L'expression
des besoins et le système d'information
31 décembre 2001
On croit parfois qu'il faut satisfaire
la demande des utilisateurs des systèmes d'information, et qu'en somme les
spécifications fonctionnelles devraient être écrites sous leur dictée. Cette
illusion conduit à une inflation de fonctionnalités : a posteriori
les utilisateurs n'utiliseront que 20 % au plus de ce qu'ils ont demandé.
Où est l'erreur ?
C'est que l'on a confondu besoin
et demande. Les utilisateurs expriment une demande, mais elle ne correspond pas nécessairement à leurs
besoins. Il n'y a
pas là de paradoxe mais un fait d'expérience qui s'éclaire si l'on se
réfère à la vie courante. Supposons que vous vouliez vous faire construire
une maison. Il faut qu'elle réponde à vos besoins ; ces besoins, ce sont les vôtres,
vous en êtes le seul porteur légitime. Mais cela ne veut pas dire que
vous sachiez les exprimer clairement, encore moins que vous sachiez comment il
sera possible de les satisfaire. Votre demande -
expression de votre besoin - est maladroite, car rien ne vous a préparé à
résoudre un problème d'architecture.
Michel Morel, architecte, m'a
montré le carnet où il avait noté les étapes de sa conversation avec un
client. Celui-ci avait acheté un terrain en Provence et voulait y faire
construire une résidence secondaire. Mon ami lui dit : "Quel type de
maison voulez-vous ?" et le client fit le dessin suivant :
Mon ami posa le dessin sur la
table et dit : "Parlez-moi de vous, de votre famille, de la façon dont
vous vivez". Et le client s'explique. Il a cinquante ans, il est marié à
sa seconde femme qui a vingt cinq ans de moins que lui, il a un fils de vingt
ans, étudiant qui vit avec sa première femme mais passe de temps à autres
quelques jours avec lui. Il aime à s'isoler pour réfléchir, travailler ou
lire ; sa femme mène une vie mondaine, reçoit souvent des amis, etc.
Pendant que le client parle, mon ami dessine des ronds représentant des espaces
: salle de séjour, bureau, chambre à coucher, salle de bains, chambres d'amis,
etc.
Le client aimerait à
s'isoler pendant les réceptions de sa femme, mais pas totalement ; mon ami
dessine un bureau dont le plancher est plus bas que le plafond de la salle de séjour
; il installe entre les deux une fenêtre que le client pourra ouvrir ou fermer
à sa convenance, ou bien masquer par un rideau.
Pendant la conversation, le schéma
de la maison s'élabore. Elle correspond aux besoins du client qui est ravi -
mais elle ne ressemble pas du tout au dessin puéril par lequel il avait d'abord
exprimé sa "demande".
Les MOAO se trouvent, devant l'utilisateur du SI, dans la même position que
l'architecte face à son client. "Je voudrais automatiser les envois de
courriers et disposer d'un système permettant de savoir, pour chaque client,
ce qu'il nous a écrit, ce que nous lui avons répondu. Ce système doit me
fournir des histogrammes reflétant la distribution de nos délais de réponse
pour maîtriser la qualité ; il doit aussi me permettre d'automatiser l'envoi
de lettres de relance aux clients qui n'ont pas répondu, etc." : cela,
c'est une demande. Il faut la poser sur un coin de la table puis dire à
l'utilisateur : "que voulez-vous faire, quel est le problème que vous
cherchez à résoudre avec cette automatisation du courrier ? " On pourra ainsi remonter de la
demande au besoin et aider le client à reformuler sa demande en des termes
correspondant à ces besoins. Chemin faisant, on lui donnera l'occasion
de tirer parti de possibilités auxquelles il n'aurait jamais pensé. On élaguera
aussi, dans la formulation de la demande, les fonctionnalités dont on peut présumer
qu'elles ne serviront à rien.
Il est vrai que certains
clients au caractère impérieux refusent de se prêter à ce jeu. "Je sais ce
dont j'ai besoin, disent-ils, je n'ai pas envie de vous raconter ma vie.
Faites ce que je vous demande". Il faut alors leur dire, respectueusement
mais clairement, que ce n'est pas ainsi qu'ils seront le mieux
servis.
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