Contrôle de gestion et système
d’information
(article publié dans ENA
mensuel, n° 322 de juin 2002)
- Alain Turc, Contrôleur
d’Etat, Mission Gestion publique Conseil
- Michel Volle, Économiste, président du
Club des maîtres d’ouvrage des systèmes d’information.
Jacky Richard a rappelé dans
son article (NB : "La généralisation du contrôle de gestion", dans
le même numéro de la revue) que le contrôle de gestion et la contractualisation sont nécessaires
pour l’efficacité de la gestion publique et de la dépense de l’État dans
le cadre d’un dialogue de gestion transparent. Le développement du contrôle
de gestion, en responsabilisant davantage les gestionnaires publics, permettra
de mieux appréhender les objectifs des politiques publiques et de mieux
informer les usagers.
Le cadre défini par la LOLF
oblige désormais l’Etat à tenir une comptabilité des recettes et dépenses
budgétaires, une comptabilité générale de l’ensemble de ses opérations,
et une analyse des coûts des actions engagées dans le cadre des programmes.
La qualité du système d’information (SI)
conditionne le succès de cette évolution.
La mutation des SI doit
accompagner la modernisation de la gestion
Tous les responsables
connaissent la difficulté de rassembler des données sur l’exécution
d’un programme si, au-delà de l’approche par les coûts (combien a-t-on dépensé),
l’on veut des informations physico-financières (combien, pour quoi faire?)
voire une évaluation de l’impact (combien, pour quoi faire, au profit de qui,
pour quel effet en retour ?).
Même si ces données existent
- ce qui n’est pas toujours le cas - elles ne sont pas toujours mobilisables
facilement, ou elles sont souvent incohérentes. Cela peut constituer un
obstacle à une gestion transparente ou à des actions de modernisation. Ainsi,
les difficultés d’application de la RCB en France, dans les années 70,
tiennent pour une part aux insuffisances du SI de l’époque par rapport aux
objectifs du dispositif.
C’est pourquoi, dans le
public comme dans le privé, les grands programmes de modernisation ou les
grands changements structurels sont aujourd’hui accompagnés, voire préparés,
par un refonte complète des SI.
En effet, tout SI doit d’une
part fournir aux gestionnaires de
base l’information nécessaire à
leurs tâches, d’autre part alimenter le système d’aide à la décision
(SIAD) qui donne aux dirigeants une vue d’ensemble sur le fonctionnement de
l’organisme, sa position par rapport aux objectifs, ainsi que sur les
principaux risques. Si une modification majeure du cadre ou des règles de
gestion ne se traduisait pas dans l’organisation du SI et du SIAD, cela
causerait un surtravail pour les gestionnaires, compliquerait le dialogue avec
les dirigeants et contraindrait ces derniers à décider à partir d’une
vision partielle ou déformée de la réalité.
Il faut
donc concevoir et piloter au mieux le SI et le SIAD d’un organisme,
surtout quand celui-ci évolue et se modernise. A cet égard, l’expérience
des grands SI publics et privés
peut apporter des enseignements utiles aux décideurs ministériels qui
doivent aujourd’hui appliquer la LOLF et développer le contrôle de gestion.
Quels enseignements tirer de l’expérience des
grands SI ?
Aucun organisme
n’a un SI parfait : même
s’il est récent, ce dernier est toujours un empilage de couches géologiques
apportées par l’histoire [4]. Ainsi, l’informatisation de la dépense de
l’Etat depuis 1967 a accompli une longue marche vers l’unification des
applications budgétaires et comptables qui a débouché sur ACCORD [5], et
le débat sur l’articulation avec les autres applications est toujours
actuel (gestion physique, évaluation, etc..).
Tout SI
est lié à l’organisation des compétences au sein de l’organisme.
Dans l’industrie, par exemple, les premiers SI ont longtemps été focalisés
sur la production, puis ils se sont organisés autour de la fonction comptable
et financière. Cette évolution caractérise aussi l’offre de progiciels de
gestion disponibles aujourd’hui sur le marché.
La conception et la mise en œuvre
du SI posent donc des problèmes de
pouvoir qui peuvent être bloquants s’ils ne sont pas arbitrés par la
direction suprême. Ces problèmes traduisent souvent une vision stratégique
insuffisante (quel organisme peut vivre en s’appuyant sur une seule de ses
fonctions ?) mais aussi une conception dépassée de la « propriété des données
», vestige de l’époque des « systèmes propriétaires »
.
Or l’important n’est pas la
propriété des données, mais leur qualité [1]. S’il n’y a pas une bonne définition
des règles de codage et de mise à jour, ainsi qu’un référentiel
commun et bien géré, il arrive souvent que les données des
applications de gestion soient lacunaires ou codées de façon aléatoire, selon
qu’elles sont jugées importantes ou non par les personnes du terrain.
On trouve là une cause, bien connue par les administrations, de la difficulté
de suivre les contrats de plan Etat-Région : l’absence de codification de la
zone « Contrat de plan » n’étant pas un motif de rejet pour le comptable,
certaines dépenses ont été payées sans être ensuite rattachées aux
Contrats de plan dans la comptabilité budgétaire.
D’une manière générale,
tout SI doit gérer de façon adéquate la relation entre la comptabilité et
les autres dimensions de l’activité de l’organisme. La première,
indispensable pour renseigner les actionnaires (la collectivité nationale dans
le cas d’un Etat) et les prêteurs éventuels sur les résultats de
l’organisme et la variation de son patrimoine, occupe une place centrale dans
le SI. Mais cette place n’est évidemment pas exclusive : le SI doit aussi
retracer les processus essentiels
pour la vie de l’organisme, comme par exemple l’organisation physique de la
production, la gestion des ressources humaines ou l’appréciation de la
satisfaction des clients.
De même, les dirigeant
utilisant le SIAD ont besoin des agrégats comptables essentiels, mais aussi
d’autres éléments relatifs à l’activité de l’organisme et aux
objectifs qui lui sont assignés. Ainsi la prise en compte d’hypothèses de
vente, avec toutes les incertitudes de la prévision, est indispensable pour
calculer le « point mort » d’un nouveau produit et faire des simulations sur
des scénarios alternatifs de production (quantité, prix) et d’élasticité
de la demande.
De même, la décision de remplacement effectif d’un gros équipement ne dépend
pas seulement de son amortissement comptable, mais aussi de son efficacité économique.
Enfin la présence d’une entreprise sur un marché peut être liée à des
objectifs fixés a priori (par
exemple, atteindre une part de marché minimale).
En d’autres termes, le SI et
le SIAD doivent fournir les données nécessaires à la comptabilité, aux
divers aspects de la production et de l’activité, à l’appréciation des résultats
et au contrôle de gestion. Ils doivent simultanément garantir l’intangibilité
des traitements pérennes (comptabilité en premier lieu) et l’évolutivité
de certains autres (les indicateurs de contrôle de gestion doivent évoluer en
fonction des objectifs choisis).
Quelques recommandations pour le bon
positionnement du SI et du SIAD
dans les politiques de modernisation et de contrôle de la gestion.
Il n’existe pas de modèle général
de SI et de SIAD, mais on peut faire quelques recommandations fondées sur
l’expérience :
a) c’est la direction générale
de l’organisme (et non la direction informatique seule) qui doit fixer le
cahier des charges (assimilable à un « plan d’urbanisme »)
du SI et du SIAD.
Ainsi, le cahier des charges
d’ACCORD a été approuvé expressément par le comité de pilotage
interministériel du projet et par les directeurs financiers de tous les ministères.
b) les normes comptables, ainsi
que les principes structurels d’organisation et de contrôle, doivent figurer
dès le départ dans ce cahier des charges.
c) L’intégration des
traitements essentiels (comme par exemple entre la comptabilité et l’exécution
de la dépense ) ne doit pas conduire à des « usines à gaz », ce qui serait
souvent le cas si l’on voulait tout traiter par une seule application, ou si
l’on confondait production des données, stockage et exploitations
approfondies. En effet celles-ci, portant généralement sur plusieurs critères
et plusieurs périodes, ne peuvent pas être faites sur les applications de
gestion courante (notamment pour des raisons de
performances) et requièrent des outils spécifiques (infocentres ou «
datawarehouses » [2]) ainsi que des techniques avancées d’extraction de données
(datamining [3]) permettant de cerner parmi les données individuelles celles
qui expliquent telle anomalie constatée dans les données agrégées. Très
utile pour l’analyse de gestion et le marketing, cette méthode requiert
toutefois des compétences statistiques élevées.
d) Il faut accorder beaucoup
d’attention à l’alimentation du SI et du SIAD et à la vérification des
données parce que :
-
Cela représente une part importante de la charge d’installation des
systèmes, et de l’effort de reprise de l’existant demandé aux services,
-
Il faut souvent corriger des défauts antérieurs au prix d’une
restructuration profonde des données : par exemple, la refonte de certaines
applications bancaires a été l’occasion d’introduire un identifiant du
client, là où auparavant seul le compte était suivi. De même, la mise en
service d’ACCORD et le passage à la comptabilité d’exercice imposent une
gestion stricte de l’enregistrement des factures
et du fichier des créanciers de l’Etat,
-
La qualité d’une donnée dépend beaucoup de sa « vie » dans le SI
et dans le SIAD : les services qui fournissent une information sont d’autant
plus attentifs à sa qualité que leur contribution est reconnue (ou sanctionnée
par un rejet) et qu’ils bénéficient d’un retour utilisable pour leur
gestion.
-
La certification des comptes de l’Etat prévue par la LOLF impose des
exigences nouvelles de qualité et d’auditabilité des données budgétaires
et comptables. La certification d’une comptabilité ne se ramène pas à la vérification
de sa cohérence formelle : elle oblige de s’assurer de la réalité des opérations
et des valeurs retracées dans les écritures comptables,
-
Une fois la qualité de base assurée par les gestionnaires des services
et des applications, les travaux de vérification et de redressement requièrent
l’intervention de statisticiens et de spécialistes de l’information [6].
e) Organiser le choix pertinent
de l’information utile au contrôle de gestion.
Si les systèmes de base
(ACCORD, infocentre sur la dépense, etc..) sont bien alimentés,
le problème que le SIAD doit traiter n’est plus informatique, mais «
éditorial » et organisationnel. Par rapport aux objectifs du contrôle de
gestion, l’autorité responsable doit segmenter la population des
utilisateurs, analyser leurs besoins essentiels, définir pour chaque segment
l’outil qui sélectionnera les données nécessaires, organiser les
restitutions qui donneront à l’utilisateur les données utiles, leur représentation
graphique et leur commentaire.
Il convient d’insister sur la
pertinence des indicateurs : les utilisateurs ont généralement tendance à
demander le plus possible de données et d’indicateurs sans s’interroger
assez sur leur utilité effective. L’efficacité
commande au contraire de ne fournir que les informations les plus pertinentes,
c’est-à-dire celles qui sont immédiatement utiles à l’action, et à négliger
les autres car à partir d’un certain seuil la lourdeur du tableau de bord est
un facteur de désutilité.
L’exigence de pertinence est
d’autant plus grande que :
-
le SI et le SIAD de l’Etat doivent gérer certaines opérations
complexes impliquant des acteurs externes (Union européenne, collectivités
territoriales, etc..). L’appréhension complète des financements conjoints et
des effets de l’ensemble des mesures financées (et pas seulement sur la part
Etat) oblige alors à se référer aux applications de l’Etat et à celles
retraçant les opérations ou financements des tiers,
-
si le SI doit assurer une permanence dans la production des données, le
SIAD doit pouvoir évoluer en fonction de l’évolution des objectifs de
l’organisme, et de ses résultats.
On peut dire en conclusion que
c’est en centrant le SIAD sur
l’essentiel que l’on peut le maîtriser et surtout s’en servir pour décider.
La complexité est toujours un obstacle à la décision. Le mythe du nœud
gordien rappelle, s’il en était besoin, qu’une trop grande complexité peut
contraindre le décideur à la destruction volontaire du système.
Bibliographie
[1] Boydens Isabelle, Informatique,
normes et temps, Bruylant Bruxelles 1999
[2] Goglin Jean-François, Datawarehouse
pivot de la relation client, Hermes 2001
[3]
Hirji Karim K., Exploring Data Mining Implementation, in Communications of
the ACM juillet 2001
[4] Jean Gérard, Urbanisation
du business et des SI, Hermès 2000
[5] Turc Alain,
ACCORD, un levier pour l’amélioration la gestion publique,
Lettre du management public, n° 32, mars/avril 2001
[6] Volle Michel, Le métier
de statisticien, Economica 1984
[7] Volle Michel, e-conomie,
Economica 2000
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