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Commentaire sur Pierre Cassou-Noguès, Les démons de Gödel, Seuil 2007

4 mars 2008

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Pour lire un peu plus :

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Petit résumé du théorème de Gödel
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L'esprit de la recherche
Le monde de la logique, dans lequel vivent logiciens et théoriciens, est plus divers, plus tumultueux qu'on ne le croit communément. On pense que c'est le monde de la certitude, de la démonstration, de la déduction rigoureuse. Mais c'est aussi le monde des hypothèses et de l'induction, et ses racines plongent profondément dans le coeur du théoricien.

Qu'est-ce qui guide, en effet, le mathématicien vers les axiomes les plus féconds ? Pour qu'il les choisisse il faut qu'il ait anticipé, avant toute démonstration, la richesse des résultats qu'il pourra en déduire. Le ressort de son intuition, qui enjambe ainsi les étapes du raisonnement, est esthétique ou mystique : s'il n'est pas strictement logique, il est pourtant nécessaire au progrès de la logique.

Ceux qui enferment la logique dans un cercle, croyant qu'étant elle-même logique elle se mord en quelque sorte la queue, expriment une consternation naïve quand ils découvrent les écrits mystiques de Newton. C'est qu'il ne connaissent que le résultat du travail théorique, mais ignorent tout du processus qui conduit à ce résultat.

*     *

Gödel est ce logicien qui a démontré qu'il était impossible de déduire toutes les propositions vraies en partant d'axiomes en nombre fini (voir Petit résumé du théorème de Gödel). Toute théorie étant bâtie sur un nombre fini d'axiomes, ce théorème a bouleversé ceux qui espéraient qu'une pensée pouvait être équivalente au monde.

Gödel n'a pas publié grand chose après son fameux théorème. Il tournait en rond à Princeton, couvrant des milliers de pages de notes rédigées dans une écriture énigmatique ou, pire, dans une sténographie allemande dont il était l'un des rares utilisateurs.

Il était entouré de respect mais on le croyait un peu tapé, pour ne pas dire presque fou. Croyant avoir des ennemis qui voulaient l'empoisonner, il a fini par refuser la nourriture. On dit qu'il s'est laissé mourir de faim.

Chose étrange, cet homme secret n'a pas tenté de détruire ses notes. Sagement classées, elles attendait le déchiffrage. Une dame patiente s'y est attelée après avoir appris la sténographie qu'utilisait Gödel et dont elle est certainement le dernier utilisateur.

*     *

On découvre ainsi un monde étrange où tout chercheur reconnaîtra pourtant quelque chose de familier. Gödel croyait le monde peuplé d'anges et de démons. Il le décrit dans une langue claire, comme translucide, proche de celle de Pascal. On comprend qu'il n'ait rien publié de son vivant, époque de rationalisme triomphant : tout le monde l'aurait pris pour un fou. Mais l'était-il ?

Il a cru sans doute que les anges, les démons, peuplent réellement le monde, les forêts, maisons et chemins. Mais on peut transcrire son propos et interpréter ses anges, ses démons, comme autant de métaphores de ses états mentaux - car dans l'esprit d'un théoricien, où les états mentaux s'imposent de façon impérieuse, la métaphore est dotée d'une existence en quelque sorte tangible.

Et que l'on croie ou non à l'existence des anges et des démons ils existent bel et bien en nous, dans notre coeur craintif et hasardeux, à l'horizon d'un destin à la fois borné (dans ses réalisations) et sans limite (dans ses potentialités). Notre recherche les réveille quand elle tente, pour repousser la frontière qui entoure notre esprit, d'élucider sa nature, son rapport à soi-même ainsi que son rapport à ce qui n'est pas lui. 

Certains de ceux qui se disent rationalistes n'ont qu'une représentation formelle de la raison ; c'est la couper de ses racines pour n'en garder que des fleurs prêtes à se dessécher dans l'herbier de la pédagogie. Ils ne conçoivent pas ce qui fait le dynamisme de la recherche, ce qui la propulse pour explorer l'infinie diversité des mondes qui s'offrent à notre pensée.

Cette passion a été le ressort de Tycho Brahé, Kepler, Galilée, Gauss, Galois, Gödel etc. Nourrie de mythes, de métaphores, d'associations d'idées, d'analogies esthétiques, elle aspire à se concrétiser dans des résultats formellement rigoureux - mais sa propre rigueur, tout exigeante et dévorante qu'elle soit, n'est pas celle du formalisme.