Les dirigeants, les directeurs
financiers s’inquiètent de la baisse du dollar. « Nos entreprises deviennent
moins compétitives par rapport aux entreprises américaines ; nous perdons des
parts de marché, l’activité et l’emploi en souffrent ». Des communiqués de
conseil d’administration ou d’assemblée générale font état de la perte de
chiffre d’affaires et de résultat provoquée par la fluctuation du change ; le
président d’une grande entreprise aéronautique envisage de délocaliser ses
unités de production si l’euro reste longtemps encore au-dessus de 1,20 dollar.
Tout se passe comme si les
directions générales, voire les directions financières, ignoraient l’existence
des outils de couverture de change : elles ne semblent comprendre ni leur
utilité, ni leur mode de fonctionnement.
Comment cela
fonctionne-t-il ?
La « couverture » est un
service vendu par les banques à un prix qui varie, selon la méthode utilisée, de
pratiquement zéro (change à terme) à 5 % (option de change). « Se couvrir »
efface l’effet des fluctuations du change sur les prix : le prix en dollars ne
sera pas accru si le cours du dollar exprimé en euros baisse et l’entreprise
percevra, en contrepartie de la vente, autant d’euros qu’auparavant.
Supposons qu’une entreprise
couvre aujourd’hui, via une vente à terme, un règlement en dollars qu’elle
recevra à la date D. Tout se passe alors comme si la banque empruntait
aujourd’hui ce montant en dollar et le vendait contre euro au cours de change du
moment ; puis elle placerait l'euro sur le marché monétaire tout en payant
corrélativement l'intérêt sur l’emprunt en dollar : cette opération lui
coûterait (ou lui rapporterait) un différentiel de taux. Ensuite, à la date D,
elle livrerait l'euro pour rembourser l’emprunt en dollar, l'opération lui
rapportant une petite rémunération correspondant à la marge (de l’ordre de 1
pour 10 000) prise sur la vente initiale de dollar et sur la fixation des taux
d’intérêt.
Ce schéma théorique est
remplacé en pratique par le marché interbancaire du change à terme où cambistes
et entreprises échangent des cours à terme (cours au comptant + écart de taux
d'intérêt) via des opérations hors bilan. En général les entreprises conservent
leur couverture jusqu'au terme (à la réception des devises), tandis que les
banques se retournent immédiatement sur le marché avec si possible un léger
bénéfice égal à la marge évoquée ci-dessus.
Tout cela est très simple pour
le professionnel qui le pratique chaque jour, mais reste bien sûr quelque peu
opaque pour ceux qui n’en ont pas l’habitude. La conclusion est cependant
limpide : l’entreprise peut établir, grâce à la couverture, une cloison étanche
entre ses comptes et les fluctuations du change.
L’ignorance
Cependant, et d’une façon
surprenante, certaines entreprises industrielles hésitent à se couvrir, ou ne se
couvrent qu’à court terme (6 mois, un an) alors que les fluctuations du change
portent plutôt sur le long terme (5 ans). Pourquoi cette hésitation ? Parce que,
disent-elles, « se couvrir, ce serait spéculer ».
Dans l’AGEFI du 2 décembre
2003 M. Yann Delabrière, directeur financier de PSA, a ainsi déclaré qu’il
préférait « ne pas couvrir à l’avance des opérations futures, car cela
correspondrait à une politique de spéculation risquée ». Cette phrase
consternante exprime la conviction de nombre de directeurs financiers des
grands groupes français.
Elle est à l’exact opposé de la
vérité : se couvrir, c’est en réalité réduire l’effet des fluctuations du change
sur les comptes, et donc se protéger contre une évolution défavorable sans pour autant
se priver (moyennant les options de change) des plus-values que procurerait une
évolution favorable. Ne pas se couvrir, c’est refuser de s’assurer alors que le
coût de la prime est minime en regard du risque encouru.
Pourquoi des directeurs
financiers énoncent-ils de telles contrevérités ? Parce que dans la sociologie
d’une entreprise industrielle, qui se méfie de la finance autant qu’elle
l’ignore, agir en matière financière serait « spéculer » alors que ne rien faire
c’est « ne pas spéculer ». Le directeur financier soucieux de son image hésitera
donc à se couvrir, même s’il sait qu’il faudrait le faire. Certains, il faut le
reconnaître, ne le savent pas : il semble que la compétence en matière financière ne
soit pas le critère principal lorsque l'entreprise choisit son directeur
financier.
Tenir compte du risque de
change dans l’évaluation
Du point de vue économique, se
couvrir contre le risque de change réduit la volatilité du résultat ; cela
équivaut, en termes d’arbitrage entre rendement et risque, à accroître le
résultat. Et une mauvaise gestion du change aboutira toujours, un jour ou
l’autre, à la dégradation du résultat.
Il serait utile qu’un
paragraphe du rapport financier annuel (par exemple celui consacré aux
engagements hors bilan) décrivît la stratégie de couverture. Il préciserait les
devises concernées, les montants de ventes ou d’achats correspondants ainsi que
– point essentiel – l’horizon de la couverture. Ainsi les analystes pourraient
évaluer la stratégie « change » de l’entreprise. Une entreprise qui ne
couvrirait que son chiffre d’affaire commandé, ou qu’un flux prévisionnel à six
mois ou un an, serait ainsi à classer dans le rouge sous le thème « vulnérabilité
face aux fluctuations des devises ».
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