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Qualité de service : le cas du transport aérien

20 septembre 2005


Pour lire un peu plus :

-
Pour une économie de la qualité
- Économie du transport aérien

Des avions de ligne s’écrasent en série. Faut-il avoir peur de prendre l’avion ? Oui et non.

Non, parce que cette abondance d’accidents résulte, pour partie, d’un effet d’optique statistique. Le nombre des accidents est donné par la relation suivante :

Nombre des accidents = nombre des vols * probabilité qu’un vol connaisse un accident.

Les avions étant de plus en plus sûrs, la probabilité pour qu’un avion moderne connaisse un accident diminue continuellement. Mais le nombre des vols croît plus vite que le gain en sécurité : il en résultera un accroissement du nombre des accidents. Pourtant quand vous prenez l’avion c’est la sécurité de votre vol qui compte et elle est plus élevée aujourd’hui qu’à l’époque du Constellation ou de la Caravelle. Mais il y avait alors moins de vols, donc moins d’accidents.

Il est vrai qu’un accident d’avion de ligne est un événement horrible. Les personnes que l’on charge de déblayer les débris sont choisies parmi les plus solides, elles en reviennent pourtant démolies : il est impossible de rester de sang froid quand on ramasse les restes éparpillés de plusieurs corps humains.

L’accident est par ailleurs « spectaculaire », selon le vocabulaire indécent des médias. On nous montre des débris fumants. Les politiques « rendent hommage aux victimes » avec une mine de circonstance. Psychologues et religieux s’empressent auprès des familles. Des questions s’enchaînent selon un ordre rituel (va-t-on retrouver les boîtes noires ? vont-elles parler ? saura-t-on interpréter ce qu’elles disent ? comment départager les interprétations divergentes ?). On reconstitue le vol, la trajectoire. Tout cela remplit la boite à images ; image après image la peur s’installe.

Pour retrouver le sens des proportions, allons aux statistiques. En France, en 2004, les accidents aériens (avions, hélicoptères, ULM etc.) ont fait 90 morts (source : BEA), dont 74 du fait de l'aviation générale (aéroclubs notamment), 11 du travail aérien et 5 du transport public ; cependant les accidents de la route ont fait 5 753 morts (source : Sécurité Routière). Mais un accident de voiture est moins « spectaculaire » qu’un accident d’avion de ligne et ce dernier semble relever de la fatalité alors qu’en voiture on a l’impression (ou l’illusion) de jouir de son libre arbitre et de pouvoir, étant bon conducteur, échapper à la fatalité par une manœuvre habile.

Précisons encore cela par un petit calcul. En France, le transport aérien public a fait 141 morts de 2000 à 2004 (dont 114 pour le seul accident du Concorde le 25 juillet 2000). Pendant la même durée, la route a fait 35 705 morts, dont 22 824 pour la seule voiture. La moyenne annuelle a été de 28 morts pour le transport aérien, de 4 564 morts pour la voiture. Supposons qu'une même personne utilise sa voiture une fois par jour en moyenne et qu'elle prenne l'avion quatre fois par an (c'est l'hypothèse cruciale pour notre calcul : je l'ai soumise à plusieurs personnes qui ont trouvé ces proportions raisonnables). L'évaluation du rapport des risques montre alors que quand on monte en voiture le risque d'être tué est deux fois plus élevé que quand on monte dans un avion de ligne. Si l'on rapporte le risque non à la fréquentation du moyen de transport mais au nombre de kilomètres parcourus, le rapport doit être multiplié par un nombre compris entre dix et cent.

Cependant si l’évolution actuelle se poursuit l’avion aura de plus en plus la réputation d’être dangereux alors même qu’il est de plus en plus sûr. La solution serait, bien sûr, de présenter les risques de façon équitable. Pour un accident d’avion que l’on détaille, il faudrait relater les circonstances, les conséquences, d’une centaine d’accidents de voiture. Cela inciterait à brider la vitesse, cause principale de ces accidents : on sauverait ainsi plus de vies qu’on ne le fait en améliorant la sécurité du transport aérien. Il serait utile aussi de faire bien percevoir les 60 000 morts que le tabac cause chaque année en France.

La voiture tue en France 200 fois plus que le transport aérien public, le tabac 2000 fois plus. Ces proportions sont mal retranscrites par des médias qui, cultivant l'émotion facile, nous détournent de l'effort le plus efficace.

* *

Et pourtant, oui, on doit faire attention quand on prend l’avion. La description ci-dessus n’est vraie que si l’on considère les compagnies sérieuses, celles dont le souci de sécurité n’a pas été érodé par la recherche du profit sous la pression de la concurrence. Un avion de ligne n’est pas une machine banale. C’est un appareil complexe qui exige une maintenance coûteuse. Les pilotes sont des professionnels hautement qualifiés qui, leur carrière durant, sont astreints à des formations complémentaires et à des contrôles. Le personnel navigant commercial (hôtesses, stewards) reçoit, lui aussi, une formation poussée. Tout cela coûte très cher : c’est le prix à payer pour la sécurité.

Malgré tous ces soins, un avion s’use. Les chocs subis lors des atterrissages, les changements de température entre le sol et le vol, les changements de pression entre la cabine et l’extérieur, l'oscillation des ailes pendant le vol, font jouer les organes et fatiguent le métal. Le sel des embruns marins active la corrosion. Un avion qui a dépassé l’âge de vingt ans peut certes encore voler mais il est plus fragile qu'un autre.

Les compagnies sérieuses se débarrassent de leurs vieux avions sur un marché d’occasion où ils seront achetés par des entreprises moins exigeantes. Ces avions auraient besoin d’une maintenance encore plus soigneuse, mais le nouveau propriétaire ne sera pas toujours assez bien organisé, ou assez riche, pour la réaliser. Il sera pour les mêmes raisons moins exigeant sur la qualité des pilotes. Tel est commandant de bord, qui ne serait pas copilote dans une compagnie sérieuse.

L'organisation mondiale de la sécurité aérienne charge chaque État de faire respecter ses règles par les compagnies qui portent son pavillon. Elle veut croire que les États s'acquittent tous convenablement de cette responsabilité mais il existe, bien sûr, de fortes différences.

A cela s’ajoute la question des pièces détachées. Lorsque vous faites réparer votre voiture, il existe un risque que la pièce détachée, d’emballage et d’apparence conformes, soit une pièce fausse qui, fabriquée au rabais, n’aura pas les propriétés mécaniques de la pièce authentique. La production et le commerce des fausses pièces sont tenus en main par une mafia. Un garagiste peut y être trompé et monter une fausse pièce en toute bonne foi. Il arrive ainsi qu'un automobiliste soit, lors d'un accident, décapité par un capot qui ne s'est pas plié sous le choc comme l'aurait fait la pièce d'origine.

Les avions connaissent le même problème. Beaucoup de pièces détachées sont fausses et il est très difficile de les détecter, même pour une compagnie sérieuse. La mafia ne pouvant pas travailler aussi bien que les bureaux d’étude et les ateliers des constructeurs, une fausse pièce constitue toujours un danger. Les fausses pièces sont d’autant plus nombreuses que l’avion sera passé plus souvent par la maintenance, et donc qu’il est plus vieux.

*  *

On a voulu faire du transport aérien un produit banal à bas prix alors qu’il exige une prouesse technique sans cesse renouvelée. On a instauré entre les compagnies une concurrence par les prix forcenée, génératrice de tentations. On a voulu croire, avec complaisance, qu'elles respectaient toutes les règles de sécurité. On a fait vivre ainsi les passagers dans un monde de fiction où l'avion est aussi banal que l'autobus.

Celui à qui l'on attribue la paternité de la dérégulation du transport aérien aux Etats-Unis a dit « I really don't know a plane from the other. To me they are just marginal costs with wings1 ». Cet imbécile, tout fier de parler le jargon des économistes, se détournait de la physique de l'entreprise, socle nécessaire à tout raisonnement économique judicieux.

Il ne faut pas prendre un billet d'avion auprès de n'importe quelle compagnie : mieux vaut se limiter aux compagnies sérieuses. Il faut être attentif à l'âge et à l'état général des avions. Dans le transport aérien comme ailleurs, le choix doit être guidé par le rapport qualité/prix et non par le prix seul.


1 Mary Schiavo, Flying Blind, Flying Safe, Avon Books 1997, p. 237