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 Ci-dessous, ma chronique dans 
L'Expansion d'avril 2009. 
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Supposons que Keynes soit parmi nous et 
qu'il examine l'économie contemporaine. Que verrait-il, que dirait-il ? 
Il verrait une économie aussi déséquilibrée 
que celle des années 1930, des erreurs d'anticipation, l'inadéquation des 
comportements des consommateurs et des entreprises. Mais il se les expliquerait 
autrement.  
Le déséquilibre actuel n'est pas provoqué, 
comme il l'était alors, par la persistance dans une économie industrialisée de 
comportements, de valeurs, d'un pessimisme hérités d'une économie dominée par 
l'agriculture. Il n'est pas provoqué par une sous-estimation du potentiel 
productif de l'industrie.  
L'erreur qui domine aujourd'hui, qui bloque 
l'économie, c'est l'adhésion à des valeurs, des comportements, des lois 
d'anticipation qui correspondaient au système productif industrialisé mais ne 
correspondent pas au système productif informatisé et automatisé.  
Celui-ci s'est mis en place à partir de 1975 
et cela a tout transformé : la structure de l'emploi, la fonction de production, 
le fonctionnement des marchés, la nature des produits.  
Ces derniers sont devenus des assemblages de 
biens et de services élaborés par des entreprises travaillant en partenariat. La 
part des dépenses de conception dans le coût de production est devenue 
majoritaire, ce qui a entraîné la montée du risque vers les extrêmes - et aussi 
la mondialisation, car pour rentabiliser la conception il faut un marché aussi 
large que possible. La mondialisation, le risque, la puissance des outils 
informatiques ont suscité enfin une prédation qui ramène cette économie, si 
moderne, vers une forme nouvelle de féodalité.  
L'informatique, les réseaux sont pour 
beaucoup dans le développement de l'ingénierie financière à partir des années 
1970 : ils l'ont affranchie des contraintes de la géographie, ils lui ont fourni 
des outils puissants. Mais la simplicité que procure l'automate a masqué la 
complexité des opérations, procuré un sentiment trompeur de sécurité et incité 
les banques à prendre des risques extrêmes. 
"The Wall Street titans loved swaps and derivatives because 
they were totally unregulated by humans. That left nobody but the machines in 
charge" (Richard Dooling). 
Si la cause immédiate de la crise financière 
réside dans le comportement des financiers, sa cause matérielle réside 
dans l'informatisation de la finance car elle a rendu ce comportement 
inévitable : en effet si le risque était (apparemment) supprimé, rien ne 
devait freiner la course au rendement. Mais alors le risque (réel) ne pouvait 
que croître ainsi que la probabilité d'une catastrophe et celle-ci serait 
systémique, globale, en raison de la solidarité qui lie les organismes 
financiers une fois la géographie supprimée et le marché unifié.  |