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Chapitre XIII : Commerce électronique

(extrait de Michel Volle, e-conomie, Economica 2000)

Quelle démarche ?

La mode est à l’" e-business ". Des présidents qui l’an dernier ne voulaient pas entendre parler de l’Internet (" ce gadget ridicule etc. ") sont revenus ébouriffés des Etats-Unis et ont donné des ordres : il leur faut pour demain les projets d’e-business de toutes leurs filiales. Mieux vaut tard que jamais, nous les félicitons, et voici à peu près ce que nous leur disons - le propos comporte bien sûr de nombreuses variantes, car toute entreprise est un cas particulier :

" Vous avez raison de vous y mettre, car c'est là que les choses vont se passer. Mais il ne suffit pas d'avoir une présence sur le Web, fût-elle jolie. Il faut d'abord connaître vos clients dans leur diversité et savoir ce qu'ils attendent de vous, car le Web, c'est le pouvoir au client : si vous ne répondez pas comme il le souhaite, clic ! il est parti, vous pouvez lui dire adieu.

" Quel positionnement voulez-vous donner à votre entreprise sur le Web? jusqu'où voulez vous pousser la différenciation de votre offre ? avec quels partenaires voulez vous vous associer ? quelles relations souhaitez vous avec vos fournisseurs ? jusqu'où entendez vous pousser l'intégration entre vos affaires et celles de vos partenaires, fournisseurs et clients ? il faudra ici une ingénierie d'affaire, avec ses dimensions juridique et financière, avec des contrats, des partages de profit, des interconnexions de systèmes d’information, des prises de participation, des créations d’entreprises, des filiales communes, etc.

" Souhaitez vous conserver la même périphérie, ou pensez vous qu'il faut externaliser certaines de vos activités ? le e-business, cela va de pair avec un e-management : il s'agit de penser la personnalité, les priorités, les contours de l'entreprise. Il convient que cette réflexion ne soit pas seulement celle du PDG, mais qu'elle soit partagée par les managers, les cadres et toute l'entreprise, ce qui suppose des consultations, concertations et validations.

" Enfin, une fois que vous saurez ce que vous voulez faire assurez vous que c'est faisable. Vos limites sont ici celles de votre système d'information. Si celui-ci est constitué d'une accumulation d'applications hétéroclites reposant sur des définitions incohérentes, si vous ne vous êtes pas soucié de mettre coordonner les systèmes d’information des entreprises que vous avez achetées, si les données de référence ne sont pas gérées, s'il n'existe pas de gestion de configuration, bref si vous n'avez pas une architecture de système d'information digne de ce nom, vous aurez du mal à jouer la partie de l'e-business. Ce ne sera pas totalement impossible - je ne partage pas l'idée qu'il faut impérativement passer par un ERP avant de se lancer sur l'Internet - mais ce sera simplement difficile. Il faut donc faire un audit de votre système d'information pour déterminer la marche à suivre et définir des priorités parmi vos besoins. Le calendrier des fonctionnalités e-business sera articulé avec la remise à niveau de votre système d'information.

" Vous pouvez démarrer tout de suite, mais sachez qu’il vous faudra quelques années pour transformer votre entreprise : car c’est de cela qu’il s’agit. "

Mais le 4 février 2000, IBM a lancé une campagne sur l’e-business.. La publicité commençait ainsi en page une du " Monde informatique " : " De quoi avez-vous besoin pour transformer votre business en e-business ? Découvrez-le page 11. " Et page 11 on lisait ceci : " Il faut un puissant logiciel pour transformer le business en e-business. Ce logiciel existe, IBM l'a fait ."

Pourtant, la première question qu'une entreprise doit se poser avec l'e-business, ce n'est pas " quel logiciel vais-je prendre ", mais " que veulent mes clients ", puis " quel rôle dois-je jouer ", etc. La check-list ne commence pas par la technique, mais par la stratégie. Suggérer aux entreprises qu'il suffit, après tout, de prendre un logiciel, c’est leur indiquer la voie de l'échec, même si le logiciel est excellent.

Certaines entreprises n'ont que trop tendance à croire que tout problème est technique (c'est-à-dire relève étymologiquement du " savoir-faire ", y compris celui incorporé dans les technologies), et que toute solution est donc également technique. Mais " pourquoi faire " et " vouloir faire " précèdent " savoir faire " si l'on ne veut pas COMMETTRE faire de grossières erreurs. Dire cela, ce n’est pas parler en adversaire ni en ignorant de la technique : c’est la respecter assez pour ne pas la faire jouer à contre emploi.

***

1. Vers l’e-business

Lorsque l’on pense à l’introduction du e-commerce dans une entreprise, on imagine immédiatement la panoplie classique des applications : médiation, traçabilité, système de paiement et de gestion des comptes, sécurité, e-conseil, proactivité, ventes aux enchères etc.

L’évocation de ces nouvelles fonctionnalités suscite une excitation conceptuelle dont il faut savoir s’affranchir. Pour suivre une démarche constructive il faut partir non des perspectives de l’e-commerce, mais des besoins des clients et des nouvelles formes de relation avec la clientèle que l’e-commerce rend possibles. La parole doit donc être d’abord au marketing stratégique. Ensuite on pourra revenir vers la carte des diverses applications du e-commerce et choisir son menu.

Ce choix se fera cependant sous une contrainte stricte : celle des possibilités offertes par le système d’information. Le e-commerce impose à celui-ci des exigences élevées en terme de qualité : cohérence de l’administration des données et des référentiels, performances permises par les plates-formes techniques, confort des interfaces homme - machine. Quels que soient les impératifs stratégiques du e-commerce, le calendrier de mise en œuvre des fonctionnalités ne pourra pas être plus rapide que celui des améliorations du système d’information.

e-commerce et e-management

L’" e-business ", terme qui désigne l’organisation de l’entreprise répondant à la nouvelle économie, se découple en deux termes :

  • " e-commerce " désigne la nouvelle organisation de la relation commerciale, avec la définition des produits et services, la politique de prix (" yield management ") et le marketing (segmentation, personnalisation) ;
  • " e-management " désigne la nouvelle organisation de l’entreprise et de ses relations avec ses partenaires externes, ainsi que la gestion de la fonction de coût.

L’équipe responsable du e-commerce est une équipe opérationnelle, qui doit avoir les moyens (budget et personnel) d’exploiter ses outils : exploitation et mise à jour du site, réponse aux messages, tenue des comptes, développements informatiques, plateau téléphonique etc.

Le e-commerce ne supplante pas la force commerciale sur le terrain : il n’est pas un moyen de " faire des économies " en " faisant de la productivité " dans le domaine commercial, mais un moyen de renforcer, en l’épaulant, le pouvoir de prescription de la force de vente. L’assistance automatique apportée par le système d’information à travers les sites Web est complétée par des interventions humaines à haute valeur ajoutée, qu’il s’agisse du plateau téléphonique ou des commerciaux sur le terrain.

L’équipe responsable du e-management est une équipe d’état-major, dont la mission essentielle est l’aide aux décisions du stratège : sa taille est réduite, ses travaux sont confidentiels, mais elle est composée de personnes ayant la confiance du PDG et elle dispose d’un budget de consulting et d’animation.

Il importe de bien distinguer ces deux responsabilités, et de les faire porter chacune par une entité distincte. Les compétences nécessaires pour l’e-commerce ne sont pas les mêmes que celles que demande le e-management.

Marketing stratégique

Le e-commerce donne le pouvoir au client, qui est très sensible à la qualité des sites. Nous pensons ici non à la qualité graphique, dont le charme est éphémère et qui se paie trop souvent par des délais d’affichage élevés, mais à la qualité de fond du contenu et de l’architecture du site. Pour fidéliser les clients et faire en sorte qu’ils viennent sur le site de l’entreprise, il faut que ce site soit conçu de façon à leur simplifier la tâche et à les intéresser.

La meilleure façon de concevoir un tel site, c’est de se mettre loyalement et entièrement au service du client. Il ne s’agit pas de renoncer au profit ni au rôle de fournisseur, bien au contraire, mais de concevoir le site en se mettant dans la peau et la tête du client. Ce n’est pas facile : il faut parler à ces clients de ce qui les intéresse. Les sites qui présentent l’entreprise en montrant des photos d’usine, de machines, les visages souriants ou sérieux des dirigeants, sont inutiles : ce qui convient pour un rapport adressé aux actionnaires - à qui il est bien naturel de montrer ce dont ils sont propriétaires - n’intéresse pas le client, qui veut d’abord savoir ce qu’il peut, lui client, faire des produits de l’entreprise.

Quand nous disons qu’il faut " se mettre loyalement au service du client ", cela ne veut donc pas dire qu’il faille renoncer à faire du profit, mais que l’e-commerce exige une connaissance encore plus fine des besoins du client, un discours encore plus proche du sien.

Yield management

Le e-commerce permet de segmenter l’offre en pratiquant, pour des produits identiques, des prix différents tenant compte de la nature de la relation clientèle. Il s’agit d’appliquer ici les techniques du " yield management ".

Il importe donc de définir la politique de services et de prix selon la position concurrentielle de l’entreprise par rapport au client :

  • si l’entreprise est en position de monopole de fait - c’est-à-dire s’il est beaucoup plus coûteux pour le client de recourir à un autre fournisseur - il faut pratiquer un prix élevé, la règle étant : " vendre toujours un franc en dessous du concurrent ".
  • si l’entreprise est en concurrence avec d’autres fournisseurs pour ce client là, il faut pratiquer envers lui un prix plus bas, sous la seule contrainte de ne pas faire de perte.
  • si l’entreprise et le client sont en situation de monopole bilatéral (c’est le cas lorsque l’entreprise est le fournisseur le plus commode, mais que le client est tellement gros que l’entreprise ne peut pas prendre le risque de renoncer à lui), le prix doit être négocié et se fixera à un niveau intermédiaire entre les deux précédents (équilibre de Nash).

Les remarques qui précèdent visent simplement à souligner le fait que la segmentation de la clientèle doit tenir compte non seulement de la nature du client, mais de la position concurrentielle de l’entreprise envers lui.

Les éléments de la qualité du service qui permettent de fidéliser le client renforcent ipso facto la position de monopole de l’entreprise, et lui permettent de pratiquer des prix plus élevés. L’enjeu de la qualité des services de e-conseil est donc primordial. Le confort qu’ils procurent au client a, pour l’entreprise, une contrepartie économique.

On croit parfois que l’Internet interdit la segmentation tarifaire, parce que le client pourrait connaître les prix proposés aux autres clients. Ce n’est pas le cas ; il suffit que le site soit organisé de telle sorte que le client s’identifie et donne un mot de passe pour accéder à ses pages personnalisées ; on peut profiter de l’information ainsi obtenue pour déterminer le service auquel il a accès. On pourrait ainsi avoir une page d’accueil, indifférenciée, donnant déjà certaines informations utiles ; en s’identifiant et en donnant son mot de passe, le client accèderait à des pages spécifiques à son activité et à des pages qui lui sont personnelles :

Démarche de segmentation

L’une des premières étapes de la conception du e-commerce sera de consulter les personnes du marketing de l’entreprise, ainsi que les personnes de la force de vente pour tester auprès d’eux la première formulation des besoins des clients. Il faudra que la consultation prenne une forme itérative, car il ne faut pas espérer atteindre du premier coup la formulation qui tiendrait compte de la façon la plus efficace de la nature des marchés d’une part, des apports possibles du e-commerce d’autre part.

 

Pour ce recueil d’expertise, il faut rédiger un premier document (" modèle 0 ") qui sera soumis à la critique des experts du terrain (petite équipe de vendeurs représentatifs du commerce auprès des divers segments du marché, mise à la disposition de la pour ce travail de conception). Le résultat obtenu sera soumis à la validation auprès des personnes qui définissent la stratégie marketing de l’entreprise et qui ont la responsabilité de la démarche prospective. A partir de ces diverses consultations, une nouvelle version du modèle sera établie (" modèle 1 "), et de nouveau soumise à l’expertise de la force de vente, etc. jusqu’à ce que la démarche converge vers un modèle stabilisé.

Médiation

Le rôle le plus enviable dans le e-business est celui de médiateur. Cette fonction se justifie lorsque l’offre est segmentée en produits diversifiés. Le médiateur s’intercale entre les clients et les fournisseurs pour (a) trouver la solution qui correspond le mieux aux besoins du client, (b) gérer les transactions qui concrétisent l’échange. Cette fonction est rémunérée par une rente spécifique qui fait l’objet de toutes les ambitions.

S’il est facile de définir le rôle de médiateur, et tentant de l’ambitionner, ce rôle n’est pas pour autant facile à tenir. Comme il est convoité, il doit se conquérir de haute lutte ; il suppose en matière de système d’information une qualité et des performances élevées.

Esquissons un schéma de médiation :

  • Une société de médiation est créée ; elle a vocation à fournir aux clients de l'e-conseil, une encyclopédie professionnelle, des données sur l'histoire du secteur, des offres et demandes d'emploi, une documentation sur les marchés en cours dans le monde et sur les grandes réalisations (y compris celles des concurrents), etc. C'est un site de référence pour la profession.
  • On y met tous les outils de conception et d'aide utiles au client, de prise de commande, de traçabilité des livraisons, etc.
  • On y met de quoi personnaliser la relation avec le client, en offrant des services diversifiés selon le type de client (segmentation) et en traitant le client en fonction de l'histoire passée de la relation avec lui (vraie personnalisation). Le client peut sur ce service retrouver l'historique de ses commandes, ses remarques passées et les réponses qu'on lui a faites, son compte client, etc. Tout cela est associé bien sûr à des moyens de paiement électronique.
  • On associe la mise en réseau des ressources de production pour renouveler les stocks et la proximité de la distribution pour assurer la livraison, la production renouvelant le stock de la distribution en tant que de besoin.

Ce schéma parle de lui même et on pourrait l’enrichir d'une foule de détails qui seraient prématurés ici. On voit en tout cas surgir un point très délicat : si l’on suit cette démarche, la société de médiation devient le centre de l’entreprise et prend toutes les initiatives, les autres entités (dans la distribution, dans la production) devenant les bras dont elle se sert pour agir. Or il n'est pas facile, dans une entreprise, de faire admettre ce type de mise en tutelle par une entité nouvelle !

Tant que ce point n’est pas réglé, il convient de rester discret dans la conception de la fonction de médiation au sein de l’entreprise. De toutes façons cette fonction, même si on l’ambitionne de toutes ses forces, ne doit pas faire l’objet d’une communication explicite (ceux qui disent publiquement : " J’ambitionne de devenir le médiateur de mon secteur d’activité " sont des fanfarons et des maladroits). On doit avancer, mais masqué. Il faut en effet :

  • masquer aux autres fournisseurs que l'on ambitionne le rôle de médiateur. Ils seraient tentés de torpiller l'initiative en feignant ne pas comprendre ce que l'on veut faire, de ne pas pouvoir prendre les commandes par voie électronique, etc.
  • masquer aux clients que l'on est médiateur : le client ne souhaite pas être intermédié, il veut seulement un service commode ; il faut que la médiation lui apparaisse comme quelque chose qui fonctionne bien, non comme une politique que l'on affiche.

Partenariats

Le e-commerce implique toujours des partenariats : si l’entreprise ambitionne le rôle de médiateur sur son marché, il faut qu’elle puisse y vendre les produits des autres fournisseurs. La solidité d’une médiation repose sur la confiance absolue que les partenaires peuvent avoir dans l’honnêteté du médiateur ; et cette confiance s’obtient par la qualité et la transparence (sous contrôle d’accès bien sûr) du système d’information. Il faut que le partenaire puisse accéder aux informations relatives aux ventes de ses produits, aux mouvements de son compte, aux délais de paiement et de reversement, selon une traçabilité parfaite. Si celle-ci n’est pas fournie, il pourra toujours penser que le médiateur se fait des " jours de trésorerie " sur son dos, et il aura souvent raison car c’est une tentation à laquelle il est difficile de résister ; les relations s’aigriront, le partenariat éclatera.

Par ailleurs, il est utile de définir les relations entre son propre site et les sites analogues. Ce deuxième type de partenariat, certes indispensable, doit être envisagé avec précaution : comment se lier à un site partenaire sans perdre la personnalité de son propre site ? comment éviter d’être un catalogue de liens vers des sources externes, que la logique éditoriale du site de l’entreprise soit bousculée par des contenus qui ne respectent pas la même charte graphique, la même architecture du contenu ?

La solution qui consiste à entretenir un lien vers le site partenaire n’est pas tenable. Il faut donc faire accepter par le partenaire que l'on reproduise sur le site de l’entreprise, et selon sa logique éditoriale, des informations provenant du site partenaire et " relookées ". Cela se négocie, ainsi que les conditions de mise à jour semi automatique des contenus quand le partenaire fait évoluer son site. Il faut déterminer les contreparties que l'on peut lui offrir.

Il faut aussi prendre garde à respecter la personnalité de chacun. La profession des clients pourrait s’offusquer de voir certaines des fonctions de son site reprises par le site de l’entreprise ; ce n’est pas nécessairement elle qui est la mieux placée pour publier par exemple les offres et demandes d’emploi de la profession. Il faut éviter deux écueils : un site nombriliste exaltant l’activité professionnelle de l’entreprise et qui n’intéresserait pas ses clients, et un site dédié à la profession des clients, mais dont l’activité pourrait être jugée indiscrète.

La solution se trouve dans la direction suivante : affirmer sa personnalité, car de toutes façons les utilisateurs du site sauront bien identifier qui est derrière ; et définir cette personnalité autour d’une compréhension fine des besoins du client et d’une attitude de service. Il s’agit donc tout à la fois d’être franchement soi-même, et de se placer au service du client. La redéfinition de la personnalité de l’entreprise ici nécessaire est une des tâches du e-management.

Valorisation interne du e-commerce

Le e-business procure de nouvelles possibilités d’analyse marketing. Il est possible d’observer la façon dont les clients utilisent les ressources mises à leur disposition ; cette observation doit déboucher sur une attitude proactive (faire du " push ") lorsque l’on détecte qu’un client n’utilise pas à fond les possibilités qui lui sont offertes. Elle donne aussi des indices sur les projets de ce client et les problèmes qu’il rencontre.

L’utilisation d’identifiants et de mots de passe personnalisés (on peut donner un mot de passe par personne) permet d’affiner l’analyse. Certes on ne sait jamais si une personne n’a pas donné son mot de passe à d’autres, et on n’est donc jamais certain de l’identité de ceux qui utilisent le service ; néanmoins, si l’on a la prudence de considérer que chaque mot de passe correspond non à une personne, mais à une grappe de personnes, il est instructif d’observer la façon dont chacune de ces grappes utilise le service.

Le système doit faciliter la détection des appels d’offres dans le monde en utilisant les agents intelligents (comme complément du dépouillement des publications sur papier), et la rédaction des réponses aux appels d’offres. On pourra utiliser le système pour documenter les réseaux installés dans le monde, en stockant l’information que l’on détient sur eux, et en nourrir des études prospectives permettant d’anticiper la demande des clients.

Enfin - et c’est l’un des apports essentiels du e-business - celui-ci permet une gestion plus précise des relations entre demande, stocks et production, et donc la réduction des immobilisations et du besoin de fonds de roulement.

Le schéma ci-dessus représente la relation du processus productif avec la distribution : la production réserve les facteurs de production (capital K, travail L, consommations intermédiaires X) afin de réaliser la production Y = f(K, L, X) en fonction des exigences de reconstitution des stocks.

L’e-business peut contribuer à améliorer la gestion des stocks.

2. Place du e-business dans le STC

Le STC ne transforme pas seulement la fonction de production : il transforme également les moyens d'échanges. La généralisation de l'informatique et des réseaux encourage son développement. Celui-ci ne supprimera pas les formes antérieures du commerce (pas plus, ni moins, que les grandes surfaces n'ont supprimé le commerce de proximité) mais il se taillera une part de marché significative.

Le commerce électronique a un lieu naturel, l'Internet, qui après des tâtonnements s'impose comme le réseau téléinformatique mondial. Son acteur principal est le médiateur, celui qui dans le foisonnement de l'offre provoquée par la différenciation des biens trouve pour chaque demandeur la variété qui lui convient le mieux. On est dans le contexte de la personnalisation, du " one to one ", dont nous ne connaissons actuellement que les balbutiements. On trouvera en annexe à ce chapitre une étude sur l'architecture et le coût de l'Internet qui prouve la viabilité économique de ce réseau et la solidité du socle qu'il offre au commerce électronique.

Médiation

Le commerce électronique, dont l'Internet est désormais le lieu de prédilection, introduit une nouvelle forme d'organisation du marché que nous appellerons "médiation ". Ce terme désigne selon le contexte (1) un agent économique nouveau, dont la fonction est d'exploiter les outils du commerce électronique sur un segment économique, (2) l'action de cet agent, (3) l'organisation du marché qui résulte de cette action.

Une médiation est une procédure économique et téléinformatique permettant aux acteurs d'un même segment économique (fournisseurs, acheteurs, banquiers, partenaires etc.) de réaliser leurs transactions de façon efficace.

Les médiations concernent plus particulièrement les transactions complexes, urgentes et multilatérales. Ce sont des offres commerciales centrées sur la vente de mise en relation, non sur la vente de biens ou services.

Dans l’économie du STC, les biens sont différenciés et il n'est donc pas facile pour le consommateur d'exprimer une demande pertinente, c'est-à-dire de traduire son besoin en demande de façon à tirer le meilleur parti de la différenciation de l'offre. La médiation a pour rôle de trouver, dans l'ensemble des produits différenciés, celui qui répond le mieux au besoin de ce consommateur-là. Elle l'aide donc à exprimer sa demande de façon pertinente, et à accéder au bien qui, pour lui, présente le meilleur rapport qualité/prix.

Avec la différenciation généralisée des biens qui caractérise le STC, la médiation devient la forme naturelle d'organisation du commerce.

Conséquences de la médiation

L'introduction d'une médiation rend les échanges plus fluides sur les marchés des biens et services relevant d'un segment en apportant à la réalisation des transactions davantage de souplesse, de sécurité, de contrôle des délais etc.

Elle permet surtout d'accroître le rapport qualité/prix subjectif associé à l'échange dans le cas des biens ou services différenciés : l'outillage téléinformatique de la médiation comporte les procédés d'observation du client, de segmentation et de " scoring ", permettant une réponse personnalisée à sa demande et facilitant la recherche de la meilleure prescription.

L'amélioration de la fluidité du marché et de la qualité de la prescription a des conséquences analogues à celles de l'introduction de la monnaie dans une économie de troc : la rencontre de l'offre et de la demande se faisant dans de meilleures conditions, il y a création de surplus économique (profit pour les fournisseurs, utilité pour les consommateurs). On peut donc dire en toute rigueur que la médiation est créatrice de richesse.

Propriétés des médiations

Une médiation met en concordance et exécute les ordres émanant d'acteurs économiques (achat/vente, traitement de créances, paiements) et procède à des contrôles (solvabilité, autorisations).

Elle doit donc, afin de traduire par des actes les ordres qu'elle a reçus, traiter le contenu des messages (et non seulement leur adresse). Ceci implique qu'une médiation mette en œuvre d'autres techniques que celles des télécommunications.

La définition des procédures et outils d'une médiation tient compte des spécificités du segment considéré : une médiation dans le transport aérien n'a pas la même articulation que dans la santé ou le transport terrestre. Si le concept de médiation est général, ses concrétisations sont toutes catégorielles.

Une médiation est un nœud fiduciaire au cœur du segment considéré, car elle assure une gestion des risques qui implique et justifie à la fois une confiance élevée de la part des acteurs concernés.

Traitement physique et financier de la transaction

La construction de la médiation est achevée lorsque celle-ci traite conjointement les deux aspects physique et financier de chaque transaction ; historiquement, la mise en place d'une médiation commence souvent par l'aspect physique (ex. : systèmes de réservation des compagnies aériennes).

Illustrons la définition par différence:

  • un système de réservation dans le transport aérien (Amadeus), une bourse de fret dans le transport terrestre (Lamy) ne sont pas des médiations achevées: ils ne considèrent que l'aspect physique de la transaction (réservation d'un siège pour un passager, chargement d'un camion), et n’assurent pas le traitement de sa contrepartie financière (créances émises à l'occasion de la transaction) ;
  • le Minitel n'est qu'une esquisse de médiation, car il ne considère pas le contenu des messages, sur lesquels il n'exécute que des opérations d'acheminement et de taxation ; il recouvre une catégorie de transactions très étroite.

Le coût d'une médiation est surtout un coût initial de conception, négociation et mise en place. Il dépend peu du volume des transactions. Le coût moyen décroissant de la médiation lui confère le caractère d'un monopole naturel : une fois installée, il sera impossible pour un concurrent de l'évincer, sauf si son exploitant tente d'abuser du monopole, par exemple en pratiquant des prix élevés.

L'idée selon laquelle l'avenir du commerce se trouve sur les réseaux, notamment sur l'Internet, a fait des adeptes. Plusieurs opérateurs mondiaux cherchent à tirer parti du commerce sur le réseau (AT&T, NTT, Microsoft, etc.). Le chiffre d'affaires potentiel des médiations est estimé, sur le seul marché français, à quelques dizaines de milliards de francs annuels (qui certes ne pourront être conquis qu'à terme, et non sans efforts).

L'exploitant de la médiation peut faire rémunérer ses services par le marché (typiquement, il se fera payer par les fournisseurs en prélevant un pourcentage du chiffre d'affaires passé par la médiation ; d'autres formules peuvent être imaginées, comportant par exemple une dégressivité pour les fournisseurs les plus importants pour les fidéliser).

La rémunération des services fournis par le médiateur dépendra de la situation de concurrence dans laquelle il se trouve par rapport à d'autres entreprises capables elles aussi d'exploiter une médiation.

Un exemple: FedEx

FedEx a été créée en 1973 par Fred Smith. Son idée était la suivante: " Les avancées en technologies de l'information vont stimuler la demande de services logistiques d'un type nouveau, qui permettront de remplacer les stocks de matériel par du fret se déplaçant rapidement ".

Le chiffre d'affaires de FedEx est de 10,3 milliards de dollars. Elle exploite 562 avions et 37 000 camions.

L'étroite association des données et du monde physique permet à FedEx de collecter, trier et livrer du jour au lendemain, dans le monde entier, des millions de paquets à des millions de destinataires. Les dirigeants de FedEx ne décrivent pas leur affaire comme une entreprise, ni comme un transporteur aérien, mais comme un réseau. Ils expliquent qu'elle a deux composantes essentielles : un réseau d'avions et de camions pour déplacer la matière, et un réseau de données pour déplacer des octets. La force de FedEx vient du fait que cette entreprise est un amphibie en matière de réseaux: elle est également à l'aise pour commuter des paquets de fret ou des paquets de données.

Le cœur de la doctrine de FedEx, c'est que les données concernant un chargement ont autant de valeur que le chargement lui-même.

À partir de 1984, FedEx a donné gratuitement à ses gros clients des systèmes PowerShip (des PC qui se connectent directement au réseau Cosmos de FedEx). Ils automatisaient le processus en garantissant que l'information sur un chargement était numérisée dès le lancement d'un ordre de transport. Puis FedEx a diffusé un logiciel qui transforme en terminal de Cosmos, capable de traiter les ordres de transport, les échanges de courrier, le suivi du chargement et l'impression des factures, tout PC ou Macintosh équipé d'un modem. 60 % des commandes adressées à FedEx passent par ce circuit automatique. Les commerciaux de FedEx ont cherché longtemps à attirer sur leur réseau les 40 % restants : l'Internet a apporté la solution : " Nous n'avons plus à nous soucier de notre réseau, le réseau est partout ". Tout PC connecté à l'Internet est maintenant un terminal du réseau Cosmos de FedEx.

Le but est de faire de FedEx le transporteur aérien officiel de l'Internet

" Quand le télégraphe est arrivé, les chemins de fer se sont développés également. La télégraphie créait les connexions, et le chemin de fer permettait de l'accomplir. Aujourd'hui l'Internet crée la connexion et nous l'accomplissons ".

La nouvelle arme de FedEx est le logiciel BusinessLink, conçu pour intégrer dans une même chaîne de traitements toutes les étapes du commerce électronique: bon de commande, facture, gestion des stocks, livraison.

Prenons pour exemple Insight, entreprise de vente à distance sur catalogue. Pour éviter d'immobiliser des stocks, Insight est devenu un " magasin virtuel " : les marchandises sont transportées directement du fournisseur au consommateur. " Le processus est transparent pour le consommateur. Il place une commande sur l'Internet, elle est transmise au fournisseur, et FedEx assure le transport. La plupart du temps, nous ne touchons même pas le produit. Tout ce que nous faisons, c'est de rester assis et de ramasser la monnaie ".

C'est ainsi que FedEx voit le futur: une place de marché électronique, où les managers ne se soucient que de marketing, de service au client, et de faire leurs comptes. FedEx fera le travail de facturation, de gestion des stocks etc. En échange de la gestion du système d'information, FedEx aura davantage de fret à transporter et prélèvera en outre quelques pour cent sur la valeur de chaque transaction.

3. L'Internet

Le terme " Internet " recouvre un réseau, des langages de programmation et des services. Nous décrivons en détail son architecture dans l’annexe qui lui est consacrée ; voici quelques éléments essentiels :

Le réseau Internet (ou l'Internet) utilise le protocole de communication TCP/IP mis au point par le Department of Defense des États-Unis. Celui-ci voulait un réseau capable de résister à une destruction massive. Il a mis au point une architecture robuste et peu coûteuse : l'Internet, c'est la Jeep des réseaux.

Le réseau est constitué de lignes louées et de routeurs (ordinateurs spécialisés dans le routage de paquets d'octets). La transmission se fait en mode paquet. La diffusion des tables d'adressage entre routeurs se fait par dissémination, sans référence à un serveur central : cette disposition rend le réseau invulnérable, car il n'a ni tête ni centre. Personne ne peut s'opposer à son extension.

Les utilisateurs accèdent à l'Internet via des points d'accès fournis par des entreprises commerciales, les IAP. Les services sont fournis par des serveurs connectés à l'Internet par liaison louée.

L'Internet a d'abord été utilisé par des chercheurs pour échanger des messages : les seuls services étaient la messagerie et les forums. Un service de documentation a été ensuite ouvert utilisant le format HTML qui permet de passer d'un document à un autre en cliquant sur le nom de celui-ci. Des interfaces utilisateur commodes ont été offertes ainsi que des outils de recherche aidant à trier la masse des documents publiés. L'utilisation de l'Internet s'est élargie aux entreprises, puis au public averti. Le commerce électronique se bâtit sur l'Internet, et se développe en suivant les progrès de la sécurisation des transactions. L'lnternet est désormais un média.

Le paragraphe ci-dessus donne un échantillon de la terminologie Internet. Ce jargon irrite les hommes de culture, mais ils auraient tort d'en rester à ce sentiment: l'Internet s'impose parce qu'il est robuste, pas cher, et permet de réaliser maintenant des services qui relevaient naguère de la prospective. Les acteurs qui, comme Microsoft, ont tenté d'enfermer leurs clients dans des réseaux " propriétaires " ont été contraints de se rallier à l'Internet, devenu le standard en termes de protocole, de réseau et de services.

L'Internet est un vecteur de distribution pour les producteurs de logiciels, car il permet de livrer ceux-ci par téléchargement. Il encourage une offre (presque) gratuite, d'origine universitaire ou artisanale, qui menace les " grands " (Microsoft, Lotus etc.). Les nouvelles versions sont diffusées très vite.

La grande nouveauté, c'est Java de Sun Microsystems. Java est un langage de programmation orienté-objet qui multiplie les possibilités de l'Internet en permettant de transférer non seulement des données, mais des modules de traitement.

Les éléments chiffrés concernant le marché de l’Internet (nombre d'utilisateurs etc.) sont à manier avec prudence: comme dans tout domaine nouveau, les définitions ne sont pas mûres.

On est en tout cas frappé par la croissance de l'Internet et par l'évolution de son emprise en cercles successifs (chercheurs, puis entreprises, CSP+, aujourd'hui classes moyennes ).

Voici des évaluations plausibles du nombre d'utilisateurs:

France, 1995 :

150 000 utilisateurs.

France, mai 1996 :

400 à 500 000 pour la messagerie,

100 à 150 000 pour les services du Web.

Monde, janvier 1996 :

20 à 30 millions pour la messagerie,

10 à 15 millions pour les services du Web

(Source: Network Information Center).

France, avril 1997:

1,4 million d'utilisateurs.

Monde, 1998:

de 80 à 100 millions d'utilisateurs

(Source: Boston globe).

Monde, 2000:

250 millions d'utilisateurs pour la messagerie et les services du Web.

(Source: cabinet Input).

Intranet

Intranet, c'est la plate-forme de l'entreprise-réseau. Les entreprises américaines s'emparent de cet outil de compétitivité dont le marché est déjà surchauffé (sa croissance n'est limitée que par la pénurie en ingénieurs qualifiés). En France, les choses vont plus lentement, mais le marché peut décoller car les outils sont prêts.

Intranet, c'est l'utilisation de l'Internet à l'intérieur de l'entreprise. Il ne se réduit pas au protocole TCP/IP de communication de l'Internet : on trouve dans Intranet le meilleur des outils de travail de groupe internes à l'entreprise (Lotus Notes), et le meilleur des langages de développement disponibles sur l'Internet (Java).

Ces innovations apportent un souffle d'air frais. Elles facilitent la communication des systèmes d'information d'entreprises différentes (Extranet). Les perspectives sont vastes à condition de pouvoir traiter les questions de sécurité :

  • commodité pour le simple utilisateur devant son poste de travail,
  • disponibilité pour l'informatique d'outils de développement puissants et peu coûteux (le coût de certaines applications est divisé par 10, ainsi que leurs délais de réalisation),
  • ouverture du système d'information de l'entreprise à son client, ouvrant ainsi la "new customer connection " qui transformera le commerce.

 Annexe 1 du chapitre XIII : Analyse économique de la médiation

Création de surplus

Pour simplifier, nous présenterons l'équilibre du marché selon le vocabulaire qui convient lorsqu'il s'agit d'un bien (ou service) de consommation: la demande découle alors de la maximisation de l'utilité du consommateur, le prix est égal à l'utilité marginale, l'équilibre du marché s'établit entre consommateurs et fournisseurs. Les résultats s'appliquent cependant, moyennant une modification du vocabulaire, au cas des biens d'équipement ou biens intermédiaires : la demande des entreprises découle alors de la maximisation du profit, c'est-à-dire à la fois de l'optimisation du programme (i. e. du portefeuille de projets mis en exploitation par l'entreprise) et de la minimisation du coût; le prix est égal à la productivité marginale du bien intermédiaire.

Il faut prendre en compte la nature du marché considéré: concurrence parfaite, concurrence limitée ou monopole. On sera dans l'un ou l'autre de ces trois cas selon que la demande est plus ou moins forte par rapport au minimum de la fonction de coût d'un fournisseur (plus précisément, du minimum c du coût moyen de production d'une entreprise c = c(q)/q):

  • si la demande est forte, c'est-à-dire si la quantité q(c) demandée pour le prix de vente c est égale à un multiple faible (de l'ordre de quelques dizaines) de la quantité q, on sera en situation de concurrence limitée: l'ajustement de l'offre à la demande ne peut pas se faire par création de nouvelles entreprises, mais par augmentation de la production des n entreprises existantes. Dans ce cas, le prix auquel la production sera offert est le coût marginal de production "q/n). Cette relation permet de construire la courbe d'offre, et c'est ce cas que nous avons décrit implicitement ci-dessus. Nous ne considérons pas le cas où n est de l'ordre de quelques unités : on est alors en situation d'oligopole, et la modélisation suppose des hypothèses sur les jeux des acteurs ;
  • si la demande est très forte, c'est-à-dire si la quantité q(c) demandée pour le prix de vente c est égale à un multiple élevé (de l'ordre de quelques centaines) de la quantité q qu'un fournisseur peut produire au coût c, on est en situation de concurrence parfaite ; l'équilibre est atteint par création de nouvelles entreprises, qui produisent chacune q et vendent le produit au prix c, sans faire de profit (ou plus précisément en réalisant un profit égal au standard minimum sur le marché des capitaux). La courbe d'offre est une droite horizontale ;.
  • si la demande est faible, c'est-à-dire si q(c) est inférieure à 2q, on est en situation de monopole naturel : une seule entreprise est en mesure de couvrir les besoins du marché, et de dissuader l'entrée d'un concurrent. Dans ce cas il n'existe plus de courbe d'offre à proprement parler ; l'entreprise pratique le prix de vente p qui maximise son profit, mesuré lui même par :

p.q(p) - c[q(p)], où q(p) est la quantité demandée pour le prix p.

Le couple (p, q) offert en situation de monopole dépend donc non seulement de la fonction de coût, mais de la fonction de demande.

NB 1 : les marchés ne peuvent pas tous se traiter de façon aussi simple, notamment en ce qui concerne les services d'information pour lesquels il faut considérer des phénomènes d'oligopole, de dissémination, etc. Nous considérerons dans la suite de ce travail des marchés de biens ou services susceptibles de répondre au schématisme du modèle d'équilibre partiel.

NB 2 : à un même segment économique peuvent correspondre plusieurs biens ou services, possédant chacun son marché particulier. Pour simplifier, nous supposerons que le segment économique considéré ne comprend qu'un seul bien.

Concurrence limitée

Considérons l'équilibre partiel d'un marché sur lequel sont confrontées l'offre et la demande d'un bien, représentées chacune par la courbe d'offre 0 et la courbe de demande D. L'échange se fait au prix d'équilibre p* selon la quantité d'équilibre q*. Le surplus dégagé par le fonctionnement de ce marché est la surface ABE, qui comprend deux parties :

  • la surface ABC mesure le profit de l'offreur,
  • la surface CBE mesure le surplus des consommateurs.

Supposons que l'on introduise une médiation sur ce marché. Elle a pour effet de déplacer vers la droite les courbes d'offre et de demande (qui deviennent 0' et D') : la médiation rendant le marché plus fluide, les coûts de transaction associés à la mise du bien sur le marché sont diminués, et donc pour un prix de vente égal la quantité offerte sera supérieure; de même, le coût de transaction associé à l'achat du bien est diminué, et donc pour un prix donné la demande sera également supérieure.

Dans le cas particulier du marché d'un bien différencié, l'un des effets de la médiation est d'accroître le rapport qualité/prix, donc la demande à prix égal.

 

Le surplus est accru, la surface ABE devenant la surface A'B'E'. L'accroissement du surplus est mesuré par la surface A'B'E'EBAA'.

Concurrence parfaite

Si le marché du produit considéré est en situation de concurrence parfaite, la courbe d'offre est une droite horizontale et le profit des fournisseurs est nul (le nombre des entreprises entrées sur le marché est tel que le coût de production soit minimal pour chaque entreprise, et le prix de vente est égal au coût de production).

La création d'une médiation aura pour effet une augmentation de la demande et une baisse du coût de production. L'entrée de nouveaux fournisseurs sur le marché réduit à zéro le montant du profit, le seul surplus produit sera celui correspondant à l'accroissement d'utilité.

Le fait que le profit soit nul n'empêche pas l'exploitant de la médiation de se faire payer ses services par les fournisseurs : cela aura simplement pour effet de réduire la baisse du coût de production, donc de limiter le nombre des entreprises qui peuvent entrer sur le marché, et de réduire l'accroissement d'utilité.

Monopole naturel

Notons C la courbe qui représente la fonction de coût moyen c(q)/q (représentée ici horizontalement par souci de simplicité, mais elle est en principe décroissante).

Avant l'introduction de la médiation, le surplus du consommateur est la surface EBF, et le profit du producteur est la surface du rectangle FBHG. Ces deux surfaces deviennent après l'introduction de la médiation EUF et F'B'H'G'. Il y a donc, comme dans le cas de la concurrence limitée, accroissement simultané du profit et de l'utilité. Il est également possible pour l'exploitant de la médiation de se faire rémunérer : cela équivaut pour le fournisseur, par rapport à la situation où le fonctionnement de la médiation serait gratuit, à un accroissement du coût moyen, qui entraîne une diminution du profit et une augmentation du prix de vente, et donc aussi une diminution de l'utilité pour le consommateur.

Rémunération de la médiation

L'exploitant de la médiation apporte de la richesse (utilité ou profit) aux parties en présence sur le marché (demande et offre). Il peut se faire payer pour cet apport, de façon à couvrir les frais de mise en place et d'exploitation de la médiation, et à dégager en outre un profit. Il convient de s'interroger d'abord sur la forme de la fonction de coût de la médiation, puis sur le type de tarif qu'elle peut pratiquer. Il en résultera des conditions d'existence de la médiation. Nous examinerons ensuite le profit que pourrait obtenir l'exploitant de la médiation selon qu'il sera ou non en concurrence avec d'autres exploitants.

Coût de la médiation

Le coût de la médiation dépendra pour partie du volume des affaires traitées sur le marché (qui détermine le nombre de transactions informatiques traitées par la médiation, et a donc des incidences sur le dimensionnement de ses outils informatiques: mémoires, puissance de calcul, réseaux).

Cependant l'essentiel du coût de la médiation ne sera pas dans ces postes de dépense. Il se trouvera dans les travaux préliminaires nécessaires à l'instauration de la médiation, et notamment dans le coût de négociation et de spécification des contrats et des modalités d'exploitation ainsi que dans les coûts de développement.

La fonction de coût de la médiation est à coût fixe; elle dépend très peu du volume des affaires traitées, et l'essentiel du coût est payé avant que sa mise en exploitation n'ait été entamée. Un projet de médiation supporte à plein l'effet des incertitudes sur les prévisions de chiffre d'affaires.

Si l'on note 1 le coût de l'investissement initial, E le coût d'exploitation annuel (indépendant du volume des affaires), et R la recette annuelle (supposée constante dès la première année d'exploitation, une hypothèse sur la montée en charge introduisant des complications inutiles ici), le TRI de la médiation sera:

r = (R - E)/I

On demandera à ce TRI d'être égal au taux d'actualisation i, plus une prime de risque n fonction de l'incertitude 5 sur le montant de la recette annuelle R (b reflète la corrélation entre le risque de ce projet et le risque sur le marché financier); la courbe qui indique la relation entre le TRI et le coefficient b est la " security market line " de la théorie des actifs financiers.

Tarif de la médiation

La médiation doit dégager une recette procurant une prime de risque convenable; si r est le TRI ainsi déterminé, la recette doit être en conservant les hypothèses ci-dessus :

R ³ E + r.I

Le mode de tarification le plus simple pour la médiation est de demander aux fournisseurs un pourcentage sur le montant des ventes qui transitent par la médiation (ce montant peut d'ailleurs être prélevé au passage par l'exploitant de la médiation lors du traitement des flux financiers). Il est possible aussi d'inclure dans la tarification un abonnement fixe, qui garantit un minimum de recettes indépendant du montant des transactions. Enfin, si l'exploitant de la médiation craint d'être mis en situation de concurrence avec d'autres exploitants de médiation, et qu'il veut fidéliser ses clients les plus importants, il peut pratiquer un tarif dégressif.

Considérons le cas le plus simple, celui d'un prélèvement proportionnel au chiffre d'affaires p.q du fournisseur; on devra avoir, en notant t le taux du prélèvement:

R = t.p.q

D'où la condition pour que l'exploitation de la médiation soit rentable :

Condition 1 :

D'où la condition pour que l'exploitation de la médiation soit rentable :

Condition 1 : t ³ [E + (i + p)I]/pq

Possibilité de la médiation

Il ne sera possible de mettre en exploitation une médiation que si la condition ci-dessus peut être remplie de façon intéressante pour le marché, c'est-à-dire si l'accroissement du surplus qui reste aux demandeurs comme aux offreurs reste positif une fois l'exploitant de la médiation rémunéré.

Possibilité de la médiation

Il ne sera possible de mettre en exploitation une médiation que si la condition ci-dessus peut être remplie de façon intéressante pour le marché, c'est-à-dire si l'accroissement du surplus qui reste aux demandeurs comme aux offreurs reste positif une fois l'exploitant de la médiation rémunéré.

Supposons que l'exploitant de la médiation se fasse rémunérer au taux T sur le chiffre d'affaires du fournisseur; cela équivaut, pour le fournisseur, à un accroissement de son coût de production dans les mêmes proportions, ce qui entraîne un déplacement de la courbe d'offre vers le haut par rapport à la situation où la médiation serait gratuite (offre 0").

Le point d'équilibre B" correspond, par rapport au point B', à une diminution du surplus global (cette diminution est mesurée par la surface B"JB'). Cette diminution se répercute sur les deux côtés du marché (fournisseurs et consommateurs).

La rémunération de l'exploitant de la médiation est représentée ci-dessus par la surface C"B"JH.

En ce qui concerne les consommateurs, l'augmentation du prix de vente entraîne une baisse corrélative de la quantité consommée. Le surplus du consommateur est donc diminué par rapport au cas où la médiation serait gratuite. Ceci nous permet de préciser la deuxième condition d'existence de la médiation.

Condition 2 : L'introduction du paiement de la médiation par le fournisseur ne peut se faire que si le consommateur y trouve son compte, c'est-à-dire si le gain d'utilité reste positif ; il faut donc que la surface E'B"C" soit supérieure à la surface EBC qui mesurait le surplus avant l'introduction de la médiation.

Par ailleurs, le profit du fournisseur devient la surface C"B"A", et il est donc diminué par rapport à la situation où la médiation serait gratuite. Pour que la médiation existe, il faut qu'elle apporte au fournisseur un accroissement de profit par rapport à la situation où la médiation n'existerait pas, ce qui nous donne la seconde condition d'existence:

Condition 3 : L'introduction du paiement de la médiation par le fournisseur ne peut se faire que si le fournisseur y trouve son compte, c'est-à-dire si le gain de profit reste positif ; il faut donc que la surface C"B"A" soit supérieure à la surface CBA.

Ainsi la création d'une médiation doit obéir à trois conditions : l'une relative au taux minimal de rémunération de la médiation en fonction de son coût et de l'actualisation à lui appliquer (y compris la prime de risque); les deux autres relatives à la nécessité que la médiation apporte d'une part un gain d'utilité aux demandeurs, d'autre part un accroissement de profit aux fournisseurs.

Concurrence entre médiations

Le coût de la médiation étant un coût fixe, indépendant du volume des affaires qu'elle traite, le coût moyen du traitement d'une affaire est décroissant. Une médiation est donc en situation de monopole naturel sur son segment d'activité. Il n'y a place sur le marché que pour une seule médiation en raison de la forme de la fonction de coût des médiations, car son exploitant aura toujours la possibilité de diminuer son prix (jusqu'à l'annulation du profit) s'il est menacé par l'entrée d'un concurrent qui souhaiterait l'évincer du marché. Dès lors la situation de concurrence se réduit à deux cas : ou bien le risque d'entrée est ressenti par l'exploitant de la médiation, ou bien il ne l'est pas.

Entrée possible

Dans ce cas, la parade est de pratiquer une politique tarifaire procurant un profit nul, ce qui dissuadera le concurrent d'entrer. La médiation couvrira tout juste ses coûts, le taux T étant déterminé par

t = [E + (i + p)I]/p.q.

Entrée impossible

Dans ce cas, l'exploitant de la médiation peut pratiquer un tarif qui lui permet de maximiser son profit. Il va ponctionner ainsi une part maximale du surplus des fournisseurs et des consommateurs. La maximisation du profit doit se faire sous la contrainte que le gain de surplus procuré par l'existence de la médiation soit positif pour les fournisseurs et les consommateurs, ce qui dans certains cas peut imposer une borne à la recherche du profit maximum.

Entrée impossible

Dans ce cas, l'exploitant de la médiation peut pratiquer un tarif qui lui permet de maximiser son profit. Il va ponctionner ainsi une part maximale du surplus des fournisseurs et des consommateurs. La maximisation du profit doit se faire sous la contrainte que le gain de surplus procuré par l'existence de la médiation soit positif pour les fournisseurs et les consommateurs, ce qui dans certains cas peut imposer une borne à la recherche du profit maximum.

Ainsi, la tarification de la médiation reflétée par la figure ci-dessus maximise le profit de l'exploitant de la médiation; par contre, il n'est pas certain à l'examen du graphique qu'elle corresponde à un accroissement du surplus pour le consommateur, et dans ce cas l'exploitant de la médiation devra se contenter de pratiquer le tarif qui annule ce surplus.

Répartition du surplus

Le niveau du surplus global et sa répartition entre les parties prenantes dépend du coefficient t de prélèvement du surplus par l'exploitant de la médiation. Le surplus global est fonction décroissante de t, car si t est positif le surplus est diminué de la surface B"JB'. Si t est nul, le surplus est maximal et l'exploitant de la médiation ne perçoit rien. tmin est le taux qui permet au médiateur d'équilibrer son exploitation. Pour le taux tmax l'un des deux acteurs Offreurs ou Demandeurs a un accroissement de surplus nul : t max est le taux de prélèvement de monopole, pour lequel le prélèvement est maximal. Il est impossible de prélever davantage sans compromettre l'existence de la médiation.

Synergie entre médiations

Les informations recueillies à l'occasion de l'exploitation d'une médiation peuvent être utiles pour exploiter une autre médiation dans un segment voisin. Dans ce cas, il existe une économie d'envergure entre médiations : l'exploitation conjointe de deux médiations coûte moins que la somme des coûts d'exploitations isolées.

Cette propriété a deux conséquences : d'une part, elle tempère la solidité du monopole naturel sur une médiation; d'autre part, elle introduit la possibilité d'un monopole naturel sur l'exploitation de l'ensemble des médiations.

La solidité du monopole naturel sur une médiation vient du fait que l'exploitant de cette médiation peut, si un concurrent cherche à entrer sur la même activité, pratiquer le taux de prélèvement qui réduit le profit de la médiation à zéro sur le segment considéré. Dès lors le concurrent, qui a la même fonction de coût, n'a plus de perspective de profit et il ne peut pas attirer les acteurs du segment en pratiquant un prix plus bas que celui de la médiation existante, parce que ce prix impliquerait pour lui un déficit.

Si par contre le concurrent exploite déjà une médiation dans un autre segment, et s'il existe une économie d'envergure entre les deux médiations, il pourra entrer sur le segment considéré en pratiquant un prix plus bas que celui de la médiation en place, parce qu'il pourra tirer parti de la baisse de coût procurée par l'économie d'envergure.

Le monopole naturel sur une médiation isolée est donc fragilisé par l'existence d'économies d'envergure potentielles entre médiations.

Les segments économiques peuvent se classer en sous-ensembles tels que :

- il n'existe pas d'économie d'envergure entre deux segments appartenant à des classes différentes ;

- on peut trouver entre deux segments S1 et Sn appartenant à la même classe une suite de segments (S1, S2, ..., Sn) telle que l'exploitation d'une médiation sur les segments Si et Si + 1 de cette suite comporte une économie d'envergure.

À l'intérieur d'une des classes, l'exploitation de l'ensemble des segments comporte une économie d'envergure. Un exploitant qui exploiterait des médiations dans l'ensemble des segments de cette classe sera en position de monopole naturel, parce qu'aucun concurrent ne pourra bénéficier d'une économie d'envergure plus large que la sienne. Si le jeu des entrées sur le marché des médiations est libre, un seul exploitant finira par concentrer l'exploitation de toutes les médiations relevant de cette classe.

S'il apparaît à l'analyse que les relations entre segments sont telles que la classification ci-dessus se résume à une seule classe, il existe sur l'exploitation des médiations un monopole naturel unique s'étendant à toute l'économie.

Méthode de chiffrage

Les raisonnements qui précèdent permettent de concevoir une méthode de chiffrage commode. Après avoir estimé les coûts de mise en place et d'exploitation d'une médiation, ainsi que le coefficient b qui permet de qualifier le risque dans le segment considéré, on peut pour chacun des produits de ce segment, connaissant le chiffre d'affaires que peut procurer leur vente après l'introduction d’une médiation, définir le coefficient t praticable pour une exploitation de la médiation équilibrée sur le plan économique.

Ensuite des informations sur les prix de vente et les quantités échangées (complétées par des hypothèses sur la fonction de coût et l'élasticité de la demande) permettent de dessiner les courbes d'offre et de demande avec et sans médiation. Si l'entrée de concurrents est exclue pour l'exploitant de la médiation, il est possible de déterminer graphiquement le Profit maximal qu'il peut dégager en maximisant le taux T sous la contrainte que l'accroissement du surplus soit positif pour les offreurs et les demandeurs.

Annexe 2 du chapitre XIII : Coût de l'Internet

L'Internet devient un phénomène de masse. Le nombre d'entreprises investissant pour " se mettre sur l'Internet " va croissant, qu'il s'agisse d'utiliser le réseau des réseaux pour leur organisation interne (Intranet) ou pour développer des projets relatifs au commerce électronique.

Au-delà de cet effet de mode, l'équilibre économique de ce réseau est à terme condition de sa pérennité ainsi que de celle des offres commerciales qu'il supporte.

L'lnternet sait actuellement faire face aux évolutions de ses mécanismes de financement et à la croissance de la demande. La question de la pérennité de l'Internet se pose donc à moyen terme, et non dans l'immédiat.

Le " backbone " américain qui constituait le cœur de l'Internet jusqu'au début de 1995 a été d'abord subventionné par l'administration américaine. Celle-ci a décidé de mettre un terme à ce financement. Certes les nouveaux opérateurs de ce réseau fédérateur n'ont pas à supporter le coût de l'amortissement d'équipements subventionnés. Cependant la croissance prévisible de la demande (nombre de personnes raccordées, diversification des services) les obligera à redimensionner le réseau. Ils devront amortir les équipements installés à cette fin.

Qui paiera ces nouveaux investissements ? Les seules recettes reçues par l'Internet proviennent aujourd'hui de la vente d'accès aux utilisateurs par les " Internet Access Providers ". Les recettes tirées des activités commerciales sont encore faibles mais recèlent de bonnes perspectives de croissance. Ce n'est d'ailleurs pas parce que l'Internet, en tant que réseau, créerait de la valeur que son financement serait assuré: encore faudrait-il que les mécanismes assurant sa rétribution soient mis en place, ce qui n'est pas acquis d'avance.

La pérennité de l'Internet comporte plusieurs dimensions mutuellement dépendantes : le réseau, l'accès au réseau, les services, doivent pouvoir chacun équilibrer son coût et dégager une marge convenable tout en faisant payer aux utilisateurs un prix acceptable. Nous n'allons pas ici examiner l'ensemble des conditions nécessaires à la solidité économique de l'Internet, mais porter notre attention son socle: le réseau. Nous considérons une condition simple, mais sine qua non : si les utilisateurs de l'Internet - utilisateurs finals et fournisseurs de services - n'arrivent pas à rémunérer le réseau convenablement, le socle de l'Internet s'effondrera. L'équilibre économique du réseau est condition nécessaire pour que l'Internet perdure.

Pour aborder cette question sans a priori, il faut fonder le calcul sur un recensement des informations relatives aux coûts et à la demande. L'économie d'un réseau obéit à une loi sévère, à laquelle l'Internet ne saurait échapper, et qui relie selon un cercle, toutes choses égales d'ailleurs (à qualité constante notamment) demande à prix, prix à coût, coût à dimensionnement, dimensionnement à demande.

La modélisation que nous présentons ici se propose d'être un outil d'aide à l'estimation de cet équilibre. Elle modélise et simule la croissance de l'Internet afin d'en estimer le coût à moyen terme.

La démarche peut se résumer ainsi : partant des indications disponibles sur :

- l'architecture de l'Internet,

- les coûts des unités d'œuvre qui lui sont nécessaires pour fonctionner,

- les prévisions de demande,

- les relations entre demande et dimensionnement,

Quelle sera l'évolution du coût du réseau ?

Ramenant ce coût aux utilisateurs de l'Internet, quel est le prix que l'utilisateur final devra payer pour équilibrer ce coût ?

Ce prix est-il acceptable ou prohibitif ?

Traiter cette question suppose que l'on accumule des informations d'origines et de fiabilités diverses, et que l'on arbitre pour retenir les hypothèses les plus plausibles. Il a fallu notamment, pour estimer l'effet du redimensionnement du réseau sur son coût, modéliser son architecture.

Le dimensionnement des liaisons et des équipements est déterminé à partir d'informations relatives au trafic que devra supporter le réseau et en utilisant des règles d'ingénierie simples, ce qui permet de dénombrer les unités d'œuvre. Les coûts unitaires sont ensuite introduits. Des résultats quantitatifs à moyen terme sont obtenus en valorisant les exogènes du modèle. Parmi les variables du modèle, les principales sont le nombre d'utilisateurs de l'Internet et le volume de trafic total.

L'ISOC (Internet Society) propose trois définitions de l'Internet:

  • définition générale : un méta-réseau d'information (un réseau de réseaux) global et ouvert ;
  • définition étroite : un groupe d'inter-réseaux (d'interconnexion de réseaux) capables d'acheminer entre eux des paquets suivant l'" Internet Protocol " ;
  • définition large : l'interconnexion de réseaux au protocole IP, plus tous les réseaux connectés capables d'acheminer du trafic (ce qui inclut les réseaux utilisant le protocole IP, ceux utilisant un autre protocole qu'IP et les systèmes de niveau applicatif).

L'Internet que nous considérons ici désigne l'ensemble des réseaux de réseaux intempérant via l'Internet Protocol (IP). Nous retenons donc la définition étroite de l'ISOC.

Nous considérons l'infrastructure qui connecte les utilisateurs par un maillage mondial. Le niveau applicatif, ou ce que l'on pourrait appeler la toile "< the Web ") qui complète l'infrastructure par l'ensemble des outils concourant à la satisfaction des besoins des utilisateurs, n'est pas considéré par le calcul du coût.

Nous ne prendrons en compte pour la détermination du coût de l'Internet que les ressources utiles à la fonction d'interconnexion de réseaux (et donc accessibles à tout moment). Le PC d'un utilisateur connectable appel par appel n'intervient pas (il n'est pas accessible à tout moment). De même, les serveurs relèvent du niveau applicatif (plus exactement, du niveau des applications ou services fournis sur le réseau d'interconnexion) et leur coût ne sera pas pris en compte.

Bref historique

1ère étape (1970) : Arpanet

2e étape (1986) : NSFNET et les réseaux de la recherche européens

3e étape (1990): développement d'un maillage mondial, apparition de réseaux d'accès et de fournisseurs de services à vocation commerciale

4e étape (1995) : NSFNET démantelé et l'Internet commercial

Schématisation de l'architecture

Les constituants de l'Internet sont des réseaux de tailles diverses : des réseaux locaux, régionaux, nationaux et internationaux sont interconnectés sans hiérarchie.

Néanmoins, on identifie trois couches

- réseaux locaux : RLPC d'un organisme (université, entreprise, etc.), boucle locale du réseau téléphonique public utilisée pour le raccordement des PC des utilisateurs individuels, LL rattachant certains utilisateurs. Le coût de ce niveau est à la charge de l'utilisateur et il est hors du périmètre de la présente modélisation;

- réseaux intermédiaires : ce sont l'équivalent des réseaux régionaux qui sont, initialement aux USA, gérés par des organismes d'État ou des consortiums universitaires. Ils sont de plus en plus exploités par des sociétés commerciales. Il en existe plusieurs hors des USA.

Ces réseaux intermédiaires rattachent les utilisateurs (niveau réseau local). Certains interconnectent aussi des réseaux régionaux (fonction de transit).

Les fournisseurs d'accès (" Internet Access Providers " ou IAP) jouent un rôle d'intermédiaire entre d'une part les utilisateurs individuels (individus ou entreprises utilisatrices) et d'autre part les réseaux régionaux et/ou directement un backbone (remarque : les IAP jouent le même rôle fonctionnel qu'un réseau régional);

- backbones. Le prototype en est le backbone américain NSFNET. En avril 1995, il a été démantelé et sa fonction de réseau fédérateur a été confiée à des opérateurs privés. Hors des USA, des backbones existent, notamment Ebone pour l'Europe.

Cette organisation n'impose pas de hiérarchie; des réseaux régionaux peuvent être directement interconnectés sans passer par un backbone.

Principe de la modélisation

Nous découperons le territoire en mailles en fonction de la densité des utilisateurs. Chaque maille abrite un nœud d'interconnexion (routeur d'un backbone ou routeur d'un réseau régional). La surface des mailles est inversement proportionnelle à la densité géographique des utilisateurs (le nombre d'utilisateurs par noeud est donc constant) ; on peut en effet approcher une topologie optimum en considérant qu'il existe une densité optimale par maille, ou zone de couverture d'un routeur. Chaque maille sera schématisée par un triangle équilatéral, avec un nœud (c'est-à-dire routeur) en son centre. Les nœuds de deux zones voisines sont reliés directement.

Le schéma ainsi obtenu reflète les caractéristiques principales du " réseau de réseaux " tout en simplifiant sa topologie:

- les routeurs d'un backbone, ou les réseaux régionaux, sont interconnectés de proche en proche,

- le maillage minimal (contrainte de sécurité) est assuré : pour chaque flux entrant dans un routeur, il existe au moins deux sorties différentes, - le nombre de mailles croît avec le nombre d'utilisateurs: en effet, plus la densité des utilisateurs augmente, plus les routeurs recherchent la proximité des utilisateurs.

Remarque 1 : On suppose dans cette première approche que chaque maille élémentaire constitue une zone de monopole local de fait. En fait, une aire géographique peut être partagée entre plusieurs exploitants de routeurs. De même, dans le cas où les utilisateurs accéderaient via le RTC, il n'existe pas de monopole local lorsqu'une zone composée de plusieurs mailles du modèle est incluse dans une même zone tarifaire.

Remarque 2 : le maillage total des superficies considérées n'est pas l'exact reflet de la réalité. Ce point est traité plus loin.

Remarque 3 : ce principe de modélisation suppose une équirépartition des utilisateurs sur les superficies considérées, or la densité des utilisateurs est variable. Cette simplification n'altère pas sensiblement le calcul du coût moyen par utilisateur.

Deux niveaux de découpage sont définis: - découpage des réseaux intermédiaires : mailles représentant la couverture des réseaux régionaux (interconnectés entre eux et connectés au backbone), - découpage des backbones : découpage en mailles correspondant aux zones de desserte de chaque routeur d'un (ou de plusieurs) backbones.

Définition de grandes régions

La densité des utilisateurs varie suivant les régions du globe. On distingue les grandes régions suivantes USA Canada Europe de l'Ouest Japon Océanie (dont notamment l'Australie) Amérique (hors USA et Canada) Europe de l'Est Asie (hors Japon) Afrique Les cinq premières régions (USA, Canada, Europe de l'Ouest, Japon et Océanie) représentent aujourd'hui 97 % des utilisateurs et continueront de représenter l'essentiel de la population des utilisateurs dans les dix ans à venir. Chaque région est constituée d'une couche " backbone(s) " et de plusieurs réseaux régionaux.

Modélisation des couches intermédiaires

Le trafic émis par un routeur peut être :

  • un trafic de proximité entre deux mailles adjacentes : le trafic ne transite pas par des nœuds intermédiaires,
  • un trafic lointain (à destination d'une maille non adjacente) : le trafic devra alors transiter par un ou plusieurs nœuds intermédiaires appartenant soit à une (des) couche(s) intermédiaire(s) de rang élevé, soit à la couche backbone.

On définit ainsi plusieurs niveaux de couche intermédiaire :

  • le niveau le plus bas: couche de niveau 1. Il s'agit des mailles élémentaires du modèle qui contiennent les utilisateurs de l'Internet et leur nœud de rattachement,
  • les niveaux plus élevés: il s'agit d'un découpage en mailles, superposé au niveau inférieur, qui contient des nœuds de transit.

Il s'agit de niveaux logiquement distincts, mais dont les mailles sont superposées et dont les nœuds de transit sont physiquement identiques aux nœuds sous-jacents des niveaux inférieurs.

Les mailles élémentaires (mailles de la couche la plus basse) ne possèdent pas toutes un nœud de transit. Par contre, le trafic se répandant de proche en proche, chaque maille élémentaire est voisine d'une maille possédant un nœud de transit. Il faut pour cela qu'une maille élémentaire sur quatre possède un nœud de transit.

On modélise ainsi les divers routages pouvant exister entre réseaux régionaux. Pour un niveau de transit donné, la règle est que chaque triangle est relié directement et uniquement avec ses triangles adjacents; cette règle s'applique à chaque niveau de transit.

Un triangle sur quatre sera donc nœud de transit de premier niveau; un triangle sur seize sera nœud de transit de second niveau; etc.

Maillage de la couche basse

S'il est vrai que les routeurs sont souvent reliés entre eux de proche en proche, mailler totalement la couche la plus basse ne serait pas le reflet exact de la réalité. Nous supposerons donc dans le calcul des coûts que le maillage n'est pas total sur la couche la plus basse, mais qu'un nœud n'est relié directement qu'à deux nœuds adjacents (au lieu des trois nœuds adjacents figurés sur le schéma de principe ci-dessus).

Surface des mailles - couche basse

Le territoire de chaque grande région est découpé en triangles équilatéraux représentant chacun la zone de couverture d'un nœud d'accès à l'Internet.

Comme nous l'avons vu plus haut, la surface des mailles est inversement proportionnelle à la densité géographique des utilisateurs. La règle de proportionnalité (nombre d'utilisateurs par nœud) est calculée pour chaque année en divisant le nombre total d'utilisateurs par le nombre de réseaux accédant à l'Internet.

Ce ratio est un paramètre du modèle. Il évolue en fait d'une année sur l'autre, mais faiblement. Le paramètre retenu est la moyenne sur l'ensemble de la chronique considérée.

La surface d'une maille est bornée inférieurement par celle d'une " zone tarifaire ". Par zone tarifaire, nous entendons toute aire géographique où les utilisateurs peuvent accéder à un nœud de rattachement à un tarif identique quelle que soit leur position dans cette aire. Il peut s'agir par exemple d'une ZLE, d'une zone locale américaine dans laquelle le téléphone est gratuit, ou de la zone de couverture d'un CD de réseau câblé. La surface de la zone tarifaire est un paramètre du modèle. Il s'ensuit que lorsque la surface des mailles est bornée inférieurement, le nombre d'utilisateurs par maille augmente, entraînant une augmentation du nombre de routeurs dans la maille.

Il existe donc deux paramètres pour décrire les mailles de la couche basse :

  • le nombre d'utilisateurs par nœud fixe la surface des mailles lorsque le nombre d'utilisateurs est faible, donc lorsque la surface des mailles est grande ;
  • lorsque les mailles se réduisent à une " zone de tarification ", la surface des mailles est fixe et égale à cette valeur.

Couches intermédiaires

Le nombre de niveaux de transit est tel que le plus haut niveau de transit sera composé de triangles égaux à (ou du même ordre de grandeur que) la zone de couverture d'un nœud du niveau " backbone " (voir chapitre suivant : " modélisation du niveau backbone "). Ainsi, le dernier niveau de transit identifié n'est pas considéré comme faisant partie des couches intermédiaires, mais est pris en compte dans la modélisation du " niveau backbone ". Ce nombre est déterminé dynamiquement par la programmation du modèle.

Unités d'œuvre

Chaque maille représente un " réseau " qui se compose de :

  • un routeur situé au centre du triangle : nous prendrons comme référence un routeur CISCO (CISCO annonce détenir 80 % du marché des routeurs de l'Internet). Ce sera le CISCO 2053 jusqu'à 128 kbit/s, ou le CISCO 4000 pour des débits supérieurs. Un routeur par réseau est théoriquement suffisant. Certains fournisseurs d'accès préfèrent s'équiper de plusieurs routeurs pour des raisons de sécurité. L'étude de MIDS, Internet Demographic Survey, indique que 1,2 % des machines appartenant aux organismes connectés à l'Internet sont des routeurs. En appliquant ce taux au nombre de hosts (machines accédant à l'Internet), il apparaît que le ratio moyen entre nombre de routeurs et nombre de réseaux interconnectés est de 1,5.
  • une batterie de modems : pour les utilisateurs raccordés appel par appel, des modems doivent être mis en frontal du routeur. Un modem (généralement à 28 800 bit/s) pour vingt utilisateurs est un bon taux de concentration (c'est la moyenne adoptée par des IAP pour des accès de qualité) ;
  • les LL raccordent le routeur aux routeurs des mailles adjacentes d'un même niveau : les LL les plus couramment utilisées sont des LL à 56 ou 64 kbit/s (d'après MIDS, environ 40 % des modes de connexion, tous types de connexion confondus. Si l'on retire la part des modems - les réseaux régionaux sont toujours interconnectés par LL - la part des LL à 56 ou 64 kbit/s est au moins de 50 %).

On retient deux LL par noeud de la couche la plus basse.

On considère pour les autres couches intermédiaires (les différents niveaux de transit possible) trois LL par noeud pour le raccordement aux noeuds adjacents d'une même couche: un triangle sur quatre possède un noeud de transit de premier niveau; un triangle sur seize possède un noeud de transit de second niveau ; etc. Les LL de raccordement à un niveau de transit ne concerneront donc qu'un réseau sur quatre pour le premier niveau de transit, etc.

On observe le volume de trafic concentré au niveau de chaque niveau de transit pour déterminer la capacité des LL. Le débit des LL sera calculé selon les règles de dimensionnement ci-dessous.

Remarque : nous considérons que les liaisons de raccordement des RLPC (ou directement des stations utilisateurs) au routeur d'un noeud d'une maille de niveau le plus bas sont du niveau " réseau local ", donc à la charge de l'utilisateur.

Frais de personnels

Les frais de personnel concernent la maintenance et l'exploitation technique des équipements. En octobre 1994, 17 000 organismes étaient recensés. En moyenne un quart de temps d'un technicien par organisme est employé à l'exploitation technique spécifique à l'Internet.

Modélisation du " backbone "

Dans notre modèle, nous considérons un réseau backbone logique comme un ensemble de noeuds de routage et de liaisons spécialisées; peu importe que la fonction " backbone " (c'est-à-dire fédération de réseaux régionaux) soit assurée par un ou plusieurs réseaux physiques.

Détermination des triangles

Le nombre de routeurs des backbone a augmenté avec la croissance du nombre de réseaux locaux et régionaux. Ainsi, les points d'accès se sont rapprochés des réseaux régionaux au fur et à mesure que la densité de ceux-ci s'est accrue. Cette croissance peut être considérée comme valide jusqu'à ce que les mailles des backbones atteignent une surface minimum en deçà de laquelle la notion de backbone perd de son sens (le maillage du backbone devient trop fin, les mailles trop nombreuses, et finalement un nouveau backbone doit venir se superposer pour fédérer l'ancien backbone).

Nous considérerons, dans notre modèle, la couche backbone comme composée de mailles qui ont une surface fixe dans le temps.

La taille de ces mailles (ou le nombre de noeud de la couche backbone) est un paramètre du modèle différencié suivant les grandes régions géographiques.

Unités d'œuvre

- noeuds de rattachement et de routage : nous prendrons comme référence l'équipement utilisé sur le backbone NSFNET qui couvrait l'ensemble des USA. Il s'agit de calculateurs IBM RS 6000 (modifiés pour les besoins de l'Internet) commandant des interfaces avec des LL hauts débits et des interfaces FDDI ou Ethernet pour la connexion de serveurs locaux.

Les LL inter noeuds pour mailler l'ensemble sont des LL hauts débit (nous prendrons 45 1\4bit/s comme pas unitaire) louées aux opérateurs télécoms. Leur prix unitaire sera donc le tarif moyen sur chaque région de location de ces LL (il existe de forts écarts de tarifs entre régions).

Frais de personnel

Nous considérerons deux catégories de personnel:

  • le personnel d'exploitation des backbones: son coût annuel équivalant typiquement à 10 % du coût d'investissement des équipements (les LL étant louées, leurs frais de fonctionnement sont inclus dans le prix de location) ;
  • les instances de standardisation (ISOC, IETF, etc.) : on évalue à1000 personnes l'effectif total de ces instances réparti dans les diverses régions au prorata du nombre d'utilisateurs par région.

Évolution des prix unitaires

Chaque unité d'œuvre est décomposée en deux parties dont les caractéristiques d'évolution de prix sont différentes :

  • une partie dont le prix reste constant (typiquement, les composants mécaniques ou d'alimentation d'un équipement) et
  • une partie dont le prix évolue exponentiellement à la baisse (typiquement les composants électroniques ou logiciels).

La loi d'évolution des coûts unitaires est analogue à celle retenue pour modéliser les réseaux de télécommunications. Nous considérerons que l’évolution des coûts unitaires est donnée par une loi de la forme :

I = I0{a + (1 - a)exp[-b(t - t0)]}

Avec les coefficients suivants :

Routeur : a = 25 %, b = 30 %

LL USA : a = 60 %, b = 20 %

LL Europe : a = ,50 % b = 50 %

Dimensionnement

La quantité d'unités d'œuvre ne dépend que du dimensionnement de la couche la plus basse et de celui de la couche backbones. Les couches intermédiaires sont calculées automatiquement suivant le modèle triangulaire. Le dimensionnement dépend essentiellement des paramètres suivants (voir plus haut) :

  • nombre d'utilisateurs par noeuds de rattachement (tant que la surface des mailles élémentaires est supérieure à celle des " zones tarifaires "),
  • surface d'une " zone tarifaire ",
  • nombre de noeuds des backbones.

La taille des LL est déterminée par les règles de dimensionnement définies ci-dessous.

Règles de dimensionnement

L'Internet Protocol découpe les flux de données en paquets de taille varia e. Un en-tête est ensuite ajouté par TCP-IP, ce qui induit un "overhead" moyen de 17 %. La taille moyenne des paquets émis sur le réseau est d'environ 200 octets (moyenne des mesures effectuées sur le trafic de NSFNET entre 1991 et 1995).

En fait, la taille des paquets, et donc la part d'overhead, varie suivant la nature des trafics considérés (mail, transfert de fichiers, téléphonie, etc.).

Le rythme d'émission d'un utilisateur est de nature très sporadique : de brefs pics de trafic (lors du téléchargement d'une page HTML ou d'un fichier) entrecoupés de silences. La hauteur de ces pics est généralement limitée par le débit de l'équipement de l'utilisateur.

Nous dimensionnerons l'infrastructure sur le trafic moyen à l'heure chargée, la définition de l'heure chargée pouvant varier suivant que l'on considère un réseau régional ou un backbone international (ou intercontinental).

L'heure chargée est difficile à définir au niveau global car :

  • le réseau étant mondial, les plages horaires chargées diffèrent d'une région à une autre (en temps universel),
  • on n'a pas identifié, comme pour le téléphone, des habitudes sociales concentrant les communications sur certaines heures de la journée (les applications de l'Internet n'étant généralement pas des applications interactives de personne à personne, il est indifférent de le consulter à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit),
  • pour certaines applications (téléchargement, transfert ... ), les utilisateurs peuvent programmer les communications dans des plages horaires localement non chargées de façon à bénéficier des tarifs réduits de la boucle locale,
  • les flux de trafic de l'Internet sont très chaotiques.

On fera les hypothèses suivantes :

  • l'heure chargée est une plage horaire de 8 heures (en temps universel),
  • 50% du trafic total est écoulé dans cette plage horaire.

Nous supposons que la répartition du trafic sortant de chaque routeur connecté est isotrope tant en volume qu'en destination:

  • chaque routeur génère le même flux. On raisonnera donc sur un trafic moyen par maille: chaque maille émet vers l'extérieur un trafic égal à1/N fois le trafic total si N est le nombre total de mailles de niveau 1 ;
  • chaque maille de niveau 1 émet la même quantité de trafic à destination de chacune des autres mailles de même niveau. Chaque maille reçoit donc un trafic égal à 1/N fois le trafic total. Chaque maille dispose de deux liaisons avec les mailles voisines; chaque liaison écoulera donc 1 / 2 du trafic sortant d'une maille, soit 1 / (2*N) du trafic total. Une maille sur quatre joue une fonction de transit de premier niveau.

Le trafic de transit obéit aux hypothèses ci-dessus (mais en considérant que chaque noeud dispose de trois liaisons avec les noeuds voisins de même niveau). Le trafic de transit de premier niveau est égal à 4*(N-3)/N fois le trafic total' Celui de deuxième niveau à 4*"N/4)-3)/(N/4) fois le trafic de transit de premier niveau, etc.

Le trafic de transit de niveau i est égal à :

4[(N/4i - 1) - 3] / (N/4i - 1) fois le trafic de transit de niveau i - 1.

Les flux de trafic sont (ou deviendront) majoritairement régionaux ou nationaux. Ceci répond à un usage souvent régional des services proposés et à des orientations économiques (mise en place des serveurs miroirs pour économiser les liaisons longue distance lorsque les services réclament de forts débits). Pour considérer ce phénomène, nous introduirons un paramètre limitant la part de trafic remontant à la couche backbone par rapport au trafic qui y aurait transité si la répartition du trafic avait été uniforme. Ce paramètre devrait en fait dépendre du service considéré. Pour le téléphone, il est proche de 100 %. Pour des services large bande, il est sans doute nettement inférieur.

Le rendement des LL (rapport entre débit utile et capacité) est un des paramètres du modèle valorisé dans l'hypothèse de base à 30 %.

Le dimensionnement d'un réseau de paquets diffère de celui d'un réseau à commutation de circuit; il repose sur la théorie des files d'attente. De ce fait, ce n'est pas uniquement la capacité (en bit/s) qui détermine la dimension du réseau mais également des paramètres de qualité dont le temps de traversée du réseau, fonction de la capacité des équipements et du nombre d'équipements traversés.

Il n'y a pas d'assurance de qualité sur l'Internet. L'Internet garantit la mise à disposition de ressources connectant deux points quelconques, mais ne garantit pas qu'un paquet émis arrivera à destination. Ceci résulte notamment du fait qu'un paquet est susceptible de traverser des réseaux exploités par des acteurs différents; un opérateur ne peut pas garantir la qualité des réseaux auxquels il est connecté.

Nous dimensionnerons le modèle en nous assurant uniquement que le trafic moyen, équi-réparti géographiquement, à l'heure de pointe, peut s'écouler sans blocage. Le nombre de LL à 45 Mbit/s des backbones est calculé de cette façon. Cette règle n'implique aucune contrainte quant au temps moyen de traversée du réseau.

Lorsque le débit moyen à l'heure de pointe ne nécessite que des LL moyen débit (cas des couches intermédiaires pour lesquelles le débit moyen à l'heure de pointe par réseau est de l'ordre de quelques dizaines de kbit/s), la taille des liaisons sera dimensionnée de façon à laisser passer le trafic à l'heure chargée en prenant en compte les différents paliers de la hiérarchie de débit de LL.

Résultats

Nous avons estimé le coût annuel moyen de l'Internet en amortissant J les équipements selon leur durée de vie.

Les résultats ont été obtenus en considérant les régions qui rassemblent aujourd'hui la très grande majorité des utilisateurs de l'Internet : USA, Europe de l'Ouest et Japon.

La simulation fait apparaître un coût moyen par utilisateur de l'ordre de 500 F/an et décroissant dans le temps. Ceci permet de conclure à la solidité économique de ce réseau dans l'hypothèse centrale.

Hypothèse centrale de demande en trafic

 

1995

2000

2005

Paquets / utilisateur

193 375

343 372

448 432

Octets / utilisateur

40 634 857

72 154 385

94 231 049

Nous avons considéré le coût de l'infrastructure (investissement et fonctionnement) de l'Internet, mais non les charges relatives aux applications développées sur l'Internet (charges d'exploitation commerciales, de promotion, etc.). Ces dernières doivent être prises en compte au niveau des comptes d'exploitation de chaque acteur. Elles pourront alors fortement influencer le coût moyen par utilisateur. En considérant que la prise en compte de toutes les charges indirectes multiplie par deux le coût moyen direct du réseau, on aboutit à un coût moyen par utilisateur de l'ordre de 1000 F/an. Ce coût est équilibré avec un abonnement mensuel un peu inférieur à 100 F/mois à chaque utilisateur, ce qui est de l'ordre du montant des abonnements proposés par les IAP.

Peu d'économies d'échelle

L'architecture de l'Internet s'oriente vers une organisation non hiérarchique. Une certaine hiérarchie prévalait aux USA jusqu'au début de 1995 avec trois niveaux: réseaux locaux, réseaux régionaux, backbone. Depuis le démantèlement du backbone NSFNET, il n'y a plus un réseau fédérateur, mais plusieurs réseaux exploités par des acteurs différents qui proposent une offre de point d'accès à l'Internet (NAPs). Ces réseaux seront utilisés soit pour rattacher les utilisateurs, soit pour faire transiter des flux de trafic ; les réseaux régionaux assurent ces deux fonctions.

Si en Europe la structure hiérarchique prévaut encore (réseaux régionaux ou nationaux ou IAP; backbone européen Ebone et EuropaNet), il n'y a pas de règle qui impose durablement cette hiérarchie. Ainsi, des IAP louent des LL directement vers les USA, ou s'interconnectent directement sur des points d'accès internationaux sans passer par un backbone. Il y a donc évolution vers une structure non hiérarchique, ce qui limite la concentration du trafic et donc les économies d'échelle.

Par ailleurs, tout opérateur d'un réseau Internet (qu'il s'agisse d'une logique de réseau d'accès ou de réseau fédérateur) recherche la proximité des utilisateurs pour que ces derniers bénéficient d'un coût d'accès réduit : l'utilisateur ira vers le fournisseur d'accès le moins coûteux (au prix d'une communication locale ou au tarif le plus bas s'il s'agit d'une LL). Cette recherche de proximité implique une multiplication des noeuds d'accès permise par le faible coût des équipements (le coût unitaire d'un routeur type de l'Internet varie de 50 kF à 500 kF).

La multiplication des noeuds de routage et l'absence d'architecture hiérarchique sont recherchées pour des raisons d'ordre économique, mais sont également le résultat du bas prix des équipements de l'Internet. Ainsi, il n'y a pas de recherche d'économie d'échelle, mais une multiplication de réseaux indépendants, régionaux, fournisseurs d'accès ou fédérateurs.

Cette conclusion, qui résulte de considérations d'ordre technico-économique, doit être relativisée par un aspect d'ordre marketing. Beaucoup d'acteurs de l'Internet sont de nouveaux entrants dans les secteurs des télécommunications. Certains, comme les IAP (fournisseurs d'accès) vont avoir besoin de se construire une notoriété. Les IAP qui réussiront le mieux leur implantation seront ceux qui auront pu imposer leur label et leur offre à un niveau au moins national. Ainsi, plutôt qu'une multiplication des réseaux indépendants (et des IAP), il y aurait formation d'un marché oligopolistique.

Équilibre entre baisse des coûts et croissance de la demande

Deux tendances caractérisent l'économie de l'Internet : la croissance importante de la demande (nombre d'utilisateurs et trafic), la chute des prix unitaires des équipements.

Le coût de l'Internet est somme pondérée de coûts unitaires puisque les effets d'échelle jouent peu. L'évolution du coût moyen par utilisateur sera donc dictée :

  • par la croissance du trafic par utilisateur, qui suscite des redimensionnements,
  • par la baisse des coûts unitaires.

La modélisation confirme ce raisonnement simple. Il apparaît que la chute des prix unitaires fait plus que compenser l'incidence du redimensionnement et fait décroître le coût moyen.

Un calcul avec des prix unitaires constants donne un coût moyen fluctuant faiblement autour d'une tendance linéaire légèrement croissante (en fait, le redimensionnement du réseau s'effectuant par palier, le coût unitaire croît légèrement lors des échéances de redimensionnement, et il est constant par ailleurs). Ceci reflète le fait que l'économie de l'Internet est essentiellement une économie à coût fixe. En effet, seule la croissance du trafic moyen par utilisateur implique une croissance du coût moyen, mais ce dernier effet est imperceptible à côté des autres caractéristiques de croissance de l'Internet.

Néanmoins l'hypothèse centrale retenue dans ce modèle peut être jugée restrictive en ce qui concerne le trafic : nous avons supposé que le trafic moyen par utilisateur était multiplié par trois sur la période d'étude. Si le trafic par utilisateur croissait beaucoup plus fortement que cela (par exemple en raison d'une utilisation intensive de l'Internet pour l'audiovisuel), le coût moyen de l'Internet pourrait ne plus être décroissant; mais alors l'extension quantitative et qualitative du service rendu justifierait sans doute, aux yeux des utilisateurs, un abonnement plus élevé.