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Automatisme et intelligence

22 novembre 2003

Introduction

« Ne tournons pas nos regards vers l’Amérique pour copier servilement les institutions qu’elle s’est données, mais pour mieux comprendre celles qui nous conviennent, moins pour y puiser des exemples que des enseignements, pour lui emprunter les principes plutôt que les détails de ses lois. »

(Alexis de Tocqueville, avertissement de la douzième édition de La démocratie en Amérique, in Oeuvres complètes, Gallimard, 1951, p. XLIV).

L’histoire de l’informatique s’éclaire si on la situe dans la perspective de l’industrialisation du travail de bureau dont on peut situer le début vers 1880 à Chicago. Longtemps utilisée pour accroître la productivité du travail en automatisant des tâches répétitives, l'informatique s’est enrichie dans les années 1990 des apports de la bureautique communicante. Elle équipe désormais les processus de production au plus près de leur déroulement : l’entreprise, entrée dans l’ère du travail assisté par ordinateur, doit s’efforcer d’articuler au mieux deux ressources : l’organisation de l’être humain et l’automate programmable. Cette tâche n’est pas aisée car l’ordre n’est pas l’état naturel du système d’information : bien au contraire, une entropie inlassable sape sa qualité et y introduit un désordre contre lequel il convient de lutter avec persévérance.

Même si la contribution des Européens à l’informatique a été importante, ses progrès essentiels ont tous été réalisés aux États-Unis. L’informatique étant à la fine pointe de l’organisation de l’entreprise, elle est toute naturelle pour des Américains dont le pays a, dès sa formation, attribué à l’Entreprise l’hégémonie culturelle qui en Europe appartenait à l’État. Cela n’excuse en rien l’insouciance avec laquelle les Européens, et plus particulièrement les Français, ont gaspillé leurs compétences.

L’informatique a des limites : il existe des problèmes que l’ordinateur ne peut pas traiter. Soit ces problèmes constituent un défi pour la logique elle-même, soit ils exigent une trop grande durée de travail, soit ils butent contre les bornes de la précision du calcul. Mais cela ne doit pas empêcher d'explorer le vaste domaine des utilisations possibles.

Pour réussir l’articulation du travail humain et de l’automate, il faut percevoir clairement la différence entre l’ordinateur et le cerveau humain : on ne peut pas en effet articuler deux êtres dont on aurait postulé l’identité. Cette question a été obscurcie par les discussions passionnées et passionnelles sur l’« intelligence de l’ordinateur », discussions qui s’éclairent si on les situe sur l’arrière-plan culturel des États-Unis : est-il possible de planifier l’action au point que l’être humain, pour être efficace, doive se faire l’exécutant d’un automate pré-programmé ? ou bien l’action, avec ses incertitudes, nécessite-t-elle que l’on préserve la capacité de synthèse, de compréhension et de décision qui est propre au cerveau humain ?