Commentaire sur :
Dominique Lorentz, Une guerre, Les Arènes 1997
30 juin 2001
Il existe parmi les livres une catégorie peu nombreuse que
j'appelle "les livres sincères" : la sobriété, la pudeur de l’écriture n'y font
que mieux ressortir la violence de l’expérience dont il est rendu compte. J’y
range Mars de Fritz Zorn et La Matrice de T. E. Lawrence. Une
guerre appartient à cette rare catégorie. Ce livre décrit toutefois non
une expérience personnelle comme la maladie ou de la dépression, mais le
cheminement d'une enquête.
Dominique Lorentz est en 1995 une pigiste qui a du mal
à caser ses papiers. Quelqu'un, un jour, lui propose d’enquêter sur la mort
de Michel Baroin, président de la GMF et de la FNAC, survenue en 1987 dans un
accident d'avion.
L'enquête démarre lentement. D. Lorentz se sent manipulée mais
ne comprend ni pourquoi, ni comment. Ses premières convictions se forgent : il
s'agit d'un meurtre annoncé par d'autres attentats ; il s'agit de terrorisme
international. Naturellement prudente, elle le devient davantage. Les services
de renseignement la prennent pour une espionne.
Elle utilise "la méthode du KGB" qui consiste, pour comprendre
ce qui se passe dans les pays occidentaux, à lire méthodiquement la presse. Elle
découvre alors, non sans effroi, un enjeu géopolitique jusqu’alors connu des
seuls gouvernants.
Elle sait lire, recouper l'information, interpréter. Elle
détecte et dénonce les mensonges. Elle décode le langage d'hommes engagés
dans une lutte mortelle. Elle raconte avec de courtes phrases précises. Sa
peur, son émotion s'expriment par des notations si discrètes qu'on pourrait glisser dessus sans les percevoir. Certaines citations sèches, non commentées,
révèlent un gouffre à qui les soupèse. J’ai lu le livre deux fois : la première
très vite, la deuxième crayon à la main et en pesant chaque mot. Alors j’ai pu
savourer l’efficacité allusive des phrases simples.
A la fin du livre elle déjeune avec quelqu’un dont le rôle est
"de garantir la stabilité du Gabon et de maintenir Bongo en place". Les deux
dernières phrases du livre m’ont coupé le souffle :
Quand nous nous levons, il me glisse, avec un sourire d’excuse : "Baroin, il n’avait qu’à rester à la GMF." Je ne
réponds pas.
Bien des puissances se sont liguées pour empêcher la
publication de ce chef d'œuvre. Pour y parvenir, Laurent
Beccaria a dû quitter Stock et créer une maison d'édition. Depuis, D.
Lorentz a publié Affaires atomiques. On
souhaite que cet auteur courageux, cet écrivain exemplaire, puisse poursuivre
ses enquêtes jusqu’au bout.