Le Monde Informatique et l'e-business
5 février 2000
Je reçois aujourd'hui Le Monde Informatique n° 839 du 4
février 2000. Je vois sur la couverture la photo d'un fromager avec cette légende :
"De quoi avez-vous besoin pour transformer votre business en e-business ?
Découvrez-le page 11".
C'est une bonne question. Mes clients me la posent. Je leur
réponds ceci (à peu près, car comme je fais du sur mesures je ne dis pas la même chose
à des clients différents) :
"Vous avez raison de vous y mettre, car c'est là que
les choses vont se passer. Mais il ne suffit pas d'avoir une présence sur le Web,
fût-elle jolie. Il faut d'abord connaître vos clients dans leur diversité et savoir ce
qu'ils attendent de vous, car le Web, c'est le pouvoir au client : si vous ne répondez
pas comme il le souhaite, clic ! il est parti, vous pouvez lui dire adieu.
"Quel positionnement voulez-vous donner à votre
entreprise sur le Web? jusqu'où voulez vous pousser la différenciation de votre offre ?
avec quels partenaires voulez vous vous associer ? quelles relations souhaitez vous avec
vos fournisseurs ? jusqu'où entendez vous pousser l'intégration entre vos affaires et
celles de vos partenaires, fournisseurs et clients ? il faut ici une ingénierie
d'affaire, avec ses dimensions juridique et financière. Souhaitez vous conserver la même
périphérie, ou pensez vous qu'il faut externaliser certaines de vos activités ? le
e-business, cela va de pair avec un e-management : il s'agit de penser la personnalité,
les priorités, les contours de l'entreprise. Il convient que cette réflexion ne soit pas
seulement celle du PDG, mais qu'elle soit partagée par les managers, les cadres et toute
l'entreprise, ce qui suppose des consultations, concertations et validations.
"Enfin, quand vous savez ce que vous voulez faire il
faut s'assurer que c'est faisable. Vos limites sont ici celles de votre système
d'information. Si celui-ci est constitué d'une accumulation d'applications hétéroclites
reposant sur des définitions incohérentes, si les données de référence ne sont pas
gérées, s'il n'existe pas de gestion de configuration, bref si vous n'avez pas une
architecture de système d'information digne de ce nom, vous aurez du mal à jouer la
partie de l'e-business. Ce ne sera pas totalement impossible - je ne partage pas l'idée
qu'il faut passer par SAP avant de se lancer sur l'Internet - mais simplement difficile.
Il faut faire un audit de votre système d'information pour déterminer la marche à
suivre et définir des priorités parmi vos besoins. Le calendrier des fonctionnalités
e-business sera articulé avec la remise à niveau de votre système d'information.
"Vous pouvez démarrer tout de suite, mais il faudra
quelques années pour transformer l'entreprise".
Voilà, en gros, ce que je dis aux clients qui me font
l'honneur de me demander mon avis. J'ouvre donc Le Monde Informatique avec curiosité,
prêt à apprendre des choses nouvelles, car on n'a jamais fini d'apprendre dans ce
domaine là. Et je trouve page 11 une publicité pour IBM contenant ces simples mots :
"Il faut un puissant logiciel pour transformer le
business en e-business. Ce logiciel existe, IBM l'a fait". Suit un petit texte et
l'indication d'un lien : www.ibm.com/software/soul/fr
. Cela se répète aux pages 13, 15 et 17.
J'ai consulté le lien indiqué, et j'ai lu ceci : "Our
apologies... The document you have requested does not exist on this system, etc."
Admettons que la dir com ait été plus rapide que la mise à jour du serveur, pour
l'e-business, en tout cas, ça la fout mal. Mais ce n'est pas le plus grave.
La première question qu'une entreprise doit se poser avec
l'e-business, ce n'est pas "quel logiciel vais-je prendre", mais "que
veulent mes clients", puis "quel rôle dois-je jouer", etc. La
check-list ne commence pas par la technique, mais par la stratégie. En
suggérant qu'il suffit, après tout, de prendre le bon logiciel - le sien - IBM montre à
ses clients la voie de l'échec, même si son logiciel est excellent, ce dont je ne doute
pas parce que ce gros éléphant a, c'est vrai, d'excellents produits.
L'entreprise n'a que trop tendance à croire que tout
problème est technique (c'est-à-dire relève étymologiquement du
"savoir-faire", y compris celui incorporé dans les technologies), et que toute
solution est donc également technique. Mais avant de savoir faire, il faut savoir ce que
l'on veut faire, pour quoi et pour qui. "Pourquoi faire" et "vouloir
faire" précèdent "savoir faire" si l'on ne veut pas faire de grosses
bêtises. Ce qui ne veut pas dire bien sûr que je sois un adversaire de la technique, ni
que je l'ignore : au contraire, je la respecte assez pour ne pas l'utiliser à contre
sens.
Je comprends bien, pardi ! IBM ambitionne d'avoir, dans
l'e-business, le même succès que SAP dans le système d'information. Pourquoi pas, et
bonne chance ! mais alors il faut que les clients se rappellent leurs expériences :
lorsque vous remettez de l'ordre dans votre système d'information en utilisant SAP, cela
vous coûte de 10 à 20 fois le prix de la licence SAP (pour paramétrer le logiciel,
réorganiser l'entreprise etc.). 10 MF de logiciel, de 100 à 200 MF en coût total de
mise en oeuvre. C'est dire que les difficultés les plus lourdes ne résident pas dans le
logiciel...
IBM cherche à vendre un produit sans doute bon, il n'y a
rien de mal à ça. Il a une publicité pataude, ce n'est pas la première fois, nous y
sommes habitués. Mais que Le Monde Informatique publie, en réponse à la question
"De quoi avez vous besoin pour transformer votre business en e-business",
publiée en première page sans mention publicitaire, une page intérieure (publicitaire)
disant "il faut un puissant logiciel", excusez moi chers amis, ce n'est pas
bien.
|