Pascal Rivière m'a envoyé sur
De l'Informatique - Savoir vivre avec l'automate,
Economica 2006, le commentaire que je reproduis ci-dessous.
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Disons-le sans ambages : avec cet ouvrage,
Michel Volle a réalisé un véritable tour de force, et l’on ne peut que lui
souhaiter d’être abondamment lu. La puissance de réflexion de ce livre, sa
hauteur de vues tout en étant dense et ancré sur le réel, en font une rareté,
une anomalie dans le paysage.
Tout au long de ce texte, il questionne le
concept d’informatique, au sens général du terme, avec la focale la plus large
possible. Il l’inscrit dans tous les contextes qui lui semblent pertinents :
historique, technique, mathématique, microéconomique, macroéconomique,
sociologique, et même philosophique. Ce parti pris pluridisciplinaire est certes
un penchant naturel de l’auteur. Mais le ton employé ici montre que c’est aussi
une réaction quasi épidermique, émotionnelle, à des expériences professionnelles
qu’il a vécues et où l’étroitesse d’esprit de ses interlocuteurs l’a irrité.
Ce livre a été écrit avec un grand souci de
rigueur, d’exhaustivité (autant que faire se peut), et de lisibilité. Pour
atteindre ce triple objectif ambitieux, l’auteur donne l’impression d’utiliser
une approche constante, « motif » permanent de sa toile, que l’on peut décrire
ainsi :
- S’attacher à bien définir les concepts dans tous les domaines : la clarté de
ceux-ci constitue un socle ;
- Simplifier pour être lisible : accepter, donc, de perdre en rigueur formelle
pour gagner en compréhension ;
- Toujours rechercher les véritables événements fondateurs, en retournant loin
dans l’historique si nécessaire : dates-clé, personnages, techniques,
entreprises, articles de référence ;
- Donner des exemples concrets significatifs : vraiment tirés de faits réels du
monde des entreprises et pas de l’imagination de l’auteur ;
- Quitte à déplaire, s’attacher à démasquer les idées reçues et raisonnements
fumeux, à mettre en exergue les bides et échecs, en argumentant ;
- Veiller à tenir le fil du raisonnement, des idées-forces.
Bien sûr tout ne peut être parfait,
notamment sur le dernier point. Michel Volle a en effet réutilisé des articles
qu’il avait écrits pour son site web, et un lecteur pointilleux pourrait
discerner de ci de là un manque de fluidité, ou avoir l’impression parfois que
l’on s’éloigne très légèrement du cœur du sujet, par exemple dans la partie
« Qu’est-ce qu’une entreprise ? ».
Mais si De l’Informatique possède un
style et une forme, il se caractérise surtout par un noyau d’idées qui en font
la substance, irriguent l’ouvrage et assurent le liant de l’ensemble. Le
principe central, qui donne son sous-titre au livre, consiste à dire que la
question majeure de l’informatique, c’est d’arriver à faire vivre ensemble de
façon aussi harmonieuse et efficace que possible un « être humain organisé »
(EHO) et un « automate programmable doté d’ubiquité » (APU). Or l’EHO et l’APU,
ce n’est pas, bêtement, « l’homme » et « la machine ». Il s’agit en effet d’un
individu qui s’inscrit peu ou prou dans un contexte professionnel, qui a un
métier donné, qui interagit avec des ordinateurs (et des individus) en ayant un
certain nombre de tâches et d’objectifs. A l’autre bout, l’APU est infiniment
plus qu’un ordinateur : c’est en quelque sorte l’ensemble, organisé lui aussi,
des ressources techniques auxquelles l’individu a accès à un moment donné,
ensemble mouvant et multiforme qu’il s’avère très difficile de décrire. Étudier
en profondeur ces deux concepts en les historicisant, via une approche
sociologique dans un cas, technique et formelle dans l’autre, n’est pas la
moindre des originalités du livre.
Or l’EHO et l’APU évoluent dans des univers
totalement dissemblables. Les faire communiquer entre eux, afin de rendre leur
collaboration aussi riche que possible, représente donc l’immense défi de la
société de l’information. L’auteur tire le fil : l’analyse de leur coopération
soulève immédiatement des questions de linguistique (syntaxe, sémantique,
pragmatique), d’organisation de l’entreprise, de rentabilité de celle-ci. Mais
les conséquences de cet échange permanent entre EHO et APU se font aussi sentir
sur le plan macroéconomique et induisent à terme de profonds bouleversements de
nos sociétés, que Michel avait déjà en bonne partie explorés dans son ouvrage
précédent, e-conomie.
De l’Informatique
ne se lit pas linéairement, d’un trait : ce livre est dense, et il fait plus de
600 pages, la digestion ne serait pas aisée. Il vaut mieux l’aborder par
parties, selon ses centres d’intérêt. La difficulté que l’on peut avoir à
s’attaquer au pavé est un inconvénient de l’ouvrage, mais le fait que chacun
puisse y trouver son compte, du béotien au technicien pur, du chef d’entreprise
à l’utilisateur lambda, en fait l’intérêt et l’originalité. |