Résumé
Il existe autant de représentations d'une entreprise que de
catégories de personnes concernées. Pourtant toute entreprise a sa
"personnalité". Bien que l'entreprise ne soit pas réductible à un individu,
cette personnalité est bien distincte. Les discussions ambiguës sur son
"coeur de métier" montrent à la fois que cette "personnalité"
existe puisque l'on s'efforce de la cerner, et qu'il est très difficile de la définir.
L'entreprise est un être vivant et donc évolue ; pourtant, une
fois passée l'ère des pionniers, l'organisation a besoin de stabilité, et le
conservatisme la tente toujours. Il peut donc arriver que l'entreprise se bloque et
qu'elle serve des finalités qui la parasitent. Alors elle est malade.
Qu'une entreprise puisse être malade ne doit pas surprendre,
puisqu'il s'agit d'un organisme vivant. Pourtant les catégories de pensée héritées de
notre formation résistent à cette évidence. L'entreprise, croit-on, c'est le domaine de
l'efficacité et du sérieux. La pensée économique fait de cette efficacité un
postulat, alors que celle-ci ne peut s'obtenir en pratique qu'après beaucoup d'efforts.
Ceux qui évoquent la pathologie de l'entreprise passent
pour de mauvais esprits : il est vrai que comme l'on ne sait ni penser ni dire cette
pathologie, ils s'expriment le plus souvent sur le mode peu crédible de l'imprécation.
On expliquera alors après coup, par la fatalité ou par la
malhonnêteté de quelques-uns, des catastrophes que l'on aurait pu prévenir si l'on
avait su prendre une attitude tranquillement et posément médicale. Nous montrerons
ailleurs que le système d'information est une aide puissante pour porter un diagnostic
sur l'entreprise, puis définir et administrer les traitements curatif et préventif dont
elle a besoin |
Représentations de lentreprise
Il existe plusieurs représentations de lentreprise.
Léconomiste dit quelle a pour but de maximiser le profit, ce qui lui permet
de recourir aux mathématiques une fois le profit défini comme fonction dautres
variables. Le dirigeant, reproduisant le système de commandement des armées et des
églises, y voit une structure hiérarchique : cela le conforte puisquil
est au sommet de la hiérarchie. Le financier la considère comme une entité
fiduciaire qui doit susciter la confiance pour avoir du crédit ; son
raisonnement associe une mathématique poussée à un souci de limage proche de la
logique des médias. Pour le salarié cadre, elle est le lieu de sa carrière : elle
lui offre léchelle quil sefforce de gravir, un terrain de compétition,
le socle institutionnel de son existence sociale (" cadre supérieur à Air
France ", " directeur chez Alcatel ", " associé
chez McKinsey ", " ingénieur à Framatome" etc.). Le salarié non
cadre y voit la " boîte " qui lui donne les moyens de sa vie
matérielle en échange dune partie de son temps. Le syndicaliste la perçoit comme
un terrain de lutte ; selon sa tendance, il défendra le salarié non cadre, le
salarié cadre, ou le syndicat lui-même qui ambitionne de cogérer lentreprise,
voire de la diriger.
Lhomme du marketing la perçoit comme une
" marque ", une image, capables de séduire et fidéliser divers
segments de clientèle. Lingénieur pense quelle produit biens et services à
partir des consommations intermédiaires, de la main duvre et des techniques
incorporées dans les machines. Linformaticien, quelle utilise les ordinateurs
et les applications dont il est le maître. Le comptable, quelle émet et reçoit
des effets de commerce quil classe pour évaluer, conformément aux règles
admises, les flux saccumulant dans le bilan.
Le dirigeant, qui incarne la légitimité, doit pactiser avec
dautres pouvoirs : le territoire, la " plate-bande ", que
sapproprie chaque directeur et qui, suivant larbre hiérarchique, se subdivise
en fiefs dampleur décroissante mais toujours bien gardés ; les réseaux
tissés autour des écoles dingénieurs, syndicats ou partis politiques, et
confortés quand l'occasion le permet par une corruption discrète mais habituelle.
Aux pouvoirs internes sajoutent des pouvoirs
externes : le conseil dadministration qui nomme le dirigeant et peut le
révoquer ad nutum ; le pouvoir politique (gouvernement, élus) et administratif
(préfecture, Bruxelles, direction du Trésor, impôts, sécurité sociale, direction du
travail etc.) ; le banquier qui propose, accorde ou retire des liquidités dont il
fixe le prix ; lactionnaire, sensible comme un cheval ombrageux, qui détermine le
cours de laction ; les amateurs dOPA à laffût dune baisse
du cours. Pouvoirs internes et externes communiquent : réseaux et directeurs ont des
relations avec les pouvoirs politique et administratif.
Étant tout cela à la fois, lentreprise ne peut se
réduire à lune ou lautre de ses définitions, même si la trivialité du
" business is business ", le " sérieux " des
ingénieurs, l" autorité " des dirigeants, prétendent la
résumer chacun en quelques phrases. Cest une entité organique, historique,
culturelle, sociologique. Elle est le théâtre dune Comédie humaine qui
na pas encore trouvé son Balzac : la littérature na pas rendu compte de
la vie de lentreprise, à lexception de quelques caricatures
ou romans
policiers
dailleurs intéressants. Il est surprenant que la production
symbolique, qui prépare limaginaire à interpréter lexpérience, ne se soit
pas encore intéressée au lieu où senracinent les projets, angoisses, désirs et
lidentité sociale de chacun.
Personnalité de lentreprise
Car lentreprise ne se réduit pas à la superposition des
structures. Elle est aussi une personne. Il sagit certes dune personne
collective et institutionnelle, et non dun être humain ; les relations que
chacun entretient avec elle nen sont pas moins affectives, comme avec un pays, un
village, une ville, qui " parlent " en reflétant les valeurs, les
rêves et lesthétique de ceux qui les ont conçus.
Chacun perçoit à sa façon la personnalité de
lentreprise. Certains sont sensibles au décorum, à larchitecture des
bâtiments, au sérieux des huissiers veillant autour de la direction, à la liturgie des
réunions ; leur fidélité senracine dans un sentiment de pérennité.
Dautres sentent la fragilité de lentreprise, les menaces de la concurrence,
les empiètements de la holding, et une sorte de tendresse envers cet être quils
sentent vivant mais fragile les pousse à le défendre. Dautres sont solidaires de
leur équipe, puis de leur service, de leur direction, enfin de lentreprise, leur
fidélité variant en raison inverse du nombre des personnes concernées.
Lentreprise suscite ainsi des dévouements, des loyautés dautant plus
méritoires quelle ne les reconnaît et les récompense pratiquement jamais.
Cest cette personnalité de lentreprise que
lon évoque lorsque lon parle de " donner du sens ". Si
nous nous plaçons par exemple au point de vue de léconomiste et de
lingénieur, nous définirons cette personnalité par la valeur ajoutée que
lentreprise entend produire, puis par le processus mis en uvre pour
produire.
La valeur ajoutée - écart
entre la valeur de la production et celle de la consommation intermédiaire - suppose
quil existe une demande : sil ny avait pas de clients pour acheter
la production, son prix serait nul et la valeur ajoutée serait négative .
La compréhension du besoin du client dans la conception du
produit et la détermination de son prix supposent que le marketing contribue à la valeur
ajoutée.
La définition du processus décrit comment les ressources de
lentreprise - compétences, machines, main duvre - sont organisées et
utilisées. |
Les décisions prises sur ces deux composantes de la
personnalité de lentreprise (valeurs ajoutées, processus) sont
" stratégiques " au sens exact du terme, car elles impliquent la
responsabilité du dirigeant, du " stratège "
dont les décisions
déterminent pour le meilleur ou pour le pire le positionnement de
lentreprise : types de clients, gammes de produits, partenariats, fournisseurs,
techniques, choix des innovations.
La question du " cur de métier "
Au centre de ces choix se trouve lidentification du cur
de métier de lentreprise : parmi les diverses activités qui
sarticulent dans ses processus, parmi ses produits, quels sont ceux quelle
considère comme emblématiques, auxquels elle sidentifie ? Attention : si
cette question redoutable reçoit une réponse erronée, toutes les orientations de
lentreprise seront faussées.
Or il nest pas facile de définir le cur de métier
dune entreprise. Considérons une administration ou une entreprise produisant un
service public. Quel est son cur de métier : être au service du
public ? représenter la puissance publique ? conforter le pouvoir dune
corporation ? Elle dira quelle est au service du public, mais ce propos
sera souvent contredit par un comportement méprisant ou indifférent envers
l" usager ".
Quel est le cur de métier dun juge : appliquer
la loi, ou évaluer chaque cas particulier à la lumière de la loi en faisant appel
à son bon sens ? Quel est le cur de métier de ladministration
pénitentiaire : amender ou punir ? sil sagit de punition, quelle
est sa nature : privation de liberté ou humiliation de la personne ?
Parfois la définition du cur de métier subit
lévolution technique et économique. Les opérateurs télécoms situaient leur
cur de métier dans le téléphone. Cependant leur réseau est devenu multiservice
avec les données et limage ; le commerce électronique en a fait une place de
marché quil faut équiper pour sécuriser les transactions et faciliter les
intermédiations. Ceux qui se sont cramponnés au téléphone, et qui ont fait du trafic
un objectif stratégique concrétisé par un critère de gestion (le " delta
minutes "), ont fait prendre du retard à leur entreprise en lincitant à
se concentrer sur un produit dont le prix diminuait rapidement.
La relation avec le client fait aussi partie du cur de
métier. Mais lorsquune entreprise prend pour slogan " mettre le client au
cur de lentreprise ", cest mauvais signe : si le client
était vraiment " au cur ", on néprouverait pas le besoin
de le dire d'une façon aussi sentimentale. Cela fait penser à ce pays désertique dont
la devise est " Pourvu quil pleuve ".
Lorsquun opérateur télécoms refuse dintroduire
lidentifiant de lentreprise cliente dans la facture téléphonique, et émet
une facture par ligne, il révèle sa vraie priorité : la ligne compte plus que le
client, puisquon sinterdit de le connaître et de le traiter de façon
personnalisée. Il en est de même dans un hôpital lorsquon désigne un patient par
le numéro de son lit au lieu de son nom propre.
Quel est le cur de métier du transport aérien ?
certains pensent quil sagit de faire voler ces avions dont la beauté
fascine : mais cela, cest le cur de métier dun aéroclub. Certains
nomment encore aujourdhui " économie des lignes "
léconomie du transport aérien, en souvenir de la " ligne ",
cur de métier de lAéropostale. Dautres pensent quil sagit
de transporter des passagers : mais un passager, cest une personne que
lon transporte, puis que loublie une fois quelle est arrivée à
destination. Pour passer du passager au client, il faut identifier cette personne,
observer ses déplacements, noter ses caractéristiques, afin de se lattacher par la
personnalisation et la fidélisation. Mais quelle relation cherchera-t-on avec ce
client : le transporter vol après vol dun aéroport à lautre, ou lui
offrir aussi dautres services liés au voyage : réservation dhôtel,
location de voiture, vente à bord, transport terrestre jusquà la destination
finale ? Dans ce cas, le cur de métier sera de fournir des services
diversifiés sur la plate-forme du transport aérien. Il senrichit encore si
lon considère non le client individuel, mais lentreprise qui paie les voyages
daffaire de ses salariés ; la relation est alors contractuelle, les prix sont
négociés, le transporteur peut gérer les dépenses associées au voyage (hôtel,
restaurant etc.) en traitant les cartes de paiement
Les évolutions des métiers, des techniques, de la concurrence
obligent lentreprise à redéfinir sa personnalité. Les distributeurs automatiques
de billets ont changé les banques ; lInternet change la relation avec la
clientèle ; le TGV a changé la SNCF ; la déréglementation a bouleversé le
transport aérien et les télécommunications. De lagriculture à lindustrie
pharmaceutique, de la sidérurgie au transport maritime, les entreprises ont été
obligées de remettre en question leurs acquis historiques. Ces mises en question sont
difficiles, pénibles, car modifier la personnalité de l'entreprise a des conséquences
sur son organisation (attributions des directions, structure des compétences) : des
plates-bandes sont piétinées, certaines carrières se ferment alors que
d'autres s'ouvrent.
Mécanismes du changement
Ces changements se font plus facilement par mort et naissance
que par évolution. Certaines entreprises préfèrent couler pavillon haut plutôt que de
sadapter. IBM, qui avait mis son cur de métier dans la vente, a failli en
mourir : des vendeurs, même habiles, ne pouvaient pas percevoir les orientations les
plus fécondes du marché alors que le possible technique évoluait dans de nouvelles
directions. Les disparitions de Pan Am, Eastern Airlines, People Express, et de banques
qui furent glorieuses avant de mourir puis dêtre oubliées, montrent quun
passé prestigieux ne garantit pas la pérennité.
Créée par des pionniers qui pesaient risques et opportunités,
lentreprise était à lorigine modeste et aventureuse. Après le succès, les
pionniers se sont ennuyés et sont partis ; leur formule a été érigée en recette
par des administrateurs qui en ont fait une paisible routine. Puis les financiers sont
venus : ils ont transformé lentreprise en vache à lait. Alors ses dirigeants
ne cherchent plus à " changer le monde ", mais à " faire
du business " en accumulant au passage une fortune personnelle. Ses cadres
savent que pour réussir il faut se conformer aux dogmes maison et surtout ne pas faire de
zèle. Les réseaux politiques, syndicaux, corporatistes lenserrent pour y pomper
toute la richesse et le pouvoir possibles. Ils réagissent devant la nouveauté, la
réflexion, comme des reptiles dautant plus dangereux que leur cerveau minuscule
abandonne tout le travail à la moelle épinière. Gare au naïf dont linitiative
touche un point du corps du crocodile : il sera fauché par un mouvement réflexe et
broyé instantanément.
Toute entreprise traverse, durant son histoire, des situations
dont ces notations illustrent la diversité. La direction générale est animée de
conflits dont lenjeu final est bien, à travers lentrelacement des intérêts
particuliers, la personnalité de lentreprise. Sur le terrain et au jour le jour,
cette personnalité paraît stable comme la surface dun lac qui cache courants et
tourbillons, les échos des conflits internes à la direction sestompant avec la
distance.
Entreprise et marché
Les économistes négligent ce qui précède. Leur théorie
suppose les agents rationnels ; une fois choisis le produit et la technologie, ces
agents utiliseraient la combinaison de facteurs qui minimise le coût de production et
produiraient la quantité qui maximise le profit. Cependant, si la concurrence est
parfaite avec libre entrée, le prix finit par être égal au coût moyen minimal, le
profit est nul, et cest le consommateur qui en dernière analyse bénéficie des
efforts de lentreprise. On peut enrichir ce schéma en considérant le monopole, la
concurrence monopoliste etc. Peu importe : dans tous les cas, léconomiste fait
un raisonnement statistique et tendanciel ; il postule que les écarts à la
rationalité se compensent à court terme, ou bien sajustent à long terme par
tâtonnement.
Cependant toute la vie quotidienne de lentreprise, toute
lactivité de ses cadres et de ses dirigeants, sont absorbées par les tâches que
léconomiste suppose déjà réalisées. Minimiser les coûts de production
nest pas une mince affaire. Choisir la technologie la plus efficace, déterminer les
programmes dinvestissement, cela demande travail et réflexion, et Dieu sait si cela
se discute. Concevoir le produit à commercialiser, définir la politique de prix,
organiser la distribution, c'est construire la personnalité de
lentreprise.
Comme le raisonnement économique commence lorsque ces
tâches-là sont terminées, il ne les éclaire pas. Léconomiste sintéresse
à léquilibre général qui leur fait suite, non à la vie même de
lentreprise. Nous prenons ici un point de vue médical (examiner les
conditions de la santé de lentreprise) alors que le point de vue de
léconomiste, légitime dans son ordre mais limité, est social (il
considère la contribution de lentreprise au bien-être de la société).
Ceci explique un paradoxe. Les partisans du
" marché ", qui souhaitent la disparition de toute réglementation,
se disent en même temps partisans de l" entreprise " ;
mais lentreprise à laquelle ils pensent, cest celle des économistes qui par
hypothèse a déjà fait ses choix internes de façon optimale ; ce nest pas
lentreprise en train de faire ses choix, de construire sa personnalité. Cette
entreprise-là est antérieure au marché auquel elle se prépare ; les clés de sa
démarche interne ne sont pas " marché " et
" liberté ", mais " organisation " et
" décision ". Il sy produit certes des échanges
(didées, dinformations, de documents) mais ils ne sont pas marchands. Il
sy crée un équilibre (des forces en présence), mais ce nest pas celui que
les prix déquilibre instaurent sur le marché. Le marché, cest lespace
externe à lentreprise dans lequel elle se meut. Elle sy réfère, y trouve
des points de repère ; toutefois sa logique interne nest pas marchande.
Pathologie de l'entreprise
Par ailleurs, si "rationalité" et "information
parfaite" sont deux postulats qui permettent de construire un modèle économique
simple et puissant, il est par contre difficile de modéliser une économie où les agents
ne sont pas rationnels (par exemple, de prendre en compte les erreurs danticipation
et les réactions quelles suscitent a posteriori) et où linformation
est imparfaite (incomplète, dissymétrique etc.) : ces modèles se présentent sous
forme darbres de choix dont lexploration est fastidieuse et dont il est
difficile de tirer une synthèse. Le modèle rationnel simpose dans
lenseignement de léconomie non parce quil représente fidèlement la
vie de lentreprise, mais par sa simplicité et sa puissance logique.
Il est alors difficile pour un économiste de se représenter
une entreprise malade. Ceux qui témoignent des pathologies sont soupçonnés
dexagération. Lentreprise bénéficie dailleurs, outre le préjugé de
rationalité, dun préjugé de sérieux. Elle impose à ses salariés des règles
salubres de discipline et de ponctualité. Les normes de sécurité sont rappelées dans
ses bâtiments. Le formalisme comptable passe pour une garantie dobjectivité. La
hiérarchie bénéficie dune légitimité que seuls de mauvais esprits peuvent
mettre en doute, tant lunité de commandement semble nécessaire.
Dailleurs lentreprise produit. Les trains circulent,
les avions volent, les machines à laver lavent, les automobiles sortent des usines
prêtes à circuler. Rien de tout cela naurait lieu, croit-on, si les entreprises
étaient malades.
Et pourtant il arrive qu'elles le soient, quun dirigeant
soit un incapable, quune règle soit erronée, quune convention comptable
aille au rebours de la réalité économique et suscite des décisions fausses, que
lautorité de la hiérarchie couvre des abus. Ainsi une entreprise qui marche
certes, et même dégage le profit sans lequel elle ne pourrait longtemps survivre, peut
pourtant ne pas être efficace en ce sens quelle gâche une partie des ressources
quelle utilise.
Lorsque lénergie dun directeur est consacrée à la
défense de sa plate-bande, cest autant de perdu pour lefficacité (il
faudrait un miracle permanent pour que l'efficacité résultât d'une conjonction de
tactiques défensives : pourtant les économistes, lorsqu'ils veulent faire taire les
considérations médicales, postulent ce miracle). Les entreprises malades marchent, mais
leurs coûts de production ne sont pas minimisés, leur profit nest pas maximisé,
elles ne contribuent pas de leur mieux au bien-être social, sans même évoquer
les externalités (environnement etc.).
Pour bien nous comprendre, considérons les gens dans la rue.
Ils nont peut-être pas tous bonne mine, mais ils marchent, font leurs courses, vont
travailler. Il faut être médecin et les voir en consultation pour déceler les maladies
dont ils souffrent et leur recommander un traitement. Il en est de même des entreprises.
Derrière la façade de sérieux et de professionnalisme, lexamen médical détecte
les pathologies. Souvent elles sont très visibles de l'intérieur ; elles ont été
signalées par des personnes de bon sens, mais comme elles sont utiles à certains
pouvoirs elles perdurent. Le consultant redit ce que disaient déjà des personnes de
lentreprise - mais il le dit à partir dun point neutre, car il ne fait pas
carrière dans lentreprise et il est aisé de l'en faire partir. Si sa parole semble
une révélation, cest que sa neutralité la rend audible alors que lon était
resté sourd au bon sens interne.
Sintéresser à la pathologie des entreprises, ce
nest pas faire du mauvais esprit, mais manifester envers ces êtres vivants la
sollicitude, le respect, la délicatesse que le médecin doit éprouver envers son
patient.