Nous autres Français avons
coutume, depuis Courteline (1858-1929), de critiquer les fonctionnaires que nous
disons inefficaces, paresseux, bureaucrates, et j’en passe.
Peut-être avons-nous été trop
bien entendu par des politiques qui, issus de l’ENA et donc fonctionnaires
eux-mêmes, ont cru se montrer supérieurs à leur fonction en substituant au
service public une caricature du privé.
Le service public était pour le
citoyen un domestique commode, même s’il avait mauvais caractère. La Poste
marchait, les trains aussi. Ils étaient, il est vrai, non pas au service du
client mais à celui de la nation : le citoyen n’était qu’un « usager » que l’on
rappelait souvent, et avec quelle rudesse, au respect d’un règlement que seuls
connaissaient les fonctionnaires. Il régnait un sérieux sourcilleux et sévère.
Tout cela est révolu.
L’habitant de la grande ville le perçoit sans doute moins bien que celui qui, comme
moi, habite un hameau dans la montagne. Nous sentons bien que la SNCF
voudrait fermer la gare du chef-lieu de canton. Si le train marche le plus
souvent il arrive, de façon aléatoire, qu’il soit en retard, en panne, que les
agents soient en grève, ou qu’on le remplace par un autobus (où l'on a le mal de
mer, car nos routes abondent en virages). La SNCF nous incite ainsi tout doucement
à utiliser la voiture (deux heures de route) pour rejoindre le TGV, seul objet de
ses soins.
Entre parenthèse ils sont
bien gentils, ces agents de la SNCF qui font grève pour défendre le service public,
mais nous ne parlons pas de la même chose. Pour nous citoyens, le service public
c’est le service du public. Pour eux c’est une affaire de conditions de
travail, de rémunération et de carrière. Utiliser un même mot pour désigner ces
deux choses, c’est un abus de langage et, pour en revenir à notre gare, plus ils
feront grève, plus vite elle sera fermée. S’ils veulent servir le public,
il faut qu’ils inventent des formes de lutte qui gêneraient leur employeur, mais non
les clients. Il est vrai que comme nous
aimons à rouspéter, nous sommes complaisants envers ceux qui rouspètent.
Lorsque les routiers bloquent les routes, ce qui n’est ni plus ni moins qu’un
comportement insurrectionnel, les sondages disent que 72 % d'entre nous les
approuvent !
Le facteur, avec sa petite voiture
jaune, fait chaque jour le tour des hameaux pour porter le courrier. Louanges
lui soient rendues, car peut-être nous demandera-t-on un jour d’aller chercher
notre courrier dans une boîte postale au chef-lieu.
J’en ai un avant-goût quand
quelqu’un m’envoie un pli Chronopost International. Je reçois d’abord
une lettre disant que le livreur ne m’a pas trouvé. J’appelle le numéro indiqué
et conseille de laisser le pli à la poste, car l’itinéraire pour mon hameau est compliqué. Mais le règlement interdit au facteur de me le porter car, si la
poste livrait des plis Chronopost dont la distribution est sous-traitée à
une entreprise, celle-ci en tirerait parti pour ne pas faire son travail.
Il faut donc que je passe prendre le pli au bureau de poste (6 km), qui
d’ailleurs commercialise Chronopost, service d’une filiale de la Poste…
Ce sont là les effets pervers
de la sous-traitance. France Télécom n’est pas en reste. Nous aimerions, nous
autres clients, avoir un seul et même interlocuteur pour régler, dans nos
résidences principale et secondaire, l’ensemble des problèmes de téléphonie fixe
ou mobile, d’ADSL, de réseau local WiFi, de modem, de routeur, que sais-je :
tout cela se tient et forme système mais le soin de son ingénierie est laissé
au client, noyé dans les protocoles et paramétrages. Les PME, qui sont pour nos
montagnes de grandes entreprises, ne sont pas mieux traitées que les particuliers...
La foudre tombe, le téléphone
est en panne : arrive un sous-traitant qui répare la ligne mais ne sait rien
faire d’autre. Comme nous regrettons le technicien de France
Télécom qui, à l’occasion de son passage, réglait une foule de problèmes !
Quelqu’un vous démarche par
téléphone pour proposer l’ADSL : voilà qui est bien. Mais si vous lui parlez de votre téléphone mobile (mon hameau est dans
une zone blanche), il ne peut pas répondre : ADSL, c’est Wanadoo ; le téléphone
mobile, c’est Orange ; et le téléphone fixe, c’est France Télécom, la maison
mère. Tout cela est rigoureusement séparé. L’Autorité
de régulation des télécoms (ART) veille au maintien de cette cloison car, si France Télécom pouvait cultiver
la synergie entre ces divers services, cela lui
donnerait un avantage concurrentiel. Mais en quoi nous sert, à nous autres
clients, une régulation qui interdit à l’opérateur de rendre un service de
qualité ? La concurrence comprime les prix, peut-être, mais que devient le
rapport qualité/prix, qui seul détermine notre satisfaction ?
Lorsque le service public aura
été détruit, nos entreprises se lamenteront comme ces dames de la bourgeoisie
qui regrettent leurs bonnes. Elles étaient si commodes naguère, malgré leurs
défauts ! Mais on n’en trouve plus à présent, ou alors c’est hors de prix.
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