Au sujet de Maurice Papon
2 mai 1999
En 1961 j'étais élève à l'École Polytechnique. Mes
opinions politiques étaient plutôt à droite. Je travaillais, selon la devise de
l'École, "Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire". Je pensais que l'Algérie
devait rester française.
J'ai changé d'avis plus tard, lorsque j'ai vu le système
d'apartheid organisé là-bas. Dès le 17 octobre 1961 toutefois Papon m'avait fait perdre
ma naïveté.
Je ne pouvais plus en effet respecter un État qui faisait
tuer des manifestants désarmés, faire confiance à une police qui était son instrument,
à une justice qui n'a pas bougé le petit doigt, à une armée qui ne m'a pas paru
troublée par ce type de guerre. J'étais à droite, certes, mais je n'étais pas fasciste. Je
respecte les militaires qui, à leurs risques et périls, ont refusé de torturer ou
d'exécuter des prisonniers. Je trouve l'amnistie trop commode pour ceux qui ont commis de
tels crimes comme pour ceux qui les ont laissé faire.
* *
Le 18 octobre 1961, j'ai voulu démissionner de l'X pour
rompre toute relation avec cet État. Mes camarades m'ont dissuadé, disant qu'il n'était
pas raisonnable de réagir à chaud. Ils m'ont sans doute rendu service car je n'étais
pas mûr et risquais le désespoir. Mais cette affaire m'est restée sur le cœur.
Depuis ce jour je "fais méfiance" à nos
institutions. La France n'est pas la patrie des droits de l'homme. Quoiqu'en dise la
propagande, les Français n'ont été et ne sont ni plus civilisés, ni plus humains que
ne le furent leurs ennemis. La méfiance est un devoir civique. Dire "je fais
confiance à la justice de mon pays" serait le comble de la bêtise s'il ne fallait,
le plus souvent, entendre cela comme une antiphrase.
Tout cela m'a ancré dans une conception du service public
respectueuse du public qu'il s'agit de servir. Le corporatisme des "grands" corps de fonctionnaires m'inspire le
dégoût.
Papon a fait un procès à un historien qui avait
qualifié de "massacre" ce qui s'est passé le 17 octobre 1961. Le tribunal a
donné raison à l'historien. C'était la moindre des choses. Ce n'est pas une
réparation.
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