Le but de cette fiche est de décrire les effets de
chocs démographiques bien spécifiés :
- allongement de la durée de vie,
- baisse de la fécondité,
- « Baby-Crash » suivi d'un « Baby-Boom » (baisse temporaire de la fécondité
suivie d’une hausse compensatrice de durée équivalente).
Nous examinerons d'abord trois variantes pour
explorer les conséquences de tels chocs sur une population de structure très
simple. Puis nous nous rapprocherons du réalisme (sans chercher à l'atteindre
toutefois) en simulant une combinaison de chocs semblable à ceux qu'a subis la
France.
Nous verrons ainsi qu'un choc a priori simple
et ponctuel peut susciter une dynamique longue d'allure complexe, ses effets se
propageant d'une génération à l'autre comme une onde qui s'amortit
progressivement. On peut, si l'on oublie ce phénomène, être tenté d'attribuer à
cette évolution une cause conjoncturelle inexistante.
Cet exercice montre que la statistique est
fallacieuse, malgré sa prétention à l'objectivité, si elle reste le nez collé
sur les données et ne les associe pas à un modèle qui permette de les
interpréter.
Trois variantes
Nous partirons d’une population fictive stationnaire
présentant des caractéristiques simples : la durée de vie est supposée constante
et égale à 70 ans ; la période de fécondité se situe entre 20 et 40 ans, la
période d’activité entre 20 et 60 ans ; la fécondité est constante et assure
exactement le renouvellement de la population. On suppose que ce régime de
croissance a été suivi pendant assez longtemps pour que la pyramide des âges ait
atteint sa forme stationnaire, qui est cylindrique. Nous supposons qu’alors
l’effectif de chaque classe d’âge quinquennale est de 10 millions.
La population totale est donc de 140 millions
d’individus ; le taux de croissance est nul ; la population active est de 80
millions de personnes, soit un taux d’activité de 57 %. Le ratio vieux / jeunes,
égal au rapport des classes d’âge « plus de soixante ans / moins de vingt ans »
est de 50 %. L’âge moyen est de 35 ans.
Nous allons considérer l’évolution de cette
population lorsqu’elle subit des chocs de nature diverse.
Variante 1 : Allongement de la durée de vie
Nous supposons que la durée de vie des personnes
nées à partir de la date - 50 passe de 70 à 90 ans (on peut supposer par
exemple que des médicaments puissants ont été découverts en - 50). Au lieu de
mourir à la date 20, ces personnes continuent à vivre. Le cylindre de la
pyramide des âges s’allonge et pendant 20 ans de nouvelles classes d’âge s’y
ajoutent, jusqu’à ce que la pyramide ait atteint la forme d’un cylindre
comportant les classes d’âge jusqu’à 90 ans. Après quoi sa transformation
s’arrête.
Voici la comparaison entre les deux régimes
stationnaires :
La population totale s’est accrue de 40 millions
d’individus ; la population active est restée la même. Le taux d’activité a
baissé de 13 points, le rapport vieux / jeunes s’est accru de 100 points, l’âge
moyen a crû de 10 ans.
Décrivons la dynamique du passage entre ces deux
états stationnaires :
NB : l’axe horizontal dénombre les quinquennats.
« 10 » signifie donc « 50 ans ».
Variante 2 : Baisse de la fécondité
Supposons que la fécondité soit divisée par deux à
partir de l’année 10. La population considérée ne se reproduit plus à
l’identique.
Nous prenons une échelle du temps étendue, de 0 à
280 ans (0 à 56 quinquennats) pour faire apparaître l’issue d’une telle baisse.
L ‘effectif de la population totale suit une
évolution exponentielle décroissante qui la mène vers l’extinction. On ne peut
donc pas caractériser de régime stationnaire tendanciel en termes d’effectifs,
mais seulement en termes de structure :
Le taux de croissance quinquennal converge vers –10
%. Cette évolution passe par des oscillations, en raison des fluctuations de la
proportion des classes d'âge fécondes dans la population totale. Lorsque la fécondité est divisée
par deux, la première génération d’enfants de 0 à 5 ans est de 5 millions au
lieu de 10 millions. La population décroît donc de 5 / 140 = 3,6 %. Au
quinquennat suivant, la baisse est un peu plus forte puisqu’il s’agit de 5 / 135
= 3,7 %. Ainsi de suite pendant quatre quinquennats. Au bout de 20 ans, la
première génération d’effectif faible arrive à l’âge de la fécondité, et la
baisse s’accélère.
Au bout de 80 ans, la population a diminué de 64 %
(son effectif est de 50 millions) et la pyramide des âges a le dessin suivant :
La population d’âge âgé est d’un poids relatif
élevé, les classes fécondes sont relativement peu nombreuses, la baisse
quinquennale de la population sera alors très rapide (14 %). Dès l’année
suivante, le poids des classes d’âge relativement nombreuses diminue et la
population ne diminuera que de 7 %.
Au bout de 280 ans, la population ne compte plus que
457 000 personnes. La forme initiale de la pyramide des âges a été effacée et
elle a pris la forme suivante, qui sera désormais stationnaire :
La décroissance de la population se fait dès lors
régulièrement au taux de 10 %.
Le taux d’activité connaît des oscillations dont
l’explication est analogue à celle que nous avons donnée ci-dessus. Il converge
vers 60 % alors que dans la population initiale il était de 57 % :
Le rapport des effectifs « vieux / jeunes », égal au
départ à 50 %, converge à terme vers 160 %. L’âge moyen converge vers 43 ans
alors qu’il était de 35 ans :
Variante 3 : « Baby-Boom »
Nous allons tenter de reproduire ici ce qui s’est
passé en France après la seconde guerre mondiale. Pendant la guerre la natalité
a été basse en raison de la dureté des temps, et aussi parce que des millions
d’hommes étaient prisonniers. Après la Libération, il y a eu un rattrapage.
Sans doute d’ailleurs le phénomène a-t-il été accentué encore par l’arrivée à
l’âge fécond des générations relativement nombreuses nées après la guerre de
14-18.
Nous simulerons ce phénomène en supposant que la
fécondité, partant du niveau qui assure la reproduction de la population, a été
divisée par deux pendant deux quinquennats, puis multipliée par deux pendant les
deux quinquennats suivants, et enfin qu’elle est revenue à son niveau antérieur.
Les graphiques que nous allons produire montrent
l’évolution à très long terme suite à un tel choc, car il entraîne des
oscillations qui se prolongent pendant longtemps.
Les régimes stationnaires sont très semblables, la
seule différence résidant dans la taille de la population, qui passe de 140 à
162. Le taux d’activité est le même.
La population totale commence par diminuer (c’est
normal, puisque la fécondité commence par baisser), puis elle augmente avec des
oscillations, culmine à 170 millions, puis revient avec des oscillations vers
162 millions.
Le taux de croissance subit de fortes oscillations,
et en outre celles-ci sont inégales. Après avoir été négatif au début en raison
de la baisse initiale de la fécondité, il est évidemment très élevé lors du
« Baby-Boom », après quoi il redevient pratiquement nul. Il connaîtra ensuite
des fluctuations reflétant le poids relatif des classes d’âge fécondes, qui va
osciller par la suite. Le taux d’activité, le rapport vieux / jeunes, l’âge
moyen subissent eux aussi de fortes oscillations.
Représentation stylisée de l'histoire
démographique
Considérons une population qui, en 1920, serait la
population fictive stationnaire de référence, avec un effectif de 40 millions ;
infligeons lui la conjonction des deux chocs du vieillissement et du Baby-Boom
décrits ci-dessus, puis examinons la dynamique qui en résulte.
La pyramide des âges de la population française en
1920 n’était pas cylindrique. Cette simulation ne prétend donc pas être
réaliste. Elle apporte néanmoins quelques enseignements.
Vieillissement : nous supposerons
que le « vieillissement » commence en 1920, c’est-à-dire que les personnes nées
cette année là ont une durée de vie de 90 ans, alors que celles nées auparavant
ne vivaient que 70 ans. Cette convention schématise un allongement de la durée
de vie procuré par un progrès soudain en médecine ou en hygiène semblable à
celui qu’ont apporté l’invention des antibiotiques en 1928 (quasi suppression
des décès dus aux maladies infectieuses à partir de 1945) et l’amélioration des
conditions générales d’alimentation et d’hygiène. Nous choisissons ici de
supposer que la première génération à bénéficier de ces progrès est celle née
après 1920, presque immédiatement après la première guerre mondiale.
Baby-Boom : nous supposons qu’il y a
eu d’abord un « Baby-Crash » (division par deux de la fécondité pendant dix ans,
de 1935 à 1945), puis un doublement de la fécondité pendant dix ans également.
Ces dates et ces durées ne sont pas exactement réalistes et le « Baby-Crash » de
l’occupation n’a évidemment pas débuté en 1935. Cependant la fécondité était
notoirement basse avant la deuxième guerre mondiale, et le Baby-Boom a compensé
à la fois cette période là et celle de l’occupation. Enfin, l’hypothèse d’une
division de la fécondité par deux (par rapport au taux de renouvellement), puis
d’une multiplication par deux, serait à moduler si l’on cherchait à être
réaliste.
Nous représentons ici les évolutions de 1920 à 2040.
L’évolution de la population totale et de la
population active est donnée par le graphique ci-dessous :
La population active subit des fluctuations
résultant d’abord du Baby-Crash, puis du Baby-Boom. La baisse de la fécondité en
1935 entraîne en 1955, vingt ans après, une baisse de la population active qui
dure dix ans. Puis à partir de 1965 se fait sentir, pendant dix ans, l’effet du
Baby-Boom.
A partir de 1980 la population active décroît un peu
pendant dix ans, la classe creuse des enfants des personnes nées pendant le
Baby-Crash arrivant à l’âge actif. Puis à partir de 1995 la population active
croît fortement pendant dix ans, en raison de l’arrivée à l’âge actif des
enfants de la génération du Baby-Boom. La population active décroît pendant dix
ans à partir de 2005, en raison du départ en retraite des personnes de la
génération du Baby-Boom. Après 2000, les fluctuations se poursuivent en
s’amortissant progressivement :
Il en résulte une évolution à long terme de la
population active ayant l’allure suivante :
L’effet combiné du Baby-Boom et du Baby-Crash sur la
population active est donc à long terme une croissance, puisqu’elle passe de 23
à 26 millions ; le minimum de la population active est de 20 millions en 1960,
le maximum est de 29 millions en 2000. Le minimum relatif après 2000 est atteint
en 2015 avec 25 millions.
L’évolution de la population totale est plus
compliquée que celle de la population active, puisqu’elle est influencée à la
fois par les fluctuations de la fécondité et l’allongement de la durée de vie.
La population totale diminue pendant le Baby-Crash
de 1935-1945, et croît pendant le Baby-Boom de 1945-1955 qui fait plus que
compenser le Baby-Crash. Sur longue période, les fluctuations de la croissance
de la population totale se poursuivent après 2000, comme celles de la population
active :
Si l’on regarde l’évolution à long terme de la
population totale, on voit que l’effet le plus important est celui du
vieillissement ; à long terme la population totale a crû, son effectif se
stabilise à près de 60 millions.
Par convention, la population active est la
population de 20 à 60 ans, et les classes fécondes sont les classes de 20 à 40
ans. Il est donc normal que nous trouvions que leurs évolutions ont la même
allure. Voici leur pourcentage par rapport à la population totale :
Le taux d’activité, qui est de 57 % au début,
décroît pour atteindre 44 % en régime stationnaire. Sa dynamique comporte de
fortes oscillations lorsque les effets des chocs se font sentir. S’il n’y avait
pas eu le vieillissement, le taux d’activité aurait connu un pic de 65 % en
2000 ; au lieu de quoi il ne fait à cette date qu’une timide remontée vers 55
%.
Au moment du Baby-Crash, le taux d’activité augmente
puisqu’il y a moins de jeunes inactifs. Puis il diminue au moment du Baby-Boom,
et atteint un minimum de 47 % en 1960. Il remonte ensuite et atteint un maximum
de 62 % en 1970. Le passage des classes nombreuses du Baby-Boom à l’âge actif le
maintient à un niveau relativement élevé pendant les années 95 et 2000, puis
l’effet du vieillissement l’emporte et il reste durablement bas avec quelques
fluctuations.
L’âge moyen, qui était de 35 ans avant les chocs,
devient à long terme de 45 ans. L’effet du vieillissement est prépondérant sur
cette variable ainsi que sur le rapport entre jeunes et vieux.
Les inflexions de la fécondité ne font qu’apporter
des fluctuations relativement négligeables par rapport à l’effet principal.
Conclusion
Le Baby-Crash et le Baby-Boom apportent de la
volatilité aux évolutions de la population totale et du taux d’activité, mais la
tendance essentielle est celle donnée par le vieillissement.
Les oscillations provoquées par la succession du
Baby-Crash et du Baby-Boom se font sentir jusqu’au milieu du XXIe
siècle et compliquent notablement le dimensionnement des ressources nécessaires
à certaines classes d’âge, notamment celles du système éducatif et du système de
santé.
Si l’on observe plus précisément l’évolution de la
population totale à la fin du XXe siècle, on voit que la hausse
provoquée par les suites du Baby-Boom dans les années 80 est relayée par le
vieillissement dans les années 90.
Les oscillations que nous avons constatées sont d’un
grand intérêt. Elles montrent qu’après un choc ponctuel les données statistiques
peuvent évoluer dans un sens contraire à la tendance résultant du choc sans que
cela remette en question la logique qui détermine fondamentalement leur
évolution. Il est donc nécessaire, lorsque l’on interprète des fluctuations, de
disposer d’un modèle permettant de les rapporter à leur cause : sans un tel
modèle, on risque d'être tenté de les expliquer par une conjoncture qui, en
fait, n’existe pas. |