En physique, toute théorie doit être
présentée de deux façons complémentaires : de façon mathématique et rigoureuse
pour s’assurer que le développement ne contient pas d’erreur logique et en
explorer les implications ; de façon « littéraire » pour partager les
intuitions qui la fondent et partager la démarche des
chercheurs.
Trop souvent, en France, on croit que la
présentation mathématique suffit. C’est ainsi que j’ai suivi entre 1960 et 1962, à
l’École Polytechnique, des cours sur la mécanique quantique et la théorie de la
relativité rigoureux sans doute mais aussi rigoureusement incompréhensibles : rien, dans ces cours
purement théoriques, ne permettait d’entrevoir ce qu’avait été la
démarche des chercheurs, ni le détail des faits auxquels l’expérience
les avait confrontés.
On pouvait s'en tirer lors des examens si
l'on avait une mémoire photographique et une bonne agilité en calcul : mais un
gouffre sépare ces prouesses scolaires de singe savant de la compréhension
véritable : ce savoir-faire sans sincérité ni passion n'est bon que pour la
chasse aux bonnes notes.
Le livre de Brian Greene est, à l’inverse,
purement « littéraire ». Il expose trois théories : la relativité générale, la
mécanique quantique, la théorie des cordes. La dernière est récente, en
construction, il nous fait partager l'aventure des chercheurs qui
l’explorent. L’apport essentiel de son livre réside peut-être dans la
présentation des deux premières.
L’intuition se révolte devant ces théories
car elles contredisent l’expérience courante. Il faut donc, pour pouvoir les
assimiler, fonder une intuition nouvelle sur une expérience élargie. C’est la
seule façon de pratiquer loyalement la physique : ceux qui considèrent les
théories comme des jeux de l’esprit, ou (pire encore) qui disent « on ne peut
rien y comprendre, l’essentiel est que ça marche », se détournent de
l’ambition du physicien authentique.
* *
Greene nous apporte cet élargissement de l’expérience
et de l’intuition . En le lisant, on comprend pourquoi il
a pu paraître naturel à Planck ou à Einstein de
bâtir des théories dont l’échafaudage semble, à première vue, si
étrange.
Une fois cette intuition acquise l'échafaudage paraît non
plus étrange mais nécessaire. La lecture de Greene m’a
incité à commander des livres qui, je l’espère, me permettront de comprendre ces
choses que mes professeurs avaient présentées de façon désinvolte, puis d’en apprendre de nouvelles. Je n’avais jamais entendu
parler des espaces de Calabi-Yau : Greene a éveillé ma gourmandise.
Nota Bene :
Wikipédia dit qu’un espace de Calabi-Yau est « une variété kählérienne dont la
première classe de Chem est nulle », ou encore « une variété riemannienne
d’holonomie réduite à SU(n) ». J’ai
horreur de ces « définitions » qui renvoient à d’autres définitions et dont
l’auteur fait semblant de croire que tout lecteur a nécessairement flirté avec l’agreg de maths. Sur
Wikipédia, la plupart des articles de mathématiques forment ainsi une ronde de
définitions qui se mordent la queue… cela ne satisfait ni l'exigence pédagogique
- ni
même l'exigence logique, ce qui, pour les maths, est un comble. |