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Commentaire sur : André Schiffrin, Allers-Retours, Liana Levi 2007

28 mai 2007

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Pour lire un peu plus :

- L'édition sans éditeur

Lisant les lettres adressées à André Gide par son père, André Schiffrin a compris combien celui-ci avait souffert de son exil aux Etats-Unis, de sa nostalgie de la France, de la précarité de sa situation économique et de sa santé. Ses parents lui avaient caché les difficultés qu'ils rencontraient, et il avait été un adolescent américain insouciant.

Il s’interroge : n’est-il pas passé à côté de beaucoup d’autres réalités, n’a-t-il pas cultivé de nombreuses illusions ? Pour tirer cela au clair, il passe sa vie en revue. Il en résulte un témoignage finement pensé, rédigé avec simplicité et qui apportera beaucoup au lecteur attentif.

Schiffrin est un social-démocrate américain, espèce rare. Il a vu les dégâts causés par le maccarthysme et, plus récemment, par George W. Bush ; il a vu aussi les hésitations et perplexités de la pensée « de gauche ».

Ayant étudié à Yale et Cambridge (Angleterre), il a pu comparer l’usine à étudiants américaine et la formation d’une élite intellectuelle en Grande-Bretagne. Amoureux de Paris, où il réside la moitié de l’année, il sait apprécier le charme qu'a en France la vie quotidienne.  

*     *

Éditeur aux Etats-Unis, Schiffrin a subi l’absorption de sa maison d’édition par un grand groupe financier (voir L’édition sans éditeur). Il décrit le schéma implacable auquel obéit ce type de prédation (p. 236).

Supposons que vous déteniez un important capital financier à faire fructifier. Les maisons d’édition sont parfois mises en vente, par exemple lorsque le fondateur prend sa retraite. Achetez-en une, vous ne le regretterez pas : c’est juteux.

Avant que vous ne l’achetiez, elle dégage une petite marge de 3 à 4 %. Son équipe éditoriale sait sélectionner de bons textes, mais comme le succès d’un livre est chose imprévisible et capricieuse seuls quelques titres connaîtront de fortes ventes : elles équilibreront la perte sur les autres titres.

Cependant cette maison d'édition détient un portefeuille de titres déjà publiés dont certains, ayant eu du succès, pourront permettre des rééditions rentables. En outre son nom est connu et son rayonnement attire des lecteurs et des auteurs fidèles : parmi ces derniers, certains ont la notoriété qui est un gage de succès.

Vous l’achetez donc, puis sous prétexte de rationalisation vous exigez que la marge atteigne 15 à 20 %. Cela contraint la direction à rogner sur les coûts, et donc finalement à supprimer l’équipe éditoriale, car elle coûte cher. Cela diminue les dépenses alors que la vente continue sur sa lancée : d’où une réjouissante et immédiate montée du profit.

L’entreprise n’est plus à la recherche de bons textes, mais de « gros coups » s'appuyant sur des textes éventuellement idiots du type Da Vinci Code. S’écartant de l’exigence de qualité qui l’avait guidée auparavant, elle perdra progressivement la confiance de ses lecteurs et de ses auteurs et, finalement, elle disparaîtra.

Mais cela prend du temps, alors qu’importe ! Avant de mourir elle aura dégagé assez de profit pour rémunérer les fonds qui ont été avancés pour l’acheter. Vous serez libre, ayant récupéré largement votre mise, de diriger votre regard vers une autre maison d’édition ; vous pourrez la détruire elle aussi, après en avoir extrait tout le profit possible.

Modèle

Supposez que le chiffre d’affaires soit une fonction retardée du coût de l'équipe éditoriale (qui, en fait, constitue un investissement puisqu’il permet d’accumuler un stock). Alors en diminuant ou supprimant ce coût on peut augmenter immédiatement le profit, la conséquence étant que l'on compromet le chiffre d’affaires futur.

Nous allons schématiser cela dans un modèle très simple, sans nous encombrer du calcul actualisé. Supposons que le chiffre d’affaires annuel d’un éditeur soit :

Yt = 0,21*Σi [t – 5, t – 1] Ci,

où Ci est le coût de fonctionnement de l'année i, entièrement consacré à l’équipe éditoriale, constant et égal à 1.

Si l’éditeur est créé l’année 0 il dégagera son premier profit l’année 5. Il aura dû avancer la perte cumulée des quatre premières années, soit 2,9. Puis le profit annuel devient constant et égal à 5 % du coût de fonctionnement.

Supposons qu’un financier achète cet éditeur l’année 11. Il supprime l’équipe éditoriale, ce qui annule le coût de fonctionnement. Le profit devient alors égal à 1,05. Il décroît les années suivantes, car la ressource éditoriale n’est pas renouvelée, et s’annule l’année 16. Le financier aura encaissé 3,15 de profit cumulé avant que l’éditeur ne meure.