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Commentaires sur :

Richard P. Feynman "Lectures on Physics" Addison-Wesley 1963

11 octobre 2001

Après avoir lu "Genius", de James Gleick, j'avais lu quelques chapitres de ce gros ouvrage. En écrivant sur le culte de l'abstraction je me suis rappelé Feynman. Je lis ses "Lectures" dans l'ordre, attentivement.

"La physique, c'est la science de l'approximation". Cette phrase de notre professeur de physique en Taupe, M. Soubie, est gravée dans ma mémoire. Dans les mathématiques que l'on m'avait enseignées l'approximation n'existait pas : la "rigueur", c'était l'exactitude absolue conduisant à des résultats sans ambiguïté. La "science de l'approximation" ne pouvait donc être pour moi qu'un paradoxe. Mais je pressentais sa fécondité ; s'ouvrait alors un nouveau continent intellectuel. L'approximation était l'une des conditions de toute action autre que mentale. Une science de l'approximation était donc légitime. Elle serait moins absolue, donc plus modeste, mais aussi plus pratique, donc plus ambitieuse, que les mathématiques. Ainsi se dénoua ma réticence envers la physique ; j'entrai dans cette démarche conjointement expérimentale et intellectuelle qui explorer le rapport entre l'homme et la nature.

Il y faut conjuguer l'audace dans l'invention des modèles et la modestie devant l'expérience, qui a toujours le dernier mot. Les formulations de la relativité générale ou de la mécanique quantique ne sont ni simples ni "naturelles" pour un mathématicien : pourquoi choisir cette métrique là pour l'espace-temps alors qu'une autre serait plus "élégante", pourquoi retenir telle loi de probabilité alors qu'une autre serait plus "sympathique" ? parce que l'expérience y contraint ; Soubie disait "Parce que c'est ainsi et que ce n'est pas autrement". L'expérience du mathématicien est purement mentale, il n'est contraint que par l'exigence de non contradiction.

C'est à tort, observons-le au passage, que l'on déduit de la théorie de la relativité que "tout est relatif" : elle dit au contraire que les lois de la physique sont identiques dans tous les repères galiléens, donc qu'elles sont absolues pour tous ces repères.

La rencontre de l'expérience et de l'idée est magnifiquement célébrée par Feynman dans ce livre qui est à la fois un chef d'oeuvre de pédagogie américaine et un grand poème dédié à l'intelligence de la nature (même si le mot "poème" aurait sans doute surpris Feynman). Il prend son temps pour expliquer les intuitions qui guident la modélisation et le choix des approximations ; il fait de petits dessins qui, par résonance, éveillent chez le lecteur une intuition semblable à la sienne. Si vous n'avez pas bien compris la force de Coriolis, la radiation électromagnétique, la théorie des antennes, la thermodynamique, les équations de Maxwell, la relativité restreinte ou générale, prenez Feynman, lisez-le posément, et tout s'éclairera.

Feynman détestait les philosophes. Il les considérait comme des songe-creux et leur reprochait de mépriser l'expérience, pour lui pierre de touche de toute construction intellectuelle. Mais il se révèle, dans son exploration de la physique, excellent philosophe au sens qu'avait ce mot chez les grecs de l'antiquité et qu'il a encore chez Newton.

D'ailleurs la critique adressée par Feynman à la philosophie n'est pas sans fondement, comme j'ai tenté de le montrer dans "culte de l'abstraction". Tout philosophe est d'abord et surtout un critique implacable de la philosophie.