Commentaire sur :
Jean-Marc Jancovici, L'avenir climatique,
Seuil, 2002
2 avril 2002
C'est un livre sans prétention, raisonnablement
complet, courageux, rigoureux. Jean-Marc Jancovici m'avait communiqué
quelques "bonnes feuilles" avant la publication. J'aurais dû
l'inciter davantage à corriger son français, même si la maladresse de la
forme ne gêne pas la
lecture et fait parfois un plaisant contraste avec la rigueur du fond.
Jancovici est modeste. Je ne suis pas un scientifique ni un expert, dit-il ; je ne suis
qu'un ingénieur dont le métier est de tirer parti de la science
existante et qui laisse à d'autres le soin de la faire progresser. Cette
attitude n'est pas de mise dans une époque où tant de gens font semblant de
comprendre ce qu'ils ignorent (Jacques Bouveresse dit que c'est le cas de la plupart des
philosophes qui citent la relation d'incertitude de Heisenberg ou le théorème
de Gödel), où la prétention est très rentable sur les plans politique et
médiatique. Cette attitude est toutefois intellectuellement féconde : l'ingénieur soumet les résultats de la science à une épreuve de cohérence à laquelle les
spécialistes
n'auraient peut-être pas songé, et il en tire des conclusions pratiques qui ne
leur seraient sans doute pas venues à l'esprit.
- Cette approche permet à Jancovici de
présenter la synthèse d'une immense diversité de travaux. Il sait
élaguer sans déformer, ce qui lui permet d'être complet sans lourdeur. Fidèle à l'adage
selon lequel "la physique, c'est la science
de l'approximation", il n'hésite pas à calculer des ordres de
grandeur et à tirer les conséquences qualitatives du calcul. Cet effort est méritoire
: son texte étant facile à lire, ceux qui manquent d'expérience croiront qu'il a été
facile à écrire. La rigueur, ici, réside discrètement dans les choix qu'il a
fallu faire pour être simple.
- *
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- Au XVIIIème siècle, l'humanité a commencé à
produire de l'énergie en utilisant des carburants fossiles. Cela a facilité la
motorisation qui a elle-même permis l'accroissement de la richesse. Mais cela a par ailleurs changé la composition de l'atmosphère. L'augmentation de la proportion de gaz
carbonique, en particulier, accroît l'effet de serre et suscite donc un lent
réchauffement. Certes aujourd'hui la température n'excède pas encore de façon significative l'ampleur des
fluctuations historiques, mais il est très probable que le mécanisme
du réchauffement est déjà enclenché. La compilation des modèles de
simulation indique la fourchette de l'évolution future ; aucun d'eux ne
permet d'anticiper un refroidissement.
Le raisonnement est probabiliste. Ceux qui n'ont pas
l'habitude de la statistique disent qu'un raisonnement probabiliste ne prouve rien.
Pourtant quand un médecin
leur dit "si vous ne changez
pas votre mode de vie, la probabilité que vous mourriez d'un accident
cardio-vasculaire dans les dix prochaines années est de 70 %", cela les
décide à faire plus d'exercice et à s'alimenter autrement. Jancovici est comme un médecin de la
planète qui dirait
: "si nous ne changeons pas notre mode de vie, la probabilité d'une
évolution climatique catastrophique dans les décennies à venir est de 99
%". Qui osera négliger un tel signal ?
Voici les conséquences probables de la hausse
prévisible de la température : augmentation de la sécheresse des zones
désertiques et de la fréquence des ouragans et tempêtes ; changement des
courants océaniques, perturbant la vie marine et la
répartition du climat ; hausse du niveau des océans, inondation des régions
côtières ; déplacement des zones fertiles (d'où risques de guerre) ; enfin,
passé un seuil critique, l'émission dans l'atmosphère du méthane retenu par le
permafrost ou par les fonds sous-marins rendrait l'effet de serre
irréversible quelles que soient les décisions humaines. La terre
irait alors vers un point d'équilibre tout différent : ce ne serait sans doute
pas le même que celui de Vénus, avec ses 450°C au sol et ses pluies d'acide
sulfurique, mais cela transformerait peut-être assez notre planète pour
la rendre inhabitable.
Nous soupçonnions qu'en rejetant ses déchets
dans l'air, l'eau et le sol, l'humanité modifiait les conditions de vie des
générations futures ; le diagnostic est désormais assez précis pour que l'on
puisse établir
une prescription. Si l'on veut stabiliser la concentration du gaz carbonique
dans l'atmosphère (objectif modeste, car il vaudrait mieux la diminuer), il faudra limiter les émissions annuelles à 50 % du niveau
atteint en 1990. Pour une population de 6 milliards d'individus cela représenterait
500 kg d'équivalent carbone par personne*an, soit (en retenant les données de
1998) 10 % des émissions d'un Américain, 25 % des émissions d'un Français, 80
% des émissions d'un Chinois, etc. (pp. 186-188).
L'"American way of life", qui implique
une forte consommation d'énergie, ne pourra donc pas se généraliser au monde
entier : le mode de vie des pays riches est non un exemple à imiter, mais une anomalie
historique et biologique dont la persévérance, la généralisation
risqueraient d'être mortelles pour notre espèce. La sobriété, qui relevait
auparavant d'un choix esthétique, moral ou intellectuel, devient alors une
obligation.
Pour répondre au risque climatique il faut d'une
part réduire la consommation d'énergie, d'autre part réviser les procédés
techniques de sa production. L'utilisation des combustibles fossiles est à
proscrire ; l'énergie hydraulique et le vent offrent des ressources limitées ;
la solution pourrait résider dans l'utilisation conjointe de l'énergie solaire
et du nucléaire.
Le nucléaire à la rescousse de
l'écologie (p. 230) ! Il faut du courage pour énoncer une prescription qui
va choquer beaucoup de monde. Jancovici est un
écologiste, pas un politicien. Il ne se soucie pas de l'image qu'il donne.
Ayant mis le doigt sur un
problème qu'il juge capital, il l'appuie. Il n'a rien à voir avec les Verts pour qui la peur du
nucléaire est un levier électoral. Certains d'entre eux ne le lui pardonneront
pas.
Il termine pourtant par une recommandation
politique (p. 275) : celle d'un référendum européen, seul moyen de susciter
un débat à la hauteur de l'enjeu, puis de réduire les émissions mondiales de
façon significative, enfin d'indiquer la voie au reste du monde. Cette
proposition surprend au premier abord mais plus on y réfléchit, plus on la trouve
raisonnable. L'ingénieur a ici terminé son travail. Au politique de
prendre le relais.
Voir aussi "Le
coeur théologal"
Nota Bene : Jean-Marc Jancovici est président de
l'association X-Environnement (http://www.x-environnement.org/
) ; voir aussi son site personnel www.manicore.com
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