Commentaire sur :
Claude Rochet "Gouverner par le bien commun" François-Xavier de
Guilbert 2001
2 avril 2002
Claude Rochet s'adresse à ceux qui cherchent à trouver des repères dans la
confusion des idées, tout particulièrement aux
Français : quelle est notre place dans le monde, dans l'Europe ? que
voulons-nous être ? Il dit sa colère, les valeurs qu'il respecte, les
attitudes qui lui répugnent. Ceux qui n'admettent que les discours politiquement corrects
le diront "facho". Rochet ne se soucie pas de ce que l'on pense de
lui. Il aime Nietzsche, il respecte Jean-Paul II, il n'aime pas le
communautarisme, il respecte la "loi naturelle". On aurait pourtant
tort de le classer "à droite".
Parmi ses valeurs, on trouve Popper,
Bachelard, Nietzsche, les droits de l'homme ; parmi ses exécrations,
Alain Minc, Bernard-Henri Lévy, Jean Monnet, Hegel,
Madelin, les frères Cohn-Bendit, la
bureaucratie européenne, le "droit-de-l'hommisme". Rochet
considère Hegel comme un menteur : il peut se prévaloir, outre l'opinion de
Popper, de celle de Kierkegaard et de Schopenhauer.
Son écriture constamment
tendue,
émaillée d'imprécations et de solécismes fatigants, masque la qualité
du
raisonnement. Celui qui est "pour les droits de l'homme, contre le droit-de-l'hommisme"
est quelqu'un qui sait distinguer contenant et contenu, fond et forme, mot et chose.
Il faut l'écouter attentivement pour discerner ce qu'il veut dire. De
même, quand Rochet invective l'Europe, il faut comprendre qu'il parle de
l'Europe administrative, technocratique, non de l'Europe historique et
culturelle.
Ce qui fait enrager Rochet, c'est l'exigence de
"liberté" lorsqu'elle est poussée jusqu'à l'irresponsabilité. Il cite ainsi des
rapports d'inspecteurs généraux de l'Éducation nationale, grands donneurs de
leçons qui invitent les "enseignants" à se transformer en
"animateurs", comme s'il n'y avait plus de connaissance à
transmettre, comme si l'adulte n'avait rien à apprendre à l'adolescent. Rochet
parle avec justesse (mais un peu longuement) de notre attitude envers
l'automobile. Il met ainsi le doigt sur notre problème métaphysique : lorsque
l'on accorde à l'imagination la même autorité qu'à l'expérience, tout
repère disparaît, toute norme s'efface ; on est dans un monde de dessin animé
où les lois de la physique ne jouent plus. Privée de repères, incapable de
tolérer le moindre obstacle ("Je suis contre toute forme de censure",
dit Jack Lang), la liberté tourne à vide et ne peut plus rien produire, car
l'action suppose de prendre appui sur ce qui résiste.
La colère ne
se soucie pas de cohérence. Ainsi Rochet se réfère à la fois à Popper,
maître de la pensée inductive, et à la "loi naturelle" des
théologiens (cf. Message et superstition).
Selon Popper toute théorie doit, pour être scientifique, se présenter de
sorte qu'elle soit "falsifiable", c'est-à-dire que l'on puisse la
soumettre à la réfutation par l'expérience. Or ce n'est pas le cas de la
"loi naturelle". L'encyclique "Humanae Vitae" s'appuie sur
la loi naturelle pour interdire la contraception artificielle, mais ne dit pas
pourquoi cette interdiction ne s'étend pas aux médicaments qui sont eux
aussi artificiels.
Rochet critique à la fois le communautarisme,
qui prétend ériger en norme le cloisonnement du droit selon les
caractéristiques individuelles que sont le sexe, la culture, la préférence
sexuelle etc. ; et l'universalisme, qui prétend fondre dans
une même indistinction les cultures et expériences historiques de toutes les
nations. Ce raisonnement se fonde lui aussi sur le refus d'une abstraction
capricieuse, d'une imagination qui se libérerait de toute expérience. Mais on
peut lui objecter qu'il existe une autre conception de l'universalisme, fondée
sur l'universalité de l'humanité parmi les êtres humains - phrase qui, au
delà d'une apparente tautologie, invite à méditer une solidarité de destin.
Cette conception, partant d'une mise entre parenthèses de l'individualité,
aboutit à sa revalorisation : les potentialités de la nature humaine ne peuvent
en effet être explorées que de façon individuelle.
J'ai été horrifié en entendant Alain Minc dire
que la France était "un canton à l'échelle du monde". Nous savons
ce qu'est un canton, et bien sûr la France ne se résume pas à un canton. Si
elle n'avait pas une riche personnalité, elle n'irriterait pas autant les
tenants de la mondialisation, pour lesquels notre République est un obstacle
gênant. Cette République, les "petits marquis" dont Alain Minc fait
partie s'efforcent de la soumettre. L'Europe, à supposer qu'elle ne soit pas un
être purement administratif, pourrait nous libérer de cette bande. Le
fera-t-elle ? Tout le monde a accueilli l'euro avec curiosité et sympathie,
mais cette sympathie ne durera pas s'il s'avère que l'euro est incontrôlable,
géré par des irresponsables qui méprisent les exigences de la
politique économique et de la politique tout court.
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