Commentaire sur :
Dominique Lorentz, Affaires
atomiques, Les Arènes 2001
15 juin 2001
Dominique Lorentz s'est ici attaquée à fond à un compartiment secret de la
géopolitique déjà entrevu dans Une
guerre : la façon dont les compétences
en technologie nucléaire se sont disséminées dans le monde. Elle a dépouillé
la documentation, réfléchi, recoupé ses informations. Cela lui a permis de
comprendre beaucoup de choses. Elle les présente dans un style clair et soutenu
(les imparfaits du subjonctif défilent, sous le bicorne de l'accent
circonflexe). Son texte rayonne de sérieux. On se dit "Je
n'aurais ni su, ni pu mieux faire", et on se sent en confiance.
Elle enrage (même si c'est en termes mesurés)
contre ceux qui, pour des raisons plus ou moins nobles, ont déguisé la
vérité, la vérité pure, simple et effarante. Mensonge grandiose des
mémoires de De Gaulle, fausse clarté mensongère du témoignage d'Attali,
superficialité menteuse de journalistes plus ou moins complices. Elle montre le mensonge du doigt et en explique le mécanisme
: "Voici
pourquoi, et comment, celui-ci a menti".
Au centre des affaires atomiques, les États-Unis.
Officiellement, ils sont opposés à la dissémination de "la bombe", mais ils ont
intérêt à l'organiser. Supposons en effet que l'Union Soviétique veuille conquérir
l'Europe. La stopper par une attaque nucléaire américaine, ce serait s'exposer à
une riposte touchant le territoire américain. Si par contre les nations
européennes ont la bombe elles peuvent se protéger sans que les États-Unis
ne se trouvent en première ligne.
Toutefois la législation américaine interdit
l'exportation du savoir-faire nucléaire. Alors la dissémination transitera par
d'autres et d'abord par Israël : plusieurs experts nucléaires américains étant
juifs, il est possible de faire d'Israël un pôle de dissémination du savoir
atomique. C'est, à l'inverse de ce que l'on nous a inculqué, Israël qui dans les
années 50 a enseigné les technologies de l'atome à la France. En échange, la
France a apporté à Israël la puissance industrielle sans laquelle il n'aurait
pas pu utiliser ces technologies. Après son initiation, la France a pu jouer
elle aussi le rôle d'un relais de transmission, puis il a été joué par d'autres :
Allemagne, Argentine, Brésil etc.
Tous les pays qui bordent l'Union Soviétique
(Chine, Iran etc.) seront ainsi aidés par les États-Unis par le truchement de
relais divers. Des pays pétroliers, qui certes n'ont pas besoin de l'atome pour
se procurer de l'énergie, s'équiperont de centrales "civiles" (mais si on les
complète par des usines de production de plutonium on peut faire la bombe A,
et on peut faire la bombe H avec une usine de production d'uranium enrichi).
Tout le monde a voulu faire la bombe ! Aujourd'hui
44 pays en disposent. Tout s'est passé en secret, sous le paravent fallacieux de
la non dissémination et de l'exportation à des fins "purement civiles". Un de ces jours,
bien sûr, ça va péter quelque part.
Les préoccupations nucléaires ont conditionné
les alliances géopolitiques. Elles expliquent des retournements qui seraient autrement
incompréhensibles (pourquoi l'Égypte a fait la paix avec Israël, pourquoi les
États-Unis ont fait ami-ami avec la Chine etc.). Elles expliquent le
terrorisme d'État : l'Iran de Khomeiny, pour
obtenir le respect des engagements pris par la France avec l'Iran du chah, a
recouru aux prises d'otages, meurtres et attentats. Autant de
messages qui ont été fort bien entendus et décodés.
Je ne sais pas si ce livre sera traduit en anglais,
mais il faudrait qu'il le fût (encore un imparfait du subjonctif !), cela susciterait des
débats intéressants au Congrès. Une discussion sur la participation de la
France à la dissémination nucléaire serait également utile.
Il faut bien sûr distinguer deux débats : celui
sur la dissémination de la bombe atomique, celui sur les
avantages et inconvénients écologiques de l'énergie nucléaire comparée à
d'autres énergies. Dominique Lorentz montre en tout cas
que la
destination "civile" du nucléaire a souvent servi de paravent à des
intentions militaires.
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