| La science du marketing25 août 2002 Le mot « marketing » a mauvaise 
presse parce qu’on lui associe des connotations péjoratives, comme « publicité » 
ou pis « publicité mensongère », voire « manipulation du client ». Pourtant le 
marketing a une face irréprochable : celle qui consiste à « connaître le 
client ». Mais « connaître le client », ce n’est pas connaître la personne que 
l’on a en face de soi dans la globalité ineffable de sa personnalité, tâche 
impossible. C’est plus modestement en savoir assez sur ce client pour lui rendre 
le meilleur service possible, celui qui correspond à ses besoins et lui apporte 
le plus d’utilité. On dit alors que l’on a « personnalisé » le service : ce mot, 
malgré l’étymologie, ne se réfère pas à la « personnalité » du client mais à 
autre chose que nous allons tenter de définir.  L’arme absolue du marketing, 
c’est la « segmentation », l’art de définir une 
classification des clients adéquate à la nature des relations que 
l’entreprise entend avoir avec eux. Une telle classification, c’est 
formellement :- 
une partition de l’ensemble des clients, sans omission ni double emploi, 
permettant d’affecter chaque client à une classe et une seule ;
 - 
un ensemble de paramètres observables sur chaque client ;
 - des 
règles qui permettront, connaissant les valeurs des paramètres propres à un 
client, d’identifier la classe à laquelle celui-ci appartient (classement).
 La classification sera adéquate 
à la nature des relations que l’on a avec les clients si elle est définie de 
telle sorte que les divers clients d’une même classe puissent être considérés, 
en ce qui concerne leurs besoins, comme un seul et même client. Pour illustrer ce qu’est la 
segmentation il est utile d’explorer une analogie avec la médecine. Lorsqu’un 
patient va voir son médecin et explique ce dont il souffre (« symptômes »), le 
médecin identifie la maladie (« diagnostic »), c’est-à-dire qu’il range le 
patient dans la classe « personnes souffrant de la maladie M ». Cela lui permet 
d’établir une prescription (« ce qui convient aux personnes souffrant de la 
maladie M ») en recourant parfois à une nomenclature fine pour préciser la 
prescription (« personnes souffrant de la maladie M, pesant plus de 70 kg, âgées 
de plus de 60 ans, de sexe masculin, qui prennent un médicament contre 
l’hypertension »). Même si la prescription est ainsi « personnalisée », il 
s’agit toujours d’identifier à quelle classe le patient appartient pour 
prescrire le traitement qui, statistiquement, donne le meilleur résultat 
lorsqu'il est appliqué aux personnes de cette classe. L’écart entre la segmentation 
et ce que serait une personnalisation véritable réside dans l'adverbe 
statistiquement : la prescription, étant établie en fonction de ce que le 
médecin connaît sur le patient, ne tient pas compte de ce que le médecin ne 
connaît pas sur le patient - et en outre sa pertinence est bornée par les 
limites de la médecine elle-même. Elle est donc entachée d’incertitude. Le 
médecin gère cette incertitude en prescrivant « au mieux », en fonction 
de ce qu’il sait et de l’état de l’art. L’information médicale elle-même est 
formulée en termes statistiques : l’état de l’art dit que, pour des patients 
appartenant à telle catégorie, tel médicament donne un résultat dans 80 % des 
cas. La prescription comporte donc un risque d’échec de 20 %. La personnalisation au sens 
vrai du mot n’est pas absente de la relation entre médecin et patient : la 
déontologie accorde une grande importance à l’aspect humain de leur rencontre 
ainsi qu’à l’écoute qui permet au médecin d’affiner son diagnostic. Par 
ailleurs, le médecin conserve en note des informations relatives au patient et 
qui lui sont donc personnelles : état civil, antécédents familiaux, historique 
de ses relations avec le médecin, des symptômes qu’il a présentés, des 
diagnostics portés et des prescriptions etc. Il n’en reste pas moins que pour 
porter un diagnostic puis formuler une prescription le médecin doit classer le 
patient dans une catégorie en se fondant sur l’ensemble des paramètres observés 
(« symptômes »). Ni le diagnostic, ni la prescription ne relèvent de la 
« personnalisation » : ils relèvent de la « segmentation » et, quelle que soit 
leur qualité, ils ont toujours un fondement statistique. 
  
     *
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    * L’analogie avec la médecine 
éclaire la relation entre personnalisation et segmentation dans la relation avec 
un client, et illustre par ailleurs l’apport authentiquement scientifique du 
marketing. L’entreprise doit segmenter la population de ses clients pour définir 
ses relations avec eux : elle va définir ses produits, méthodes de promotion 
commerciale, réseau de distribution, règles de tarification, « packaging », 
service après vente etc. selon les particularités de chaque segment. Le segment 
auquel un client appartient sera identifié en fonction des paramètres observés 
sur ce client. Il importe que ces paramètres soient propres à ce client et non à 
sa relation avec l’entreprise : classer les clients selon leur opinion sur 
l’entreprise, ou selon qu’ils passent des commandes importantes ou non, ce 
serait fossiliser la relation avec eux  : une fois que l’on a classé un client dans la catégorie des 
« petits clients », on aura du mal à définir l’action commerciale qui ferait 
croître le montant de ses commandes et qui changerait son classement. Il ne faut 
pas que l’entreprise fasse comme ces professeurs qui ont du mal à admettre qu’un 
« cancre » puisse avoir de bons résultats de façon imprévue.  Dans ses relations avec le 
client, l’entreprise procède donc comme le médecin : à partir des paramètres 
observés elle définit le segment auquel il appartient et organise en conséquence 
sa relation avec lui. Par ailleurs, elle garde trace dans sa documentation des 
caractéristiques propres à ce client et des échanges qu’elle a eues avec lui, ce 
qui permettra d’affiner ses diagnostics ultérieurs. Cependant les classifications 
ne tombent pas du ciel : avant d'être utilisées, elles ont été élaborées par la 
direction du marketing. Le médecin met en œuvre la science médicale qu’il s’est 
appropriée lors de ses années d’étude. Elle lui a fourni la classification des 
pathologies et indiqué l’art du diagnostic. Dans l’entreprise, la direction du 
marketing est chargée de définir la segmentation des clients, les règles 
d’action envers chaque segment, les paramètres selon lesquels on va identifier 
le segment auquel un client appartient. Ainsi responsable d’une tâche qui, au 
plan logique, est analogue au savoir accumulé par l’histoire de la médecine, la 
direction du marketing remplit une tâche scientifique de premier plan : elle 
gère une relation expérimentale entre l’entreprise et ses clients, relation 
qu’elle complète et évalue par l‘observation des initiatives de la concurrence, 
l’évaluation des parts de marché, etc. Il y a loin entre cette activité 
rigoureuse, qui utilise des méthodes statistiques élaborées, et l’image 
couramment associée au mot « marketing ». |