La conversation avec Jacques Printz
est toujours fructueuse. « J’ai lu De l’Informatique,
m’a-t-il dit. Ce livre est intéressant, mais à qui est-il destiné, pour qui
l’as-tu écrit ? »
« Pour les capitaines », ai-je répondu : je
n’ai pas eu besoin d’en dire davantage car nous avons l’habitude de converser.
Mais ici je dois m’expliquer plus complètement.
* *
De l’Informatique
est destiné aux entrepreneurs, aux dirigeants dont les décisions orientent les
entreprises. Mais je sais que les dirigeants ne lisent plus, qu’ils vivent sur
le capital de connaissances et d’expérience acquis avant leur accès aux
fonctions de décision : soit ils sont trop préoccupés pour lire, soit ils
croient en savoir assez (puisqu’ils ont « réussi »), soit encore ils misent plus
sur l’instinct que sur la réflexion.
Lorsque le Vom Kriege de Clausewitz
(1780 - 1831) a été publié en 1832 il n’a pas été lu par les généraux mais par
de jeunes officiers comme Moltke (1800-1891). Il n’aura d’influence qu’une
trentaine d’années plus tard, lorsque ces officiers auront accédé aux
responsabilités stratégiques.
Je ne prétends pas comparer De
l’Informatique à l’œuvre de Clausewitz, mais je n’espère pas que son
influence, s’il en a une, puisse être plus rapide. Ses premiers lecteurs ne
seront pas les entrepreneurs, les dirigeants, mais les sous-lieutenants et
capitaines de nos entreprises, c'est-à-dire les jeunes ingénieurs, organisateurs
et informaticiens. Il ne pourra porter ses fruits que lorsque, les années ayant
passé, ses lecteurs auront accédé aux fonctions de direction.
* *
Jacques Printz a fait deux autres remarques
judicieuses : « Ce n’est pas un livre technique, mais tu évoques incidemment des
points techniques précis » ; « Tu as cité Proust (p. 40), c’est audacieux dans
un ouvrage sur l’informatique ».
Jean-Paul Benzécri m’a dit : « le monde se
divise en domaines distincts entre lesquels il ne faut pas chercher de
communication parce qu’il n’en existe pas : il faut les considérer un par un ».
Le monde se présente au contraire à mon intuition comme une unité dans
laquelle la diversité des points de vue introduit des séparations artificielles.
Je tente de retrouver cette unité en
reliant, en recoupant les points de vue. C’est pourquoi j’aime à illustrer le
raisonnement par des images et par des références culturelles, tout en l’appuyant sur
des indications techniques exactes. On peut, selon les goûts, considérer cette
habitude comme un travers ou comme un avantage.
Il me semble impossible de décider qui a
raison de Benzécri ou moi. Je respecte son intuition, car je sais qu’elle est
féconde. J’espère que la mienne l’est aussi, d'une autre façon.
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