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Nostalgie du service public
30 novembre 2004

Liens utiles

- Le système technique contemporain

Nous autres Français avons coutume, depuis Courteline (1858-1929), de critiquer les fonctionnaires que nous disons inefficaces, paresseux, bureaucrates, et j’en passe.

Peut-être avons-nous été trop bien entendu par des politiques qui, issus de l’ENA et donc fonctionnaires eux-mêmes, ont cru se montrer supérieurs à leur fonction en substituant au service public une caricature du privé.

Le service public était pour le citoyen un domestique commode, même s’il avait mauvais caractère. La Poste marchait, les trains aussi. Ils étaient, il est vrai, non pas au service du client mais à celui de la nation : le citoyen n’était qu’un « usager » que l’on rappelait souvent, et avec quelle rudesse, au respect d’un règlement que seuls connaissaient les fonctionnaires. Il régnait un sérieux sourcilleux et sévère.

Tout cela est révolu. L’habitant de la grande ville le perçoit sans doute moins bien que celui qui, comme moi, habite un hameau dans la montagne. Nous sentons bien que la SNCF voudrait fermer la gare du chef-lieu de canton. Si le train marche le plus souvent il arrive, de façon aléatoire, qu’il soit en retard, en panne, que les agents soient en grève, ou qu’on le remplace par un autobus (où l'on a le mal de mer, car nos routes abondent en virages). La SNCF nous incite ainsi tout doucement à utiliser la voiture (deux heures de route) pour rejoindre le TGV, seul objet de ses soins.

Entre parenthèse ils sont bien gentils, ces agents de la SNCF qui font grève pour défendre le service public, mais nous ne parlons pas de la même chose. Pour nous citoyens, le service public c’est le service du public. Pour eux c’est une affaire de conditions de travail, de rémunération et de carrière. Utiliser un même mot pour désigner ces deux choses, c’est un abus de langage et, pour en revenir à notre gare, plus ils feront grève, plus vite elle sera fermée. S’ils veulent servir le public, il faut qu’ils inventent des formes de lutte qui gêneraient leur employeur, mais non les clients. Il est vrai que comme nous aimons à rouspéter, nous sommes complaisants envers ceux qui rouspètent. Lorsque les routiers bloquent les routes, ce qui n’est ni plus ni moins qu’un comportement insurrectionnel, les sondages disent que 72 % d'entre nous les approuvent !

Le facteur, avec sa petite voiture jaune, fait chaque jour le tour des hameaux pour porter le courrier. Louanges lui soient rendues, car peut-être nous demandera-t-on un jour d’aller chercher notre courrier dans une boîte postale au chef-lieu.

J’en ai un avant-goût quand quelqu’un m’envoie un pli Chronopost International. Je reçois d’abord une lettre disant que le livreur ne m’a pas trouvé. J’appelle le numéro indiqué et conseille de laisser le pli à la poste, car l’itinéraire pour mon hameau est compliqué. Mais le règlement interdit au facteur de me le porter car, si la poste livrait des plis Chronopost dont la distribution est sous-traitée à une entreprise, celle-ci en tirerait parti pour ne pas faire son travail. Il faut donc que je passe prendre le pli au bureau de poste (6 km), qui d’ailleurs commercialise Chronopost, service d’une filiale de la Poste…

Ce sont là les effets pervers de la sous-traitance. France Télécom n’est pas en reste. Nous aimerions, nous autres clients, avoir un seul et même interlocuteur pour régler, dans nos résidences principale et secondaire, l’ensemble des problèmes de téléphonie fixe ou mobile, d’ADSL, de réseau local WiFi, de modem, de routeur, que sais-je : tout cela se tient et forme système mais le soin de son ingénierie est laissé au client, noyé dans les protocoles et paramétrages. Les PME, qui sont pour nos montagnes de grandes entreprises, ne sont pas mieux traitées que les particuliers...

La foudre tombe, le téléphone est en panne : arrive un sous-traitant qui répare la ligne mais ne sait rien faire d’autre. Comme nous regrettons le technicien de France Télécom qui, à l’occasion de son passage, réglait une foule de problèmes !

Quelqu’un vous démarche par téléphone pour proposer l’ADSL : voilà qui est bien. Mais si vous lui parlez de votre téléphone mobile (mon hameau est dans une zone blanche), il ne peut pas répondre : ADSL, c’est Wanadoo ; le téléphone mobile, c’est Orange ; et le téléphone fixe, c’est France Télécom, la maison mère. Tout cela est rigoureusement séparé. L’Autorité de régulation des télécoms (ART) veille au maintien de cette cloison car, si France Télécom pouvait cultiver la synergie entre ces divers services, cela lui donnerait un avantage concurrentiel. Mais en quoi nous sert, à nous autres clients, une régulation qui interdit à l’opérateur de rendre un service de qualité ? La concurrence comprime les prix, peut-être, mais que devient le rapport qualité/prix, qui seul détermine notre satisfaction ?

Lorsque le service public aura été détruit, nos entreprises se lamenteront comme ces dames de la bourgeoisie qui regrettent leurs bonnes. Elles étaient si commodes naguère, malgré leurs défauts ! Mais on n’en trouve plus à présent, ou alors c’est hors de prix.