Ce petit livre est une somme.
J'admire l'élégance, la clarté de l'écriture ainsi que l'ampleur des sujets
évoqués. Tout y est : la croissance bien sûr, l’emploi, la mondialisation, les
« nouvelles technologies », l’organisation des entreprises, la compétitivité et
la spécialisation des nations, l’économie de l’information etc.
J'observe cependant une lacune
qui me trouble. Si les phénomènes de l’économie contemporaine sont décrits,
l’explication qui les relie fait défaut. C'est me semble-t-il comme si pour
décrire une machine à vapeur on parlait de pistons et de bielles, de pression et
de régulateur, mais non du foyer qui fournit l'énergie. Ou encore, c'est comme
si l'on évoquait le changement climatique sans parler de l'effet de serre.
Or cette explication, Pascal
Petit la connaît : la « fonction de production à coût fixe » avait servi de
pivot à un groupe de travail du Plan auquel nous avons participé tous deux et
dont les résultats ont été publiés dans
e-conomie.
L’idée sous-jacente est que le
coût de production d’un produit réside tout entier dans son coût de conception,
autrement dit que le coût marginal est nul ou négligeable : cette hypothèse
attribue une portée générale au rendement d'échelle croissant que l’on constate
dans la production des circuits intégrés et, plus encore, des logiciels. Le
travail n'intervient plus comme un flux mais comme un stock - c'est-à-dire comme un
capital. Le marché s'équilibre sous le régime de la concurrence monopoliste.
Il en résulte de profonds changements dans le fonctionnement de l'économie.
L'hypothèse mérite certes d'être
nuancée et complétée, par exemple pour traiter le dimensionnement des réseaux ou
rendre compte du rendement décroissant qui s'impose au plan
macroéconomique. Mais aucune expérience ne l'a me semble-t-il jusqu'ici
fondamentalement invalidée et elle permet d'expliquer (les économistes
disent « endogénéiser ») nombre des phénomènes qu’évoque Pascal Petit
(concurrence monopoliste, diversification des produits, déséquilibre du marché
du travail, montée des services, mondialisation, retour en force de la prédation
etc.). Elle permet aussi de substituer à des expressions trop vagues comme
« économie de l'information » ou « économie du savoir » une autre, que je crois
plus exacte, qui serait « économie de la conception » ou si l'on veut « économie
du design ».
J'ai bien aimé l’approche des
institutions dans le chapitre VI, intitulé « Un capitalisme social mondial
est-il possible ? ». Ce que Pascal Petit appelle « institution », c'est un
ensemble de règles, d'habitudes, de structures de décision organisées autour des
pôles de légitimité. Les institutions relèvent d'une autre logique que celle,
physique, de la fonction de production, mais c'est par les institutions que doit
passer l'adaptation à un nouveau système technique. Pascal Petit montre la
nécessité et la difficulté de cette adaptation.
Mais n'aurait-il pas été opportun,
puisqu'il faut mobiliser les volontés pour changer des règles et des habitudes,
de regrouper un ensemble complexe de phénomènes autour d'une explication
centrale relativement simple, fût-ce en la précisant, comme celle que fournit
l’hypothèse du « coût fixe » ? |