Pierre-Antoine Merlin, de
01-Informatique, m'a envoyé le message suivant : "Je
recherche actuellement, pour 01-Informatique, quelqu'un qui puisse expliquer
clairement les enjeux du DSI en entreprise. Depuis la chute de la "nouvelle
économie", ces responsables sont en effet, curieusement, tour à tour sur
la sellette et valorisés... vous sentez-vous d'écrire sur ce thème environ
deux feuillets (3 000 signes), le cas échéant à partir de votre propre expérience ?"
Le "DSI", c'est dans nos entreprises
le "directeur du système d'information" (ou "des systèmes
d'information"). Cette appellation désigne le plus souvent un
directeur informatique.
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(Article
publié dans le supplément 01 DSI de 01-Informatique, 21 mars
2003, p. 46)
Le
DSI a toujours été placé sur une crête entre deux versants : le
versant « métier » des services rendus aux utilisateurs ;
le versant « technique » de la plate-forme informatique et télécoms.
C'est une position intéressante mais d'autant plus inconfortable que les
versants sont plus abrupts et plus profonds.
Or
le versant technique se complique avec l'introduction de la programmation
objet et la cohabitation entre informatique de calcul et informatique de
communication (messagerie, Intranet, Web etc.) ; le métier informatique
se diversifie en spécialités comme le fit naguère la médecine (middleware,
sécurité, réseaux etc.) ; les frontières entre l'externe et l'interne,
entre le progiciel et le spécifique, posent des problèmes de positionnement
aux paramètres évolutifs.
Cependant
le versant métier s'est enrichi lui aussi. Le système d'information,
concentré naguère dans de grandes applications, irrigue désormais tous les
processus de l'entreprise ; le travail assisté par ordinateur se généralise,
articulant la puissance de l'automate au jugement de l'être humain. La modélisation
nécessite l'apport de l'expertise des métiers et la validation par les
dirigeants.
Le
DSI peut-il se maintenir sur une telle crête ? on peut en douter. La
plate-forme informatique doit fonctionner en continu, sans défaillance, tout
en absorbant un flux de nouveaux équipements et de nouveaux logiciels. Elle
pose des problèmes de maîtrise physique et sociologique des plus délicats.
Est-il humainement possible que le responsable d'une telle usine assure aussi
la pertinence, la sobriété, la cohérence sémantique du système
d'information, son alignement stratégique etc. ?
Cela
va devenir impossible. Il faudra distinguer deux fonctions, celle d'un
directeur informatique et télécoms et celle d'un directeur du système
d'information « nouvelle manière », qui devront se respecter
mutuellement. Le DSI « nouvelle manière » fondera la
professionnalisation des maîtrises d'ouvrage sur la maîtrise en urbanisation
et modélisation ainsi que sur l'aptitude à se comporter en « client
compétent » de l'informatique. Le DIT, lui, assurera la performance et
la qualité de la plate-forme technique tout en la maintenant conforme à
l'état de l'art.
Un
tel dédoublement des fonctions sera refusé par certains DSI : y voyant
une perte de prestige et de pouvoir ils préfèreront se tenir à cloche-pied
sur leur crête, même si c'est inconfortable et inefficace. Tel est le poids
des symboles dans notre pays ! L'évolution sera donc lente.
Elle
est la rançon du succès de l'informatique : si celle-ci était restée
confinée à quelques grandes applications, les informaticiens auraient pu
continuer à modéliser le système d'information à partir d'expressions de
besoin plus ou moins précises. Mais comme elle est devenue à la fois le
langage de l'entreprise et son système nerveux, son modèle ne peut être
pertinent que s'il est établi sous la responsabilité des métiers
utilisateurs eux-mêmes, dotés de modélisateurs qualifiés qui seront pour
l'informatique des « clients compétents ».
28 janvier 2003
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