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Les institutions contre l'intelligence : hommage à Pierre Bourdieu

20 janvier 2002

J'appartiens à la génération née pendant l'occupation. Nous avions vu de jeunes soldats allemands dans les rues de nos villes. Leur regard vide faisait peur. Les gens disaient : "Si vous en invitez un à dîner chez vous, il ôte son calot et il n’y a pas plus gentil : la vie de famille leur manque beaucoup. Mais si un gradé arrive et lui dit de vous fusiller, il remet froidement son calot, prend sa mitraillette et tout le monde y passe". Ces pauvres garçons endoctrinés avaient été réduits à l’état d’automate. Ils nous ont appris que les institutions abrutissent (le parti nazi et la Wehrmacht étaient il est vrai des institutions d'un genre spécial.) 

Du côté français, les enfants de la défaite de 1940 n'auront pu de leur vie avoir aucune confiance dans des institutions (enseignement, entreprise, armée, médecine, justice, administration etc.) qui avaient chacune à sa façon collaboré avec l'occupant. Nous jugions mensonger leur sérieux, ridicule la liturgie de leurs procédures. L’honnêteté relevant, pensions nous, d’un choix personnel, il ne fallait en créditer a priori aucune profession. Nous soupçonnions celles que leur prestige ou leur réputation protègent (magistrature, clergé, médecine etc.) d'être, du fait de cette protection, celles qui  hébergent, parmi une majorité de personnes estimables, la plus forte proportion de canailles. 

Cette conviction s'associait à une ironie grinçante héritée des surréalistes. Daniel Joubert, qui par la suite militera dans l'Internationale situationniste et qui était dans les années 50 mon camarade au lycée, avait ainsi coutume de faire le signe de l'auto-stop aux corbillards qui passaient. 

Notre mépris envers les institutions était peut-être trop systématique : toute économie a besoin d'une monnaie, tout pays a besoin d'une armée, et nous mettions notre méfiance de côté lorsqu'il fallait consulter un médecin. Nous n'étions pas conséquents, nous l'avons bien montré par la suite lorsque nous "fîmes" mai 68 aux côtés de nos cadets les "baby boomers" : nous aurions volontiers détruit les institutions, mais nous ne savions pas par quoi les remplacer. Nous n'avions pas encore compris qu'elles sont indispensables.  

Le mépris ironique, rageur, envers les institutions fut à la fois la force et la faiblesse de notre génération, comme l'illustre bien l'œuvre de Pierre Bourdieu

La faiblesse parce que nous avons pris pour une évidence ce qui n'était que la séquelle d'un traumatisme. Cela nous a empêché de jouer pleinement le rôle constructif dévolu à chaque génération. Notre position ironique était d'ailleurs douloureusement inconfortable : comme nous aurions préféré pouvoir être de bons enfants en accord avec le monde tel qu'il était ! 

La force parce que, si nous étions handicapés pour construire, nous étions immunisés contre certaines naïvetés. Nous savions sans avoir à l'apprendre que notre armée, notre justice, notre police pouvaient trahir leur mission ; que l'Université pouvait être le royaume de la cuistrerie ;  que les élus, les dirigeants pouvaient former par cooptation une aristocratie aussi égoïste que celle de l'ancien régime ; que l'Église pouvait cultiver le blasphème. Nous savions que le respect envers les autres et la nature, le goût pour la science et l'art, la pratique avisée du plaisir, sont des attitudes difficiles et rares qui, demandant une longue méditation personnelle, ne peuvent se rencontrer que par accident dans les institutions qui s'en disent porteuses. 

Nous étions armés pour la critique des institutions, le renversement des respectabilités usurpées ; il nous manquait la confiance et la méthode qui auraient permis de construire, sur cette critique, des institutions imparfaites sans doute mais qui auraient évité les dévoiements les plus extrêmes. Ce sera, si nous sommes optimistes, la tâche des générations qui viennent.

*  *
Voici des témoignages et des analyses qui dévoilent l'intimité des institutions, cette intimité que masquent les façades imposantes et les déclarations de principe :

Administration : Comment stériliser la compétence

Société : Recherche et Pouvoir

Économie : Piller les pauvres ; A propos de la compétence ; Prostitution de la science ; A propos de la baisse du dollar

Église : Message et superstition

ENA : Comment se construit l'élite 

Entreprise : Pathologie de l'entreprise ; Corruption et honnêtetéLettre ouverte à un dirigeant français ; Quand l'organisation avale la production ; Le massacre des innocents

Finance : Au service du crime

Gouvernement : Matignon gère ; Crise de système

Grandes Écoles : Dessous des cartes

Justice : Le sacrifice humain

Statistique : Statistique et manipulation

Université : Le savoir dissimulé