La Maîtrise d'ouvrage du système d'information et ses
utilisateurs
8 novembre 1999
Exposé au club des maîtres
douvrage des systèmes dinformation
Lorsque lon parle des
" utilisateurs " du système dinformation, il faut distinguer
deux catégories de personnes :
- les utilisateurs " de terrain ", ceux qui en pratique
feront fonctionner le système et sen serviront pour leur travail quotidien ;
- les " concepteurs ", généralement affectés à la
direction générale et chargés de concevoir les nouvelles applications en fonction des
orientations stratégiques des métiers de lentreprise.
Les concepteurs ne sont pas des utilisateurs finals, mais ils
sont chargés de transcrire les besoins de lentreprise en termes de fonctionnalités
à fournir par lapplication.
Les relations entre maîtrise douvrage et utilisateurs
comportent des étapes que l'on peut énumérer dans lordre chronologique :
- lexpression des besoins,
- la recette fonctionnelle, qui permet aux utilisateurs de vérifier si
lapplication correspond bien à leur demande,
- la formation des utilisateurs " de terrain ",
- le déploiement,
- la conduite du changement,
- laide aux utilisateurs,
- lexploitation technique de proximité.
Nous considérerons dans cette fiche uniquement la première de
ces étapes, lexpression de besoins.
Étapes de lexpression des besoins
Lexpression de besoins se fait en plusieurs étapes :
- une première expression, dite
" informelle " (mais qui doit néanmoins être rigoureuse) permet de
comprendre de quoi il sagit . Exprimée en langage courant, elle est compréhensible
à la lecture par tout le monde y compris les dirigeants. Ils doivent la valider de telle
sorte que lon soit sûr quelle correspond aux priorités et à la stratégie
de lentreprise. Sans cette validation, on courrait le risque dun désaveu
après des mois de travail dans une direction erronée.
- on établit ensuite une expression dite
" formalisée " en utilisant un langage que nous allons décrire
ci-dessous. La formalisation peut faire apparaître certaines lacunes de lexpression
informelle : il faut itérer jusquà ce que lon dispose dune
expression informelle et dune expression formelle cohérentes.
- jusquici le travail a été fait par la maîtrise
douvrage, responsable de lexpression des besoins. Une fois établie,
lexpression de besoins est communiquée à la maîtrise duvre ; il
faut alors sassurer que celle-ci la comprend bien. Un échange de questions et
réponses conduit à lexpression des besoins définitive, dûment comprise et
validée par la maîtrise duvre.
Nous allons reprendre lune après lautre ces
diverses étapes.
Première expression des besoins
Pour rédiger lexpression de besoins, il est utile de
consulter des personnes du terrain et les concepteurs. Les informations
quapportent ces deux catégories dutilisateurs ne sont pas les mêmes : les
personnes du terrain indiquent dans le détail comment les choses se passent, ce qui
permet déviter des erreurs de conception pratique. Les concepteurs indiquent
comment les choses devraient se passer, ou comment elles devront évoluer, ce qui permet
déviter des erreurs stratégiques (cest-à-dire des erreurs concernant le
positionnement et les orientations de lentreprise).
La consultation des experts, les entretiens, les séances de
validation, la rédaction et la vérification des comptes rendus représentent une tâche
matérielle considérable. La logistique des recueils dexpertise,
consultations et validations, est le talon dAchille de la maîtrise
douvrage : lexpression des besoins peut échouer, en qualité ou en délai, si
cette logistique nest pas bien organisée. On pense trop souvent que cela va marcher
tout seul, cest une grave erreur. Il ne faut pas sous estimer les effort
nécessaires pour obtenir que des personnes compétentes se rendent disponibles, pour
sassurer de leur ponctualité et de leur assiduité aux réunions ; les comptes
rendus, portant sur des questions précises et parfois délicates, sont difficiles à
rédiger de façon claire et synthétique.
On mobilise parfois des " clubs
dutilisateurs " pour lexpression des besoins. Lexpérience
incite à se méfier de cette formule, même si elle a une allure sympathique et
démocratique. En rassemblant des utilisateurs, on les pousse en effet à exprimer une
demande inflationniste, chacun demandant ce que dautres nont pas encore pensé
à demander. Il peut arriver aussi que certains informaticiens manipulent les clubs
dutilisateurs pour faire passer leurs propres préférences : les utilisateurs
demandant " tout et le reste ", linformaticien peut choisir ce
quil a envie de faire. Pour amener un club dutilisateur à travailler
raisonnablement, la règle dor est de lui demander ses priorités, dindiquer
ce qui lui paraît indispensable. On ne retiendra, pour faire la " version
1 ", que cet indispensable
et bien souvent il ne sera pas nécessaire
daller plus loin.
Validation du besoin par les responsables
Nous appelons " dirigeant responsable " (ou
" dirigeant " pour faire court) la ou les personnes qui dirigent le
métier utilisateur de lapplication, et que lon appelle aussi
" maîtrise douvrage stratégique " (à ne pas confondre avec la
" maîtrise douvrage transverse ", qui coordonne les maîtrises
douvrage des divers métiers de lentreprise. La " maîtrise
douvrage stratégique ", cest la ou les personnes qui, au sein
dun métier, portent la responsabilité des orientations stratégiques de celui-ci.)
Il nest pas facile dobtenir des dirigeants
responsables une validation authentique, cest-à-dire faite en connaissance
de cause. Si on leur donne un épais classeur rempli de documents techniques, ils ne
feront que le survoler sans aller au fond des choses ; ils valideront de confiance, quitte
à découvrir par la suite que les décisions prises ne correspondaient pas aux priorités
stratégiques.
Il importe donc de présenter aux dirigeants des documents sur
lesquels ils puissent exercer leur jugement de telle sorte que leur validation ne soit pas
remise en cause plus tard. Chacun doit ici pouvoir faire son travail clairement et
pleinement : au politique de fixer les orientations, au métier de dire comment il
sy prendra, au technique de déterminer les moyens. Pour que la validation
" politique " soit bonne, il faut que les techniciens (métier et
informatique) fassent un effort de clarté, de simplicité et de pédagogie. Ils doivent
mettre en évidence les implications politiques des choix techniques, proposer des choix
alternatifs.
Les textes présentés aux dirigeants doivent être rédigés en
français et illustrés par des graphiques simples ; les compléments techniques
éventuels sont à mettre dans des annexes quils consulteront sils éprouvent
le besoin daller au détail, mais sur lesquelles il ne leur est pas demandé
dapposer leur signature.
Formalisation du besoin
Une fois lexpression de besoin en langage naturel
rédigée et validée, il faut la modéliser de façon formelle. On dispose maintenant
avec UML (Unified modeling language) dun langage de modélisation bien adapté. Il
permet de préciser les besoins en supprimant toute ambiguïté pour le maître
duvre chargé de la réalisation. Ce langage utilise les concepts propres à
lorienté objet (classes, composants, attributs, liens etc.) ; proche de
lutilisateur, dont il formalise la demande, il fournit à la réalisation la base
conceptuelle qui sera réutilisée et précisée lors des étapes ultérieures, ce qui
permet un gain en temps et en efficacité.
La maîtrise du langage de modélisation UML (ou de tout autre
langage futur analogue ; pour le moment, cest UML qui simpose) sera une étape
importante de la professionnalisation des maîtrises douvrage. Auparavant les
expressions de besoins étaient souvent imprécises et versatiles. Le maître
duvre va désormais disposer de descriptions complètes établies selon une
procédure qui garantit leur pérennité. Le modèle devient le langage dans lequel
le métier structure et décrit ses fondations conceptuelles.
Il sert aussi (ou plutôt il servira, car nous sommes ici en
avance par rapport à la pratique des entreprises) à mettre en forme les choix
stratégiques et à les expliciter. Dès lors le modèle est la transcription de la
stratégie de lentreprise, dont il donne une description précise propre à guider
la réalisation technique qui lui fait suite.
Modèle UML
Un modèle UML se compose de plusieurs documents en langage
courant et dun document formalisé : il ne se limite en aucun cas au seul document
formalisé car celui-ci est pratiquement incompréhensible si on le présente seul - sauf
peut-être pour un expert en UML, mais ces experts sont rares.
Le premier document est la présentation stratégique, expliquant
pourquoi lentreprise a voulu se doter de loutil considéré, les buts
quelle cherche à atteindre, le calendrier de réalisation quelle a prévu,
etc.
Le second document est une présentation des processus de
travail par lesquels la stratégie entend se réaliser. Pour permettre au lecteur de voir
comment lapplication va fonctionner en pratique, il doit être illustré par une
présentation des écrans qui seront affichés devant les utilisateurs de terrain.
Le troisième document est une explication des choix et des
méthodes utilisées pour la modélisation formelle : il sagit de synthétiser, sous
les yeux du lecteur, les discussions qui ont présidé à ces choix.
Le quatrième document est le modèle formel lui-même. Il
comporte essentiellement des diagrammes équipés de liens hypertextes permettant
louverture de contenus textuel. On doit présenter en premier le
" diagramme dactivité " qui montre lenchaînement des
" use cases " au sein du processus, car cet enchaînement est
immédiatement compréhensible ; puis le " diagramme de séquence ",
qui montre lenchaînement des opérations à lintérieur dun
" use case ". Enfin, le diagramme de classes, qui est le plus précis
conceptuellement mais aussi le plus difficile à lire : il montre les relations entre
composants et classes, et les relations dhéritage et dassociation qui relient
celles-ci.
Convergence du modèle
En fait lélaboration du modèle, avec ses parties
formelles et ses parties en langage naturel, se fait de façon itérative. On rédige
dabord une première expression de besoins en langage naturel ; la modélisation
formelle fait apparaître les ambiguïtés et incohérences inévitables dans toute
première rédaction : on les corrige, ce qui conduit à construire une deuxième version
du modèle formel, etc.
A la fin du processus, la maîtrise douvrage dispose
dun modèle livrable à la maîtrise duvre, et ses deux parties
(formelle et en langage naturel) sont dûment cohérentes. Avant la livraison du modèle
à la maîtrise duvre, les documents en langage naturel doivent être validés
par les dirigeants.
Cette élaboration demande une gestion documentaire attentive :
il importe que les diverses versions des textes soient numérotées, leur cohérence
garantie, de sorte que le destinataire nait pas à vérifier la cohérence de ce qui
lui est livré.
Le livrable fourni par la maîtrise douvrage à la
maîtrise duvre sappelle " modèle métier ",
" modèle fonctionnel " ou encore " spécifications
générales " ; ces divers termes sont synonymes, et nous utiliserons ici
lexpression " modèle métier ".
Lorsque le modèle métier est fourni au maître
duvre, celui-ci doit se lapproprier et sassurer quil
la bien compris. Il peut ainsi relever des points obscurs. On entre donc dans un
cycle de remarques du maître duvre adressées au maître douvrage,
auxquelles celui-ci répond en précisant et adaptant le modèle.
A la fin de ce cycle, on dispose dun modèle métier
stabilisé, bien compris par les deux parties, et qui servira de fondement à la
réalisation.
Suite de lhistoire
Il est important de voir la chaîne des démarches qui
conduisent ensuite à la réalisation. Le vocabulaire comporte des synonymes, mais la
démarche est claire :
- le " modèle métier " (ou
" spécifications générales ") est celui qui est livré par la
maîtrise douvrage à la maîtrise duvre. Cest le
" modèle métier stabilisé " décrit ci-dessus. Lexpression de
besoins, objet de la présente fiche, se termine lorsquil est établi.
- le " modèle danalyse " (ou
" spécifications détaillées ") est ensuite rédigé par le maître
duvre, puis validé par le maître douvrage. Il a pour but
dapporter au modèle métier des précisions techniques (cardinalité des liens,
définition des classes etc.) en vue dune réalisation efficace. Il doit être
validé par la maîtrise douvrage et devient ensuite le modèle sur lequel
fournisseur et client se seront mis daccord, et qui servira de charte à la
réalisation.
- le " modèle technique " (ou
" spécifications techniques ") est le document qui sera fourni aux
développeurs pour la réalisation. Il précise les choix techniques. Il est interne à la
réalisation et na pas en principe à être validé par le maître douvrage.
Pour comprendre cette succession, prenons une métaphore
inspirée de la vie courante. Supposons que vous fassiez construire une maison. Vous avez
le plan sous les yeux, et vous dites : " dans cette chambre, il faudra quatre
prises de courant, un interrupteur commandant une prise, et une applique commandée par un
interrupteur ". Ce sont vos spécifications générales.
Lélectricien vous demande de dire où il faut installer
les prises, les interrupteurs et lapplique. Marquer sur le plan ces emplacements
précis, cest établir les spécifications détaillées.
Puis lélectricien fera le plan de câblage : il
déterminera le parcours des goulottes et saignées. Ce sont les spécifications
techniques, qui nintéressent pas le client (mais lélectricien vous
demandera toutefois peut-être de donner votre accord avec lemplacement de
larmoire de raccordement où se trouveront les disjoncteurs).
Toute réalisation doit parcourir ces trois étapes, et être
conduite de sorte que lon n'ait jamais à mettre en cause les choix opérés lors
des étapes précédentes.
La maîtrise douvrage est responsable à la fois de la
production et de la validation du modèle métier ; pour le modèle danalyse,
la responsabilité est partagée : production par la maîtrise duvre,
validation par la maîtrise douvrage. Enfin, la maîtrise duvre est
responsable à la fois de la production et de la validation du modèle technique.
Ce découpage des rôles doit être très clair dans
lesprit de chacun. Précisons toutefois quil ne signifie pas quil existe
une cloison étanche entre maîtrise douvrage et maîtrise duvre :
au contraire, les flux dinformation et les consultations doivent être réguliers
tout au long de la démarche.
A la fin du processus ci-dessus, quand le modèle technique est
élaboré, on entre dans la phase de réalisation (développement), qui sera suivie du
déploiement, de la formation des utilisateurs, etc. Ceci est une autre histoire ;
elle est importante mais sort des limites de cette fiche.
Quelques pièges
Signalons les pièges dans lesquels on tombe parfois :
- on sous-estime souvent la difficulté de la logistique de consultation et
de validation auprès des experts du métier : les rendez-vous sont difficiles à obtenir,
les personnes ne sont pas assidues, ou bien elles ne se sentent pas autorisées à donner
un avis parce que leur mandat nest pas clair, ou bien elles sont désavouées après
lavoir donné, etc. Les délais peuvent sallonger démesurément, la qualité
de lexpression des besoins peut être douteuse.
- on présente aux dirigeants des documents dune lourde technicité
qui ne correspondent ni à leur langage, ni à leurs préoccupations. Dès lors la
validation prend beaucoup de temps, ou bien au contraire elle est trop rapide et
superficielle et sera remise en cause par la suite : un dirigeant ne pourra en effet
jamais tolérer que lapplication ne soit pas conforme à la stratégie de
lentreprise.
- on prend en compte les contraintes techniques de façon trop précoce.
Nous avons vu la succession modèle métier - modèle danalyse - modèle technique.
Lorsque lon fait le modèle métier, lobjectif est de donner une bonne
expression de besoin, non doptimiser les solutions techniques qui doivent être
examinées ensuite. Il peut arriver que sous prétexte de
" sérieux ", de " rigueur " ou encore de
" méthodologie ", linformatique veuille imposer au métier des
règles de modélisation anticipant sur les choix à réaliser dans le modèle
danalyse ou le modèle technique. Des choix techniques précoces devront alors être
révisés par le maître duvre, doù travail en double et perte de
temps.
- cloison étanche entre maîtrise douvrage et maîtrise duvre :
même si la maîtrise duvre nest pas responsable du modèle métier, il
est utile que le maître douvrage la consulte pour sassurer de la faisabilité
de ce quil envisage ; par ailleurs, même si le modèle technique ne concerne
pas le maître douvrage, il est utile quil soit informé de choix qui ont pour
lui des conséquences directes (en termes de performances, fiabilité etc.). La
spécialisation des rôles ne doit pas exclure la collaboration.
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