Organisation
par projets : Pro et Contra
9 mai 2002
Le rôle de la maîtrise
d'ouvrage du système d'information (SI) dans l'entreprise est en débat. Est-il
nécessaire d'organiser, de professionnaliser des compétences en maîtrise
d'ouvrage ? Ou bien au contraire faut-il démanteler les compétences
existantes ?
Des équipes de maîtrises
d'ouvrage (MOA) se sont développées dans les directions pour mieux exprimer
les besoins en matière de SI et mieux maîtriser l'"alignement
stratégique" du SI (ou, en termes moins vagues, sa pertinence envers les
priorités du métier). Comptant dans de grandes entreprises jusqu'à quelques
dizaines de personnes, ces MOA ont été chargées d'analyser les besoins,
rédiger et faire valider les cahiers des charges, suivre les réalisations,
assurer les recettes fonctionnelles, organiser les déploiements et formations,
animer et contrôler le bon usage du SI, mener une veille comparative sur les SI
des autres entreprises du secteur.
Certaines entreprises
démantèlent maintenant ces équipes et reclassent leurs personnels à
l'informatique qui retrouve ainsi son rôle ancien de maître du SI, responsable
de son adéquation aux besoins et à la stratégie. On entend de nouveau la
phrase jadis fameuse "la distinction entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise
d'œuvre est franco-française et n'a pas de raison d'être : tout ça, c'est
de l'informatique". Il est vrai que l'informatique elle-même
redéfinit son périmètre en sous-traitant certaines de ses activités, en
recourant à des progiciels pour d'autres ; des directions informatiques se sont
ainsi rapprochées des méthodes et priorités qui sont celles de la MOA.
Dans d'autres entreprises, on
ne jure que par les "projets" : le succès d'une réalisation
informatique dépend, dit-on, de la fermeté, de la clarté de l'organisation
autour d'un directeur de projet maître à la fois de la conception et de la
coordination des travaux, sous l'autorité duquel sont placées des
compétences métier et des compétences informatiques dont il organise le
dialogue. Ces entreprises-là, elles aussi, font éclater la MOA : il n'y aura
plus d'équipes permanentes, mais des compétences que l'on regroupera à
l'occasion d'un projet et que l'on dispersera à la fin du projet.
Pourquoi ce retour de balancier
? Sans doute des erreurs ont été commises. Certaines MOA se sont comportées,
au sein des métiers, comme une "informatique bis" aussi technique,
aussi éloignée des besoins que la plus autiste des directions informatiques.
D'autres se sont bureaucratisées : ayant appris à maîtriser le formalisme des
cahiers des charges, elles s'y sont complu et ont perdu la compétence
métier sans pour autant acquérir une compétence en système d'information.
D'autres enfin ont été découragées par la contradiction persistante entre l'ambition de leur mission et son manque de légitimité, notamment en ce
qui concerne la maîtrise des budgets informatiques.
Ces erreurs peuvent s'expliquer
par un manque de maturité tant du côté de l'entreprise que des MOA
elles-mêmes : l'entreprise n'est pas mûre pour accorder aux MOA les moyens de
leur mission ; les MOA ne possèdent pas les compétences qui leur
seraient nécessaires. Ce manque de maturité se traduit par une organisation boiteuse,
des incohérences larvées, l'incompréhension collective de certaines
évidences. Tout cela use l'énergie des personnes de bonne volonté,
décourage l'acquisition des compétences et retarde la maturation. Il se peut
que celle-ci soit dans certaines entreprises indéfiniment ajournée. Alors en effet l'organisation des MOA
doit être révisée.
Le recentrage sur
l'informatique ou l'organisation par projets permettent de corriger certains de
ses défauts. Cependant ils ont aussi leurs inconvénients. Il faut donc se
demander si le retour de balancier n'est pas trop rapide : la remise en question des MOA résulterait non des défauts que
présente le principe de cette organisation, mais de l'incapacité de
l'entreprise à mûrir un dispositif permettant à ses métiers de
maîtriser le SI. Le recentrage sur l'informatique, l'organisation par projets
seraient alors des solutions de repli et non les meilleures
solutions possibles.
Nous allons ici examiner les
implications de l'organisation par projets. Nous verrons que cette organisation,
loin d'impliquer une dissolution de la MOA, fait de façon paradoxale
apparaître des exigences auxquelles la MOA doit répondre - et qu'elle confirme
donc la
nécessité d'équipes qui sont, au sein de chacun des métiers de l'entreprise,
responsables de la qualité du SI.
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L'organisation par projets
Historiquement, les entreprises ont d’abord
fait des SI spécifiques. La méthode comportait (1) une réflexion des décideurs
au niveau DG, (2) des notes d'organisation, (3) une descente de ces notes dans
l'organigramme, (4) le tri des conséquences en termes de SI puis (5)
en termes informatiques. L’entreprise était réactive en matière de
SI. Dans les plans métier
pluriannuels il n'existait pas d'étape concernant le SI, même si l'on savait que pour réaliser le plan il faudrait un SI approprié.
Beaucoup d'entreprises en sont encore là.
Aujourd'hui on observe
cependant une
autre tendance. Pour faire évoluer l'entreprise, la DG fixe d'abord
l'objectif puis monte un projet traitant les divers aspects métier,
informatique, formation et organisation. Ainsi le projet devient le mode
d'action des dirigeants des grandes entreprises. La réflexion sur le SI est alors proactive.
Les métiers prennent le contrôle
de leur SI, ce qui implique la mise en place d'une MOA stratégique (au sens de
: MOA auprès du comité stratégique de l'entreprise) employant des personnes
qui considèrent le métier, son évolution, ses relations avec le SI sur trois
à cinq ans.
Toutes les entreprises étaient
réactives il y a dix ans ; aujourd'hui, la moitié ou les deux tiers d’entre
elles sont devenues proactives.
Les projets et la MOA
Tout projet part d'un objectif
de progrès exprimé par le responsable d'une branche d'activité
ou d'une " business line" ; il s’agira d’offrir de nouveaux services ou d’améliorer
l'efficacité des services existants. Ce responsable est le client du
projet sur lequel il investira quelques M€.
Le client nomme une MOA dont la
mission sera de transformer l’objectif de progrès en une réalité pour
l'entreprise. Elle aura comme leviers d'action les produits et services
commercialisés, les procédures et compétences métier et les outils
informatiques. Elle construit un projet métier et elle lance divers chantiers ; pour certains d’entre eux
elle
fera appel à des maîtrises d'œuvre (MOE) internes ou externes (informatique, formation,
communication etc.), pour d'autres elle assurera elle-même la réalisation.
La MOA se manifeste ainsi dans
les projets. Or tout projet est par nature limité dans le temps. La chronologie
des projets ne coïncide
pas avec celle d'une MOA opérationnelle permanente. Il faut alors distinguer la
MOA de projet et la MOA permanente, cette dernière se consacrant au maintien du SI en condition opérationnelle,
à la maintenance
évolutive, à l'expression
des besoins au plus près des utilisateurs, à l'animation de la bonne utilisation
du SI.
Projets et progiciels
L'existence d'une offre de progiciels
a des effets sur la façon d'aborder les projets. L’entreprise aura recours à des progiciels dans les domaines
qui ne relèvent pas de son cœur de métier, ce qui représente 80 % du SI
; 20 % des applications concernent le cœur de métier et réclament des
fonctionnalités trop pointues pour que le progiciel puisse suffire. La définition
de la frontière entre ce que l’entreprise fera faire ou non par des
progiciels est un moment important de l'analyse stratégique. Pour être performante,
l'entreprise
doit être avertie des possibilités qu'offrent les progiciels avant de rédiger
le cahier des charges. La modélisation
du métier doit tenir compte des modèles supportés par les progiciels.
Le dialogue avec l'informatique
prend alors une forme nouvelle. La MOA est souveraine dans le cas du spécifique ;
dans le cas du progiciel, elle doit rechercher le compromis qui permet de
minimiser les aspects spécifiques. Ca ne peut se faire intelligemment que dans
une structure réunie sous la bannière d'un chef de projet, lequel est un MOA.
Analyse
des risques
L'organisation par projets
présente des risques lorsqu'elle est mal comprise :
1) Dans la
sociologie de l'entreprise, le caractère héroïque et noble attribué aux
projets peut susciter une inflation de projets qui bousculent le travail
opérationnel et gênent son efficacité. Il faut éviter la surcharge mentale, la
saturation des agents opérationnels.
Chaque projet suscite une
modification de l'actif de l'entreprise et correspond à un investissement.
Si l’entreprise focalise son attention et ses priorités sur cet
investissement, elle risque de ne pas
accorder assez d'importance à l'exploitation quotidienne ; or un SI, pas plus
qu’une ville, ne peut être continuellement en chantier. Il faut donc que la maîtrise
d’ouvrage mène une réflexion en amont pour limiter les projets au strict nécessaire. Par ailleurs l’organisation peut exploser si chaque changement du contexte suscite un projet qui
à son tour en suscite d'autres. Il faut gérer le portefeuille des applications
pour stabiliser les
processus de l’entreprise.
2) Il arrive que le directeur
du projet soit
coincé entre les caprices d'un métier à la demande versatile et
inflationniste, et les caprices d'une informatique qui veut faire passer les contraintes et disponibilités
de sa plate-forme
avant la satisfaction des besoins (ses choix seront différents
selon qu’elle a de l'Unix ou du Gecos, que du débit est ou non disponible
sur le réseau etc.) La
difficulté est encore accrue lorsque l'informatique contrôle de facto
le budget du SI. Il est fréquent qu’après avoir choisi le portefeuille de projets
la DG attribue une "enveloppe" (en hommes * jours, ce qui incite à
négliger les dépenses de
formation, de déploiement etc.) à la direction
informatique. Les MOA n’ont alors en pratique aucun moyen de contrôler,
suivre et maîtriser la réalisation des projets. Or le contrôle doit appartenir au métier,
au client. L'informatique doit
recevoir le budget qui lui est nécessaire en tant que maître d’ouvrage de la
plate-forme technique, mais les budgets des projets doivent être détenus
par les métiers.
3) Confrontés aux difficultés
ci-dessus, certains projets cultivent l’isolement en s’affranchissant des
contraintes de la cohérence. Ils se mettent ainsi en contradiction avec la
notion même de système d'information qui suppose la cohérence des référentiels,
la suppression des redondances dans les travaux. Alors on ne
construit plus un SI, mais une "chose" qui ne mérite pas le nom de système.
Il faut donc raisonner deux étapes :
- d'une part définir le portefeuille de projets (urbanisme du SI)
;
- d'autre part gérer les projets eux-mêmes.
Pour éviter que l’organisation par projets focalise l'attention sur
la seule gestion des projets et incite à négliger l'urbanisme, il faut présenter aux
dirigeants une médaille à deux faces : projets d'un côté, urbanisme de
l'autre.
Il faut que la MOA sache présenter les enjeux du SI dans
le langage des dirigeants et obtenir d’eux une validation
authentique, de sorte qu’ils apportent une valeur ajoutée lors de la
conception du SI.
Dans la plupart des
entreprises la démarche d'urbanisme reste imprécise. Il est de la responsabilité du DG de
la mettre en place.
Cette fiche a été rédigée à partir des notes de l'entretien du 6 mai 2002 avec M. Didier Piccino,
de Headstrong.
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