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A propos des stock-options

14 août 2002

Après les scandales comptables de Enron, Worldcom, Tyco etc., les États-Unis cherchent à garantir la vérité des comptes des entreprises. Certains estiment que les stock-options distribuées par les entreprises à leurs salariés doivent être comptabilisées dans les dépenses de l’entreprise ; d’autres, comme Andy Grove d’Intel, disent que non. La dispute fait rage.

Qu’est-ce qu’une « stock-option » ? c’est une option d’achat à terme sur une action de l’entreprise (en américain, « action » se traduit par « stock ») : la personne qui reçoit une stock-option aura le droit d’acheter une action de l’entreprise à une date future fixée, pour un prix fixé. Lorsque l’échéance arrive, de deux choses l’une :
- ou bien le cours de l’action est supérieur au prix fixé : dans ce cas il est avantageux d’exercer l’option, c'est-à-dire d'acheter l’action au prix fixé et de la revendre au cours du jour en faisant une plus-value.
- ou bien le cours est inférieur à celui prévu par l’option : alors il ne faut pas l’exercer et tout est dit.

Les entreprises distribuent des stock-options à leurs salariés ou à leurs dirigeants pour (1) réduire le turn-over des métiers de compétence en incitant les personnes qualifiées à rester dans l’entreprise jusqu’à l’échéance de l’option, (2) inciter ces personnes à être efficaces, à faire en sorte que le cours de l’action monte, (3) limiter les revendications salariales en faisant miroiter aux salariés un enrichissement à terme.

La perspective d’une plus value sourit aux détenteurs de stock-options lorsque la bourse monte comme dans les années 90. Lorsque la bourse baisse comme aujourd’hui, les anticipations sont bien sûr moins optimistes et les stock-options moins séduisantes.

Venons-en à l’aspect comptable. La plus-value que fait la personne qui exerce une option a quelque chose d’un peu mystérieux. D’où vient-elle ? pas des comptes de l’entreprise, puisque celle-ci n’a rien déboursé dans l’affaire. En fait, elle vient des actionnaires de l’entreprise.

Solution actuelle

Pour y voir clair, nous allons poser des hypothèses très simples ou même simplistes. Supposons qu’une entreprise ait émis 10 000 actions et que sa valeur (capitalisation boursière, actif net ou variation de trésorerie disponible future actualisée, peu importe ici) soit de 1 000 000 €. Chaque action vaut donc 100 €. Supposons que l’entreprise distribue à ses salariés 5 000 stock-options, à exercer dans cinq ans au prix de 100 €.

Supposons qu’en cinq ans la valeur de l’entreprise ait doublé : à l'année 5 elle vaut 2 000 000 €, chaque action vaut 200 €. Puis les salariés exercent leurs options. Pourront-ils vendre à 200 € ? dans notre cas d’école, non. Ils ont acheté à l’entreprise 5 000 actions à 100 € pièce ; la somme de 500 000 € est allée s’ajouter au capital de l’entreprise. L’entreprise vaut donc 2 500 000 € ; si 15 000 actions se trouvent sur le marché, l’action vaut 167 €. C’est mieux que 100 €, les options seront donc exercées. Les salariés auront empoché 5 000*(167 – 100) = 333 333 €, et ils auront revendu à de nouveaux actionnaires 5 000*167 = 833 333 € d’actions. Les anciens actionnaires, qui détiennent 10 000 actions, possèdent une valeur de 1 666 667 €. Ils ont donc dans l’opération perdu 333 333 €, somme équivalente au gain réalisé par les salariés lors de la revente de leurs stocks options.

Récapitulons pour comparer ce qui se passe sans et avec stock-options.

Sans stock-options, les actionnaires se retrouvaient en année 5 à la tête de 2 000 000 €, les salariés ne gagnaient rien et l’entreprise non plus.

Avec les stock-options, de nouveaux actionnaires apportent 833 333 €. Sur cette somme :
- 500 000 € vont à l’entreprise qui vaut désormais 2 500 000 € ;
- 333 333 € vont aux salariés qui ont bénéficié des stock-options ;
- la valeur du capital détenu par les anciens actionnaires est comprimée et passe à 2 500 000 - 833 333 =  1 666 667 €.

Quelles leçons tirer de l’exercice ?

1)      L’entreprise ne perd rien dans l’opération ; au contraire, elle s’enrichit en vendant de nouvelles actions à ses salariés (au prix de l’option il est vrai et non au prix du marché : elle s’enrichit donc moins qu’elle n’aurait pu le faire).

2)      Le gain réalisé par les salariés qui vendent leurs options est égal à la perte que font les anciens actionnaires.

Comment peut-il se faire que des actionnaires acceptent une opération qui comporte pour eux une « dilution », donc une perte de valeur ? Le raisonnement des actionnaires, lorsqu’ils approuvent un plan d’attribution de stock-options aux salariés, c’est que l’incitation qui résultera de ce plan va faire croître la valeur de l’entreprise de telle sorte que cela compensera la perte provoquée par la dilution. Ils font une hypothèse qui n'est pas reprise dans notre petit raisonnement.

Il se peut d'ailleurs que l'incitation des salariés ait contribué à faire monter la valeur de l’entreprise de 1 000 000 € à 2 000 000 € ; toute la question est de savoir anticiper et comparer la valeur que prendra l’entreprise avec ou sans l’incitation des salariés par les stock-options.

Le raisonnement que nous venons de faire donne en tout cas raison à Andy Grove : il ne convient pas de comptabiliser les stock-options comme une dépense de l’entreprise : c'est une moins value pour les actionnaires anciens. 

Une autre solution

On peut toutefois proposer un autre dispositif. Lors de l’année zéro, l’entreprise donne les stock-options à ses salariés. Mais les options sont un produit financier qui se vend sur le marché. Le prix d’une option d’achat (« call ») est de l’ordre de 10 % du montant de l’option. L’entreprise pourrait acheter les options avant de les affecter aux salariés.

Supposons que l’entreprise ait procédé ainsi. Elle a déboursé 5000 * 100 * 10% = 50 000 € pour acheter les options qu’elle a affectées à ses salariés. Sa valeur est donc passée de 1 000 000 € à 950 000 €, baisse relativement modeste.

Entre l’année zéro et l’année 5, la valeur de l’entreprise a doublé (conservons le même ratio). Elle est passée à 1 900 000 €.

Les salariés exercent leurs options : ils achètent à 100 € et vendent au cours du jour. Mais ici le nombre d’actions n’a pas été modifié, puisqu’ils ont acheté et vendu sur le marché. La valeur de l’action est de 190 €, ce qui procure aux salariés un gain de 5000 * (190 – 100) = 450 000 € (supérieur à celui qu'ils auraient fait si le nombre d'actions sur le marché s'était accru).

L’opération n’a pas enrichi l’entreprise (hors effet de l’incitation), puisqu’elle ne reçoit pas d’apport de capital. Sa valeur est même réduite de 100 000 € : 50 000 € de dépense initiale (comptabilisable), 50 000 € de moins croissance dans notre hypothèse (coût économique, non comptabilisable). Les actionnaires ne sont pas dilués ; ils font une perte égale à la baisse de valeur de l’entreprise, soit 100 000 €. On peut estimer bien sûr que les effets positifs de l’incitation font plus que compenser cette perte modeste, et que la moins croissance que nous avons postulée n’existe pas.

On peut donc proposer que les stock-options offertes en prime par l’entreprise à ses salariés soient achetées par l’entreprise sur le marché, et que le coût de l’option soit comptabilisé comme une dépense de l’entreprise. La somme est modeste, les gains que l’on peut attendre de l’incitation élevés, la dispute comptable terminée.

Réserves prudentes

Les ordres de grandeur utilisés pour illustrer le raisonnement sont exagérés pour faire bien ressortir le raisonnement. Ils ne sont pas réalistes.

Le raisonnement suppose que le marché boursier, sur lequel se détermine la valeur des actions, est parfaitement informé sur la valeur de l’entreprise, et que la capitalisation boursière s’ajuste sans délai à cette valeur.

Cette hypothèse est évidemment fausse. Il n’est pas certain que les marchés, lorsqu’ils analysent les tendances et suivent les cours, perçoivent correctement la dilution provoquée par l’émission d’actions nouvelles au bénéfice des salariés. Nos raisonnements ne sont donc exacts qu’en faisant abstraction de la volatilité du marché boursier, abstraction dont la portée n’est pas mince – mais qu’il fallait faire, puisque la question est posée en termes comptables.

Nous n'avons pas tenu compte de la fiscalité, car cela aurait beaucoup compliqué le raisonnement pour un gain modeste en précision. Nous n'avons pas évoqué quelques questions d'éthique liées à l'attribution des stock-options : savoir si elles sont données aux dirigeants ou aux salariés qui le méritent, et si leur montant est raisonnable. Nous n'avons pas non plus considéré certaines pratiques étranges comme celle qui consiste à réviser le prix de l'option pour qu'elle puisse rester profitable malgré la baisse du cours de l'action.