Commentaire sur :
Jean-Yves Haberer "Cinq ans au Crédit
Lyonnais" Ramsay 1999
J'ai acheté ce livre après que les émissions d'Arte sur le
Crédit Lyonnais m'aient fait découvrir en Haberer un homme qui parle clairement et
simplement. Je craignais un peu de trouver une collection de ragots semblable au
"Verbatim" d'Attali, qui me tombe des mains après quelques pages.
J'ai eu une bonne surprise. Haberer écrit bien. Il décrit
avec art les situations compliquées. Son livre est donc intéressant et, si les
historiens sont sérieux (c'est-à-dire s'ils sont libres du préjugé qui pousse les
universitaires à ne croire "sérieux" que les documents d'archives et les
travaux de leurs confrères), ils y verront un témoignage précieux sur les méthodes de
notre classe dirigeante. C'est à eux qu'il reviendra de trier dans ce témoignage le vrai
et le faux, le mensonge et la sincérité. Le lecteur, sous le charme de l'écrivain, en
est incapable. Et puis "se non e vero, e ben trovato" : si Haberer ment, il
simule bien la sincérité.
A le lire, voici l'histoire en quelques phrases : le Crédit
Lyonnais est une boîte énorme, peu compétente, dont les directeurs se cooptent et
bénéficient chacun d'une délégation de pouvoir absolue dans son domaine. Ils sont
chacun Roi chez soi (même si on les appelle les "barons") car ils n'ont de
compte à rendre à personne. Haberer essaie de secouer cette structure, d'y introduire
des contrôles, de diversifier les activités pour pouvoir y importer des hommes nouveaux.
Ce faisant, il s'attire la haine de ses concurrents. Il est aussi en butte à la haine de
la droite qui reproche à ce patron apolitique d'une entreprise publique de servir la
gauche. Patatras ! l'année 1993 est marquée par la crise économique qu'a provoquée en
partie la politique du "franc fort" de son ami Bérégovoy. Les comptes du
Crédit Lyonnais s'effondrent. La droite revient au pouvoir, et chasse Haberer.
Peyrelevade entreprend une politique de liquidation des actifs qu'Haberer juge
sévèrement. Les pertes du Crédit Lyonnais en sont accrues. Les médias transforment
Haberer en bouc émissaire.
Il y a sans doute au moins une part de vérité dans ce
récit. Certains passages sont éclairants, notamment les comptes rendus de ses
conversations avec Bérégovoy, Alphandéry, Debré etc. On s'y croirait... et on y croit.
On se demande toutefois si, malgré sa finesse, son
expérience, son goût du travail méthodique et bien fait, Haberer n'aurait pas
manqué de flair stratégique. Napoléon disait "j'aime les généraux qui ont de
la chance". Haberer n'a pas eu de chance. Toute la question, c'est de savoir s'il
était possible de créer la chance dans la situation où il se trouvait.
J'ai tout de même sauté en l'air lorsque j'ai lu les
passages où il décrit sa lutte pour obtenir un tableau de bord (cf. les citations). "J'aurais dû agir avec la violence de
l'instinct de survie", dit-il. Certes ! un président doit refuser de conduire
"en regardant dans le rétroviseur", quelles que soient les pressions qu'il
subit de la part des managers ; il doit savoir mettre sa démission dans la balance,
dût-il passer pour un caractériel. Si l'on veut chercher la faille dans le plaidoyer
d'Haberer, c'est là qu'elle se trouve.
Mais à ce compte, combien de dirigeants sont bons
conducteurs ? La question des tableaux de bord est des plus complexe, cf. texte sur le système de pilotage de l'entreprise.
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