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Évolution du marché de l’informatique

19 décembre 2003

La vivacité de la concurrence entre fournisseurs contribue à expliquer la baisse du prix des ordinateurs (voir "Évolution de l'ordinateur"). Les progrès des systèmes d'exploitation, applications, processeurs et mémoires sont autant d'occasions pour relancer la concurrence, différencier les produits (tout en restant compatible avec le standard PC) et se tailler de nouvelles niches de marché. En 1949, une étude de marché d'IBM estimait que 9 SSEC pourraient satisfaire les besoins des États-Unis pendant plusieurs décennies (le SSEC, construit en 1948 et rival de l'ENIAC, fut le premier ordinateur à respecter l'architecture de von Neumann) (Voir "Perspectives of the Founding Fathers", Proceedings of the Winter Simulation Conference, 1992) ; on dénombre aujourd'hui plus de 200 millions d'ordinateurs et depuis 1995 il se vend dans le monde plus de PC que de téléviseurs.

L'amélioration des technologies alimente une baisse du prix qui induit un élargissement du marché ; l’élargissement provoque une nouvelle baisse de prix etc. L’offre se diversifie du « desktop » au « laptop » portable, puis au « palmtop » qui tient dans le creux de la main et qui, muni d'une antenne, apporte toutes les facilités du PC en réseau.

Le micro-ordinateur a provoqué dans les années 80 une transformation radicale du marché de l'informatique [1]. Au début de cette décennie, des entreprises comme IBM, DEC, Wang ou  Univac étaient organisées verticalement, chacune étant présente dans toutes les couches (puces, ordinateurs, systèmes d'exploitation, applications, vente et distribution). L'industrie informatique était « propriétaire », un système entier étant produit par un seul fournisseur :

L'avantage de cette organisation du marché, c'est que l'offre d'un fournisseur constitue un ensemble cohérent. L’inconvénient, c'est qu'une fois le fournisseur choisi le client est contraint de lui rester fidèle car s'il veut prendre un autre fournisseur il devra changer tout son système informatique d'un coup, ce qui est pratiquement impossible. La compétition pour la première vente à un client est donc féroce.

En 1995, la structure du marché n'est plus la même. La baisse des prix a fait entrer l'informatique dans l'ère de la production de masse. Le client peut faire intégrer des éléments (puce, système d'exploitation, applications) fournis par des entreprises différentes. De nouvelles compagnies se sont créées (Intel, Microsoft, Compaq etc.), spécialisées chacune dans une couche où elle se trouve en concurrence avec d'autres entreprises spécialisées :

 

Ainsi pendant les années 80, et sans que l'on puisse assigner de date précise au changement, le marché s’est restructuré. IBM, entreprise phare du début des années 80, a subi une crise profonde ; les premières places ont été prises par les Microsoft, Intel, Compaq, Dell, Novell etc.

Prospective

Plaçons nous par l’imagination en 2010. Les composants essentiels de l’informatique communicante existent déjà aujourd’hui (processeurs, mémoires, réseaux) ; le changement à cette échéance réside donc moins dans la nouveauté des composants (dont toutefois les performances se seront accrues en raison de la loi de Moore) que dans la transformation des interfaces et protocoles permettant de les commander et de les faire communiquer. Cette évolution des interfaces implique un changement des conditions d’utilisation.

Miniaturisation : le « Microdrive » d’IBM

Lancé en juin 1999, le « Microdrive » est un disque dur de 340 Moctets pesant 16 grammes. Il est destiné aux caméras vidéos, appareils de photo et autres équipements portatifs. 

En 2010, en raisonnant par extrapolation tendancielle, téléphone portable et PC se seront miniaturisés à tel point qu’ils ne seront pratiquement plus visibles ; par ailleurs, ils auront fusionné et l’utilisateur pourra associer leurs fonctions. Les personnes, les objets seront équipés de ressources informatiques et de communication intégrées dans des composants minuscules.

Les thèmes principaux de l’offre auront les noms suivants : « communicateurs personnels », « containers d’information », « télédiagnostic des équipements », etc. De nombreux  « téléservices » pourront les utiliser.

L’ordinateur « wearable », portable au sens où l’on dit que l’on « porte » des vêtements, après avoir été lourd et d’aspect un peu monstrueux, est devenu discret et pratique. Le téléphone portable se miniaturise. La fusion du téléphone et du PC est déjà en cours. Les protocoles de communication évoluent vers la connexion permanente à haut débit en mode paquet (WAP[4]). Les systèmes d’exploitation « multiordinateurs » évoluent vers des architectures facilitant la mise en réseau des ressources de mémoire et de puissance.

Le « wearable » aujourd’hui

Les personnes disposent de fonctions informatique et de communication incorporées à leurs vêtements, voire à leur corps[5] ; chaleur et mouvements du corps fournissent l’énergie. L’écran est incorporé aux lunettes. Processeur, mémoire et disque dur sont intégrés dans un boîtier qui sert de palm top et de clavier. L’écoute du son est fournie par un walkman ou par un composant inséré dans l’oreille.  Les commandes sont saisies par reconnaissance vocale ou par clavier. Les diverses parties de l’équipement communiquent par câble ou ondes à courte portée.

L’ensemble de l’équipement personnel est alors connecté en permanence au Web ; il reçoit et envoie messages écrits et vocaux en temps réel. L’utilisateur peut consulter les ressources utiles, recevoir des alarmes, etc. : l’équipement apporte alors une assistance à la mémoire, dans la continuité des services que rend aujourd’hui l’agenda sur papier, mais en les enrichissant par l’accès à des ressources encyclopédiques et des moteurs de recherche.

Les personnes qui veulent communiquer avec l’utilisateur peuvent lui être présentées par leur « carte de visite » comportant une photographie (enrichissement de l’identification d’appel), et l’utilisateur a le choix entre communication synchrone et asynchrone (messagerie vocale).

Containers d'information

Les objets eux-mêmes sont munis de ressources informatiques communicantes, facilitant la « traçabilité » des biens de consommation (origine, composition chimique et fraîcheur des produits alimentaires, identification des fournisseurs ayant participé à l’élaboration d’un produit composite, etc. ; la traçabilité des produits, notamment alimentaires, constituera un avantage compétitif et se traduira soit par l’acceptation de prix plus élevés, soit par l’élimination progressive des produits non « tracés »). Des étiquettes électroniques rayonnantes d’un coût de quelques centimes permettent de les identifier, puis de trouver sur le Web les informations nécessaires (si toutefois les étiquettes ne les contiennent pas déjà).

La personne équipée qui se déplace dans un environnement d’objets communicants, reçoit les signaux émis par ces objets et les interprète (protocole Bluetooth). Elle peut aussi recevoir les signaux émis par les équipements des autres personnes (identifier amis et relations dans une foule, etc.).

Montre communicante

Samsung a commercialisé cette montre à la fin de 2000. Elle comporte un téléphone cellulaire CDMA commandé par la voix en utilisant l’analyse vocale de Conversa. Elle pèse 37 g et mesure 7 * 6  * 2 cm. L’écran LCD mesure 4 * 2,5 cm. Le téléphone permet 90 minutes de conversation ininterrompue.

Maison communicante

L’appartement est truffé d’objets communicants aux fonctions diverses. Il est équipé d’un ordinateur central, relié au monde par des accès à haut débit (les accès ADSL et les paraboles pour satellites en sont une préfiguration) qui organise les fonctions informatiques, audiovisuelles et télécoms du ménage, pilote le chauffage, l’éclairage, l’arrosage du jardin etc. selon les consignes fournies par l’utilisateur et constitue le centre du réseau des objets communicants.

Le terme « ordinateur » ne désigne pas ici une machine, mais un ensemble de fonctions résidant sur des machines diverses, y compris sur des machines situées hors de l’appartement mais fonctionnant sous le contrôle du ménage. L’utilisateur ne dispose plus comme aujourd’hui de plusieurs ordinateurs (un au bureau, un au domicile, un palm top, un ordinateur portable, et en outre un téléphone filaire et un téléphone portable) entre lesquels il doit recopier les données : il dispose d’une ressource informatique globale, localisée sur des serveurs entre lesquels traitements et données se répartissent. Il accède à cette ressource par des interfaces diverses sans que cela altère l’unité de celle-ci. Tout à la fois informatique et téléphonique, cette ressource gère les messageries écrites et vocales, garde mémoire des communications vocales ou des conversations, etc. Elle est connectée en permanence au Web sur lequel elle réalise des missions de recherche et de tri.

Dans ce scénario, rien ne dépasse les possibilités de la technique actuelle. Ce qui est nouveau, c’est l'intégration des applications qui permet de supprimer les ressaisies ; c’est aussi un filtrage sélectif permettant de trier sur le Web l’utile de l’accessoire. L’utilisateur peut être ainsi assisté ou éclairé dans toutes ses actions : la logique de l’assisté par ordinateur se déploie dans toutes ses implications. L’offre est commode, pratique, une haute complexité technique étant masquée par la facilité de l’usage.

Cette évolution, d’ores et déjà prévisible, comporte des risques :

1) risque de dépendance de l’utilisateur envers un système qui l’assiste en permanence : un nouveau savoir-vivre, une nouvelle hygiène, sont ici nécessaires. De même qu’il est déconseillé de regarder la télévision sans discontinuer quel que soit l’agrément que l’on trouve au spectacle audiovisuel, il sera déconseillé d’utiliser en permanence l’assistance que procurent les équipements téléinformatiques. Il faudra savoir se débrancher, n'être brancher que pendant quelques heures par jour et savoir utiliser la communication asynchrone (déjà, aujourd'hui, il faut savoir débrancher son téléphone mobile). Un système qui permet de recevoir en temps réel alarmes, messages et communications, qui permet à d’autres personnes de vous localiser, qui peut à tout moment accéder à des ressources (images, données, textes, sons, jeux), peut être oppressant. Il doit comporter divers niveaux de veille, de l’arrêt total à l’ouverture totale, en passant par le blocage sélectif des communications laissant passer certaines alarmes, ou les alarmes et certains messages, etc.

2) la part importante de l’automatisation dans l’environnement de l’utilisateur a pour corollaire l'obligation de contrôler les automates, car personne ne doit faire entièrement confiance à des automatismes pour sa vie courante. La communication entre automates, les actions qu’ils déclenchent doivent pouvoir être traçables et contrôlables ; l’utilisateur doit disposer d’interfaces commodes pour les paramétrer ; ces interfaces doivent être sécurisées pour éviter les fausses manœuvres. La protection de la vie privée suppose enfin que les automates soient protégés par des pare-feux contre toute tentative d’indiscrétion.

3) le monde dans lequel vivra l’utilisateur est différent de celui que nous connaissons aujourd’hui : les appareils seront plus discrets mais les fonctionnalités seront omniprésentes. Cette évolution peut susciter des réactions de rejet comme l’ont fait en d’autres temps le téléphone, l’ordinateur, le minitel, voire les équipements électroménagers (machine à laver, aspirateur, etc.).


[1] Andrew S. Grove, Only the Paranoid survive, Doubleday, 1996.

[2] Steven Levy, Hackers, Delta Publishing,1994.

[3] Michael Sipser, Introduction to the Theory of Computation, PWS Publishing Company, 1997

[4] « Wireless Application Protocol ».

[5] Certaines recherches visent en effet à équiper non seulement le vêtement, mais le corps lui-même ; il s’agit d’abord de compenser des handicaps (cécité, surdité, troubles de l’olfaction), dans un second temps de multiplier les capacités sensorielles de l’être humain en équipant son corps de capteurs plus sensibles que les capteurs naturels. Cf. dossier sur la « bionique » dans Courrier international n° 469.