 mai 2001
Un centre d'appel, c'est une partie de la
première ligne, lieu de contact privilégié avec les clients ; c'est aussi le
"help desk" où tous les problèmes convergent ; c'est enfin le
central téléphonique, porche virtuel de l'entreprise. Dans tous les cas,
l'opérateur doit comprendre rapidement ce que lui dit une personne parfois
anxieuse et malhabile pour qui il doit trouver une solution. Cela demande
expertise et agilité d'esprit. C'est une activité très formatrice. Si vous
voulez connaître les problèmes d'une entreprise, passez quelques heures au
"help desk" : vous apprendrez plus qu'en plusieurs jours d'enquête.
Beaucoup d'entreprises considèrent pourtant le
centre d'appel comme une activité secondaire. Elles le confient volontiers à
des sous-traitants dont certains, en ce qui concerne le confort des
travailleurs, ont pu être comparés à des élevages de poulets. Les employés
des centres d'appel sont souvent mal payés ; ce sont des postes que l'on fait
tenir par des étudiants stagiaires. Ces emplois souffrent d'un fort turn-over.
Les agents des centres d'appel remplissent une
fonction de contact que tout consultant qualifiera de "stratégique",
mais il faudrait un miracle pour que des personnels recrutés de la sorte
puissent rendre un service de qualité. Les directions générales éprises
d'économie de bouts de chandelle veulent croire en ce miracle.
Elles ne sont pas seules coupables. Les agents
des centres d'appel ne travaillent pas dans les mêmes locaux que les autres, ne
mangent pas à la même cantine, n'ont pas les mêmes horaires. Le syndrome du
village gaulois joue contre eux. Les agents du "siège" ou de la
"DR" se sentent bien supérieurs aux "gens du centre
d'appel", qu'ils ont tendance à traiter en parias. Ces réactions
instinctives, animales, ne font que conforter le comportement des directions
générales.
Pourtant, si l'entreprise était rationnelle, on
s'y prendrait autrement. Le centre d'appel serait considéré comme le creuset où l'on doit faire passer les meilleurs éléments. L'accès aux
fonctions de direction - qu'il s'agisse de diriger un établissement, une
région, une direction à la DG - serait précédé par un passage de quelques
semaines au centre d'appel pour que le futur directeur puisse voir de près les
problèmes qui se manifestent dans la relation avec la clientèle, ou au "help
desk". On assurerait la promotion des agents des centres d'appel vers des
fonctions d'encadrement pour que l'entreprise capitalise les connaissances acquises "au front" et à chaud. On analyserait les
statistiques et commentaires provenant des centres d'appel, qui sont autant
d'indicateurs utiles pour la stratégie.
Mais je rêve ! une entreprise qui mette un futur
directeur en stage pendant quelques semaines au centre d'appel ? nos entreprises cherchent plus à conforter le statut des
dirigeants, à les initier aux aspects
relationnels de leur fonction, qu'à former leur compétence. Le stage ne se
fera pas au centre d'appel, mais dans les couloirs de la DG ; le futur directeur
n'y apprendra rien sur les clients, mais il y sera initié aux méandres
internes de l'intrigue.
Les entreprises négligent ce
que pourraient leur apprendre les observations accumulées dans le centre d'appel
; elles laissent s'évaporer, par "turn-over", le savoir des agents qui y sont
passés ; elles gaspillent un excellent moyen pour former leurs cadres. On
m'opposera des contre-exemples : ils existent, c'est vrai et c'est heureux. Mais
la situation que j'ai décrite est majoritaire, et c'est bien cela le
problème.
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